Project Gutenberg's Un tel de l'armée française, by Gabriel Tristan Franconi This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: Un tel de l'armée française Author: Gabriel Tristan Franconi Release Date: November 13, 2015 [EBook #50447] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN TEL DE L'ARMÉE FRANÇAISE *** Produced by Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Note de transcription: L'orthographe d'origine a été conservée, mais quelques erreurs typographiques évidentes ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve à la fin du texte. La ponctuation a également fait l'objet de quelques corrections mineures. Les mots imprimés en gras dans l'original sont notés ici =en gras=. _Un tel de l'armée française_ GABRIEL-TRISTAN FRANCONI _Un tel de l'armée française_ [Logo de l'éditeur] PAYOT & Cie, PARIS 106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 1918 _Tous droits réservés_ Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays _Copyright 1918, by PAYOT & Cie_ A MES AMIS, MORTS ET VIVANTS DE L'ARMÉE FRANÇAISE A ALBERT URWILLER UN QUI N'EST PAS COMME LES AUTRES UNE JEUNESSE Tel ces médailles qui, sous la patine des siècles, accusent un profil à jamais orgueilleux et viril, Un Tel, malgré les épuisements et les fièvres, garde le visage de ses vingt ans. Il est la parfaite image d'une époque inquiète, le souple sujet d'une race sportive et spirituelle. Né au cœur du pays, Un Tel est le frère de tous ceux dont l'âme affectionne la claire campagne, la lumière mouvante des fleuves aux vertes rives, les lignes graves et simples des châteaux, les parcs galants où rêve sur de fuyantes terrasses le peuple immortel des statues; Un Tel est le fils des dresseurs de barricades, romantiques insurgés, fiers communards qui tombaient le crâne ouvert, ivres de lectures folles, invoquant le décevant mirage de la liberté. Il en est ainsi, de toutes les idées. Elles arborent, en leur printemps, la pourpre de ton gilet, Théophile Gautier, pour finir dans le sang du peuple! Aux heures d'orage intérieur, Un Tel entend gronder en lui les échos attardés d'anciennes clameurs; il lui monte aux lèvres l'amer parfum des vins troublants, qui, jadis, énervaient ses pères, de ces idées neuves où fermentent le doute et l'angoisse éternels de la vie. Mais, vienne un après-midi de tennis et de course, de fortes heures où les muscles rivalisent d'adresse, alors Un Tel, animal épris uniquement de vitesse et de joie, rebondit sur le sol de France comme une balle légère. Il fut un gamin simple et que satisfaisait sa pauvreté. Se contenter de l'ivresse des étés, de la fabuleuse poésie de la neige, suivre d'un œil captivé le vol magique des hirondelles et trouver au pain du ménage une saveur de brioche, ne sont-ce pas là des bonheurs parfaits, lorsque l'on sait y joindre la richesse d'un cœur pur et l'enthousiasme fleuri de l'enfance? Etre le cerf que poursuit la meute des écoliers, le marin qui voit partir sur une eau tranquille l'esquif de bois verni où tremble une voile courbe, Un Tel avait été cela. Sa prime enfance fut une longue kermesse, une pimpante théorie de fêtes naïves, de bonheurs frêles comme des bateaux, et qui laissaient, eux aussi, sur l'onde frémissante de sa belle âme, un sillage caresseur et prolongé. Il connut les déjeuners champêtres, la table dressée sous d'aimables ombrages, le retour des bois dans les parfums du soir. Il aima les défilés multicolores du carnaval. Il suivit les chars ensoleillés, où s'enivraient d'éphémères triomphes les reines des marchés. Plus encore, les fêtes religieuses des vieux âges le ravissaient: Pâques carillonnées, légendaires Noëls parés de crèches et d'étoiles, heures tendres des patronages, douceur illuminée et musicale des vêpres, Un Tel aspire encore leur encens délicat. Malgré l'indifférence et le doute, il a gardé cette faculté d'émotion qui le faisait jadis pleurer en écoutant le chœur des confrériennes. Qu'ils étaient doux les soirs de printemps dans la rue bruyante! La voix claire d'un voyou chantait au peuple accouru des romances aux rimes légères. Un Tel s'arrêtait afin de participer à l'ivresse commune. Puis, le groupe harmonieux se disjoignait. Certains, que le lyrisme assoiffait, couraient vers les bars; d'autres demeuraient sur place comme si l'écho attardé d'un dernier refrain les berçait encore. Un Tel, pour ajouter à la simplicité du repas familial un peu de la splendeur printanière, achetait une livre de fraises nouvelles. La mère d'Un Tel attendait l'enfant. Courbée vers le sol dur, ainsi qu'une sainte en prières, elle semblait porter un lourd fardeau. Femme du peuple qui ne saurait être brisée par les chagrins et le labeur, elle pliait. N'ayant jamais failli à sa tâche simple, la vieille, une fois encore, avec les gestes de toujours, préparait le repas du soir. Sur le poêle bancal, où s'animait un feu tremblant, la soupe bouillait, chère eau chaude aromatisée qui réconforte, compagne quotidienne de ceux qui n'ont pas à leur table les fruits mûris aux provinces du soleil, ni ces rôtis savoureux dont le fumet, à lui seul, ranime et nourrit. Un pas allègre, tel un roulement de tambour, chassait le silence; la porte s'ouvrait, Un Tel embrassait sa mère, il mettait une nappe blanche sur la table, levait la flamme de la lampe, et voici que la mansarde où rôdaient les esprits sombres de la nuit était, soudainement, réjouie comme si des ondes lumineuses jaillissaient de quelque invisible fontaine. Un Tel narrait à sa mère les menues aventures de la journée; il avait quinze ans, une âme enthousiaste et gamine, et il ignorait encore qu'il est souvent pénible de gagner ce beau pain frais qu'il aimait et dont la petite vie merveilleuse nourrissait sa jeunesse éclatante. C'était l'heure de la causerie. La vieille mère contait l'histoire de la famille. Le père était mort. C'était un fidèle compagnon, un travailleur; tout jeune, il avait fait son tour de France. Il repose dans la banlieue mélancolique, en un cimetière peuplé d'érables rouges et d'ormes. Nul mieux que lui ne savait besogner la charpente. Il allait, la musette au côté, travaillant de bourgade en bourgade. Comme il avait belle prestance, les filles lui souriaient. Parfois, fatigué de rôder à l'aventure, il s'adossait au tronc noueux d'un vieil arbuste et, pareil au soldat qui boit une gorgée de rhum pour renouveler ses forces, il contemplait avec amour l'image de celle qui devait être un jour sa femme. En chantant, il repartait, longeant les bois, traversant les terres labourées. Il revint à Paris, élever de solides charpentes. Vinrent d'heureux jours, on se maria un matin d'hiver; la noce s'en fut à Robinson, où les bosquets déserts étaient couverts de neige. La vieille mère évoquait les douleurs du ménage: une fille naquit, jolie comme un enfant Jésus et qui souriait dans son berceau. Elle avait cinq ans, quand, un après-midi fiévreux, on la mena à l'hôpital. La petite n'en revint pas; elle avait préféré s'enfuir vers les jardins du ciel, où les enfants des pauvres vivent entourés de guignols, de chevaux de bois et de balançoires. Le père, l'année suivante, tomba d'un échafaudage. Mais, Un Tel n'écoutait pas la cruelle histoire de sa vie. Il contemplait, en lui, un monde frémissant et prestigieux dont nul roman héroïque ne saurait dire l'intime et vivante beauté. Les routes assombries où son destin l'avait mené lui semblaient s'élargir à l'horizon, comme des voies triomphales. Une ardeur étrange, mêlée à son jeune sang, lui donnait une vivacité d'oiseau. Aussi quand, desservant la table, il jetait au loin les miettes dorées tombées sur la nappe, on eût dit que ces douloureux souvenirs s'envolaient avec elles. Un Tel est au physique un homme moderne, affectant un américanisme voulu, sous lequel apparaît aisément une fantaisie d'artiste. De sombres étoffes donnent à son clair visage une lumière particulière. Il a le pas rythmique du danseur. Il marche la tête altière, l'œil vif, les poings fermés. Pétri de force et paré de joliesse, Un Tel est un nerveux Apollon dont la silhouette complexe dessine sur l'écran du monde une ombre de tendresse et de brutalité. Il eut des amours nombreuses. Afin d'obtenir d'impossibles joies, il désira d'étranges compagnes, dont une chanteuse, qui fut son premier amour. Au Café des Hémisphères, elle chantait des refrains sensuels. La musique animant les courbes de son corps, elle apparaissait telle une voile marine qui, gonflée d'un vent joyeux, se joue sur la mer lumineuse. L'électricité lui faisait une étincelante parure, et le populaire acclamait la volupté de ses gestes. Elle était le fruit tentant et mystérieux des tropiques dont les yeux éblouis des simples s'enivraient, et d'aucuns, qui rêvaient de mordre à sa lèvre écarlate, imaginaient qu'elle avait la fraîcheur de ces oranges de Jérusalem, où du sang coule sous l'écorce d'or. Un Tel, le soir de juin où il entendit Farfale, la chanteuse, eut en son cœur une illumination; il l'aima pour le vice énervant de ses yeux. Elle était l'incarnation de l'amour, la bacchante populaire, glorifiée par la foule, et dont le nom vole de l'étroite échoppe au bar tumultueux; il la croyait riche, heureuse. Il l'attendit à la sombre porte du concert; elle sortit, pauvrement vêtue. Un Tel hésitait à la reconnaître; mais elle vint le rejoindre, car elle avait compris qu'il l'aimait. Elle lui prit la main. Ils longèrent les quais moroses du canal, où la lune se baignait parmi des cheminées d'usines renversées. Ils arrivèrent sur une place déserte. Farfale entraîna l'adolescent dans un couloir obscur, dont les murs suintaient. Ruinée, malodorante et triste, telle était la demeure de la chanteuse. Un Tel n'avait jamais vu semblable misère. La mansarde de son amoureuse était ouverte au vent nocturne. Le plafond avait un large trou. Dans le toit croulant, flambait un triangle d'azur où rêvaient les étoiles. Une pluie lente se mit à tomber, dont les gouttes rafraîchissaient le visage du jeune homme. Sous la fine caresse de cette pluie inattendue, les désirs de l'adolescent s'envolèrent; subitement se brisa le cercle de feu qui lui brûlait les tempes. Ces deux êtres, sous la fraîche ondée qui leur venait du ciel, sentaient mourir en eux les orages de l'amour. On eût dit, à les voir l'un près de l'autre, contemplant les arcs-en-ciel évanouis de leur rêve, qu'un vent rapide leur avait enlevé les parures de leur jeunesse. Dans la paisible nuit, Un Tel s'en fut, plus heureux que s'il avait connu les bonheurs qu'il enviait. Il revint embellir sa chambrette; il mit à son lit des draps frais, il prit une taie d'oreiller qui sentait le foin coupé. A l'aube, l'adolescent, beau comme un ange foudroyé, reposait, ayant replié ses ailes, pareil à l'oiseau qui, pour dormir après l'orage, choisit une branche fleurie d'amandier. Un Tel posséda des Polonaises, molles comme des Orientales, des juives aux lourdes chevelures. Beautés maladives, bijoux affinés et frêles, bêtes perfides ou splendides, tendres prostituées; il mit au front de toutes ses amoureuses l'auréole trompeuse et vite évanouie de son désir et, durant ces tristes fêtes de la chair, il comprit qu'il lui fallait rechercher une femme dont les idées et les sens auraient une parenté frémissante avec son cœur et sa raison. Tout homme a, de par le monde, une femme née pour être sienne. Souvent cette amante prédestinée meurt sans avoir rencontré celui qu'elle attendait. Un Tel connut, dans une nature chaude et riche où la forêt et la mer joignaient leurs beautés rivales, la compagne qui devait embellir et organiser sa vie. Ils s'aimèrent. Ce fut simple et fort, comme les jeux des plantes et des eaux. LA FOIRE AUX IDÉES La génération dont Un Tel est le type exact aima les idées, comme des femmes. Elle erra, parmi les formules sociales, à la recherche d'une impossible perfection, les adoptant et les rejetant avec une égale ardeur. Mais, parmi tant de ferveurs et d'abjurations, elle sut garder un sens ferme de l'équilibre qui lui fit comprendre le grotesque des idées absolues. Elle eut, heureusement, une élégance d'esprit lui permettant d'estimer, sans excès, les formes nobles, les jolies couleurs et le verbe aux inflexions savantes, qui sont la parure extérieure des idées et leur réelle magnificence. Un Tel fut anarchiste. C'était le temps où M. Laurent Tailhade posait si joliment, au front du pauvre boulanger Caserio, le laurier d'Harmodius. La naïveté de cette confession, groupant pour de fraternelles agapes, sous les ombrages d'un éternel été, les hommes les plus divers, ne satisfaisait pas entièrement la raison d'Un Tel. Néanmoins, il imaginait avec agrément une époque où les êtres, vivant sans la menace impérieuse du Code et sous une royauté morale unique, se partageraient fraternellement les richesses du monde. Mais il fallait vivre «scientifiquement», s'abstenir de boire tel estimable alcool; rechercher l'hygiène de la vie en toute chose, abattre les monuments du passé, mettre en commun les femmes et les jardins, sans pouvoir revendiquer l'ombre d'un arbre, la pile d'un pont, la chair d'une rose. Tel crasseux esthète vous imposait un régime d'ablutions incessantes, tel autre fou vous enjoignait de contempler toute chose sous un angle géométrique. Tout fidèle de la nouvelle religion s'érigeait en pontife et réclamait pour lui seul le droit à la vérité. Un Tel comprit que l'anarchisme était une tyrannie stupide. Au reste, l'échec d'une colonie communiste où des ouvriers, des professeurs et un vacher s'arrachèrent, durant quelques semaines, les cheveux, sous l'œil irrité de saint Bakounine, suffit à lui prouver qu'il importait de rejeter à jamais, comme utopique et néfaste, le désir de faire vivre en commun, sur un même plan social, les diversités d'hommes. Certes, de curieuses figures, évoquant les premiers siècles chrétiens, illustraient l'anarchie. Probes, fières, charitables, elles honoraient le parti naissant. Mais, combien leur action fut vaine, et de quel mépris le troupeau les entoura. La foi, pour estimable qu'elle puisse être, ne saurait vivifier des choses mortes. De toutes les erreurs modernes, la plus étrange fut cette perversité de l'idée qui fit admettre, comme vérités intransigeantes et absolues, de pauvres petites rêveries qu'avaient dédaigneusement rejetées nos pères. Les partis politiques et leurs bas intérêts ne séduisirent point Un Tel, dont la nature indépendante rêvait de se dévouer et de combattre. Ayant dissipé les nuées qui l'entouraient, Un Tel comprit aisément que les rues de son quartier, les fortifications de Paris, les tonnelles riantes de la banlieue lui tenaient autrement au cœur que les gens et les choses de Valachie; il entrevit, image encore faible et confuse, lumière sereine illuminant les conflits, les intérêts, la vie et la mort, cette chose imprécise et vivante qui s'impose à tout homme: la Patrie, société sinon fraternelle, du moins policée, organisée, de ceux qui ont des intérêts communs, l'amour du même sol, une communauté de souvenirs et d'espoirs. Un Tel était poète. Il fréquentait les bouges où les gueux bercent leurs misères; il buvait avec eux jusqu'à ce que retentissent en ses tempes les saintes musiques de l'ivresse. L'alcool fouettait ses nerfs; tel le psaltérion, le poète, pour chanter, a besoin d'être battu par des verges de fer. Marie, la servante obscure d'un bar de la rue de Bièvre où s'enivrait Un Tel, accueillait avec calme cet étrange client. Promenant sur les tables souillées un torchon humide, elle allait, toute menue en ses loques dérisoires, indifférente aux propos des buveurs. Campagnarde qui échoua dans un bouge obscur de la Cité, elle n'avait au monde qu'un désir: aimer son frère, et ce pieux sentiment gagnait, à vivre parmi les tourments et les rudes passions de la plèbe, une pureté particulière. La Bruyère, le frère de Marie, était un fort gaillard à barbe orientale, dont la folie n'inquiétait aucunement la servante. Elle gardait, sur une planche de la cuisine, la modeste portion de bœuf bouilli et le verre de vin qui sauraient apaiser la faim et la soif du malheureux, au cas où son délire ne le persécuterait pas outre mesure. Fou! Le gueux l'était. Il se croyait le maître des forces mystérieuses qui règnent sur le monde, l'être dont la sagesse dicte aux nations leur conduite. Il écrivait aux empereurs. Musique guerrière, peinture pastorale, poésie érotique, La Bruyère pratiqua tous les arts, hors celui de raisonner justement. Sur la route aventureuse d'Un Tel, il joua le rôle douloureux et sauveur de l'ilote dont il faut éviter le sort misérable. Certes, Un Tel ne pratiqua pas la bohème navrante de La Bruyère; il ne vécut pas, par amour du pittoresque, dans une mansarde malodorante et glacée; il ne chanta pas des romances sentimentales dans les cours, mendiant ainsi les quelques sous nécessaires à sa vie quotidienne. Il est vrai qu'il trouva dérisoire de vagabonder à la recherche d'une maigre pitance et de joies éphémères, alors qu'un labeur sans gloire, courageusement accepté, permet à tout homme de se créer une existence agréable, harmonieuse et simple. Néanmoins, il aima cette recherche maladive de l'anormal et de l'excessif, ce débraillé intellectuel qui régna dans les cercles jeunes, bohème de l'idée autrement pernicieuse que la pauvre fantaisie des pantins de Murger. Un Tel sut réfréner son désir et ne plus vouloir que des choses humaines. Il est vain de créer des architectures de principes, qui n'ont aucune base réelle, et qui satisfont, uniquement, l'orgueil de leur créateur. Un Tel sentit avec justesse qu'il importait avant tout de faire jaillir la sensibilité profonde de son être, telle une source pure cachée sous le feuillage des rythmes et des couleurs. Il comprit que l'anarchisme des uns et l'impérialisme des autres, que le classicisme ou le romantisme, que tous les «ismes» modernes ne sont que des voiles flottantes, ravissant à nos yeux la déesse lumineuse, la superbe Isis, dont les hommes, inlassablement, rêvent de connaître l'immatériel visage. ISMES ET CRATES Les temps étaient défunts où le poète pouvait chanter: _La gloire est une couronne Faite de roses et de lauriers_. Un Tel eût aimé exprimer ses idées en quelques mots concis et créer des œuvres peuplées d'idées claires. Mais il connut la vanité d'un tel effort. Ecrire un drame où l'on exalte l'héroïsme d'une vie simple, aux prises avec les passions, et qui sait les dompter, faire une gerbe étincelante et naïve de poèmes sont de pures folies. Des sages dirent à Un Tel: «Inventez un isme, découvrez un crate, tel est le secret de la réussite. Créez un mot, enfoncez-le comme un clou d'or dans la vieille boiserie littéraire.» Un Tel dédaigna le conseil des sages. Il s'en fut chez un isolé des lettres, un des maîtres dont l'art sobre, image de leur vie, l'enchantait. --Vous avez du courage d'écrire à notre époque. Enfin, vous êtes jeune, il vous faudra beaucoup de courage. Je ne veux pas vous désespérer; mais comment peut-on écrire encore? Ayant dit, triste et grave en sa maison froide, le maître reprit la plume un instant délaissée. Un Tel avait rêvé une poésie énergique et vivante. Il lui apparaissait que la mission du poète était de faire visiter aux hommes des jardins irréels et merveilleux: d'héroïser la roulotte et le chemin, d'illuminer la vie simple et pénible des travailleurs. Loin du bluff et du snobisme des écoles, il voulait chanter, libre oiseau à qui l'on ne peut rogner les ailes. Certes, les poètes utilitaires, normaliens ivres de succès, fondateurs d'écoles, surenchéristes forcenés, méprisaient Un Tel. Les esclaves ont toujours détesté l'affranchi. Il ne voulut point former une faction nouvelle; il refusa d'associer à son art une politique arriviste et brutale. Ce fut un homme libre. Un jeune versificateur insultait à Racine, qui, pour le remplacer, faisait retentir entre les vieux murs de l'Odéon la canonnade de Rivoli. Un sculpteur de génie mourait de froid en son atelier, alors que la foule injuste et stupide admirait Archipenko bâtissant des gnomes affreux dans des plaques de tôle. Surpassant en renommée les autres ismes, survenant après les naïfs primitifs, les anges adorables de Boticelli, le rire et les chairs de Jordaens, les arbres illuminés et rêveurs de Corot, le cubisme régnait. Sous prétexte d'originalité, toutes les folies se donnaient libre cours. Chacun désirait une vogue et des succès immédiats. L'œuvre n'était rien, et seule valait qu'on la considère la renommée que l'on en tirait. Pauvre génération qui ne savait pas qu'un artiste ignoré tailla dans un marbre immortel la victoire de Samothrace. Un écrivain cultivé et qui n'ignorait pas que la plus haute sagesse est encore de se bien connaître soi-même avait alors émis sur ses confrères ce jugement sans douceur: «L'homme de lettres est une charogne.» L'avilissement de certaine jeunesse qui se croyait audacieuse et se disait géniale, ses procédés réclamistes et son insolente prétention feront la stupéfaction de nos fils lorsque, pour notre honte, ils nous rechercheront dans le dédale empuanti des revues littéraires. Toutes auraient pu, en admettant qu'elles fussent courageuses, inscrire à leur fronton le dur verset du chœur aristophanesque: «Il n'est pas facile de m'adoucir, quand on ne parle pas dans mon sens.» Mais elles n'avaient qu'une sorte d'intransigeance, la pire, celle qui ne pardonne pas aux êtres d'être justes et bons. Invoquant la chimère au corps de biche, au buste de femme, à la jambe de fauve, tous les poètes véhéments en firent un animal domestique; ils l'asservirent à leurs bas intérêts. Sans doute, férus de science, sinon de belles-lettres, ils avaient appris que la chimère, outre ses ailes qui la font traverser les mirages du monde, est aussi le roi des harengs. En ces temps confus, les istes dévoraient les crates et réciproquement. Il y avait grande liesse en la République des lettres quand mourait de faim un poète. L'union se faisait alors. Les rongeurs accouraient en foule, brandissant leur plume vengeresse. Ils dansaient autour du cadavre qui, pour eux, exhalait une fraîche odeur d'imprimerie. Deubel s'était jeté dans la Marne, un soir de faim et d'amertume, suicide inexplicable, puisque la veille encore une mondaine avait fait à ce gueux l'honneur de lui offrir une place de garde-chasse. Des histrions sans âme triomphaient sur les scènes parisiennes; d'habiles faiseurs encombraient les expositions d'art; des poètes volontairement abscons accaparaient les éditeurs. La vieille boiserie littéraire allait craquer sous les innombrables clous d'or que d'impatients arrivistes y plantaient. Mais vint la guerre. LE MIRACLE DE LA MARNE Ayant suspendu, par les pieds, les curés liégeois aux cordes de leurs clochers, l'envahisseur descendait vers Paris. Les villages brûlaient comme des meules. Parmi le sifflement des obus et l'exode des populations affolées, des petites gamines, indifférentes au tumulte guerrier, poursuivaient devant elles de jeunes dindons qui s'étaient enfuis de la ferme. Des vieux pêchaient dans l'eau calme où se mirent les jolis moulins et, si quelque obus troublait leur quiétude, ils s'en allaient un peu plus loin exercer un art patient, sinon fructueux. Enfants et vieillards, qui ne vouliez pas croire à la guerre, qu'êtes-vous devenus? Dans la charrette de la ferme, poursuivie par les premières balles, la petite famille s'est enfuie. Une vierge en pleurs fouette le cheval. La tête doucement inclinée par le regret, elle rêve aux pures amours qu'elle eût aimé connaître et que le destin lui ravit dès l'aurore. Il n'est plus d'amours innocentes, ni de jeux champêtres. L'âtre affectueux et les greniers ensoleillés sont en cendres, la foudre dispersa les pierres du foyer. Il faut reprendre, sur les routes, la fuite éperdue de jadis, ce vagabondage inquiet des âges primitifs, où le Barbare aveuglé brisait, rageusement, les œuvres humaines. Les mélancoliques vieillards, les mères angoissées, les enfants éblouis d'aventure deviennent le vivant enjeu d'un combat; ils sont la frémissante proie que poursuit un glaive ruisselant encore du sang de leurs frères martyrs. Le cortège errant des émigrés est une armée vaincue. Les émigrés ne sont pas d'astucieux romanichels, vicieux et maraudeurs. Ils gardent au cœur des tourments innombrables les mœurs simples et douces de la famille. C'est du sein même de l'émigration que sortent, frais adolescents qu'un siècle aimable eût enrubannés, ces bergers épiques qui suivent l'armée. On voit des pâtres de treize ans, délaissés de leur troupeau fugitif, servir, au sens fier du mot, une patrie dont ils n'auraient dû connaître encore que les enchantements. Leur souriante ingénuité défie la mort. Ils ajoutent au tragique des heures une jeunesse particulière, et la France guerrière, malgré ses deuils, sourit à la caresse de ce printemps inattendu. Il est un berger qui mourut à la Marne, bel ange courageux, dont la tombe discrète, exhaussée d'une croix blanche que couronne un béret, fera dire plus tard aux curieux promeneurs: «Les soldats de la grande guerre étaient-ils si petits?» Si la mort a fauché cette jeunesse en fleurs, c'est qu'il fallait, pour l'ennoblissement de l'histoire, à la vilenie de l'envahisseur renversant les berceaux, qu'une réponse fût faite par de jolis enfants. Ainsi s'explique votre sacrifice, bergers, les plus purs d'entre tous. Fridolin a vu s'enfuir les siens, le fermier partit et le berger resta seul avec ses moutons. Quand vinrent les uhlans, le gosse intrépide suivit nos armées. C'est le recul, l'enfant ramasse du bois pour faire du feu à l'étape. Il se rend utile. Il est le jeune frère du soldat. Un Tel s'en fait un ami. Une balle vint percer le cœur de l'enfant, et nul verbe ailé n'a besoin d'entretenir au cœur irrité d'Un Tel la sainte fureur et le juste courroux qui rendent invincibles. Une riche moisson lèvera sur les tombes françaises, des demeures harmonieuses renaîtront des ruines, mais Un Tel à jamais se remémorera, utile et grave leçon, ces cortèges d'émigrés qui fuyaient vers le Sud et le regard fixe et bleu du berger qui mourut en soldat. Mais il en est qui demeurèrent dans la tourmente, entre leurs faibles murs battus par les marées humaines, et qui virent revenir nos troupes, sanglantes et victorieuses. Ceux-là, seuls peut-être, comprennent ce que fut le miracle de la Marne. Seule de sa race, en sa maison claire et propre, la fermière subit l'envahisseur, avec la réserve hostile et polie du paysan. Hoffmann, le cuisinier des officiers, assis auprès d'elle, admire la salle familiale où flambe l'âtre large. Pour ce rustre, la guerre est une manœuvre prolongée, où la maraude est honorée et l'ivresse permise; la France est un verdoyant polygone que l'on peut traverser sans péril. Durant que rôtit l'oie grasse, le cuisinier improvisé se laisse éblouir par les miroitements alternés du balancier de cuivre qui danse au cœur de la vieille horloge. Si l'hôtesse était moins revêche, comme il ferait bon vivre sous ce toit, où s'alignent des poutres parallèles, jadis taillées dans le cœur des grands arbres; qu'il serait plaisant de s'enivrer en cette demeure émouvante, qui sent bon la cire et les pommes. Voici huit jours que les Allemands sont là. Le maire a dit au fermier: --L'heure est grave, la commune a besoin d'être défendue par ses meilleurs citoyens. Vous aurez l'honneur d'être otage. --Otage! Qu'est-ce que c'est que cela? Je veux bien être otage. Lorsque le fermier se vit encadré par deux gaillards armés, dont les yeux luisaient comme des baïonnettes, il comprit soudain que certains honneurs ont de redoutables revers et qu'il lui fallait, en prévision de jours orageux, une âme héroïque, comme on en voit dans les livres. Tandis que l'otage volontaire et craintif, arpentant la salle de la mairie, compte les minutes, son épouse, indifférente aux obus qui déchirent la soie lumineuse du ciel, s'évertue à maintenir, en leur maison brutalement envahie, l'ordre traditionnel des choses. Toutes les filles du village se sont enfuies dans la forêt proche. Le mystérieux pavillon d'un garde-chasse leur est un sûr asile, où elles attendront que la tempête se soit apaisée. Elles n'osent s'aventurer vers la lisière du bois, où chantent les balles. Pourtant, une même espérance a caressé l'âme de toutes ces hirondelles que la peur groupe dans l'ombre verte. Elles ont pressenti le retour du printemps de France: la Victoire. Ces vierges, à qui de belles amours futures sont promises, cueillant de leurs mains brûlantes les fleurs blessées du soir, tendrement évoquent en un rêve de sang et d'azur de lointains fiancés qu'elles imaginent, robustes et beaux, le mousqueton au poing, défendant l'orée d'une forêt où rôde, parmi les eaux vives et les vents embaumés, le cortège éblouissant des vierges françaises. La table est servie chez les fermiers. Hoffmann a disposé symétriquement le couvert. Il a réquisitionné une armée de bouteilles, bons vins pourpres, qui semblent rougir plus encore d'être la proie de l'ennemi. Cependant que les officiers s'apprêtent à dévorer la dernière oie de la basse-cour, la fermière, le front à la vitre de la cuisine, a cru voir, décevant mirage, la silhouette d'un cavalier français traversant les jardins. La voix impérative du commandant éclate: --Depuis quand buvons-nous deux vins différents dans le même verre? Les grosses mains rouges du cuisinier s'emparent de verres fins et sonores, aimable cadeau d'une aïeule fortunée, qui ne servirent pas depuis la première communion des filles. Le commandant vitupère: --Ces gueux cachent leur vin, leur or et leurs filles. Nos troupes ont traversé la France, au pas de parade; nous voici à quelques lieues de Paris, et nous nous arrêtons. Depuis huit jours, un vil peuple nous résiste. Tu peux vociférer, commandant, la vieille se rit de tes menaces et de tes volontés; des ombres vengeresses entourent la ferme, des cavaliers, l'épée haute, traversent les avoines. Dans la fumée des cigares et des vins, les Allemands virent à peine se lever le fer qui les abattit. Durant que la tête aux yeux révulsés du commandant roule dans les cendres du foyer, Un Tel, maigre, boueux et ravi, formule cette oraison funèbre: --Il n'y aurait pas moyen de casser une croûte, la petite mère? Et, parce qu'il faut à la vie un éternel retour de misères et de beautés, la paysanne, à la fois reconnaissante et parcimonieuse, de répondre: --Je vais vous donner toutes mes pommes; elles commencent à pourrir. Une à une, à l'orée du bois, écartant de leurs fines mains les ramures tombantes, les vierges apparaissent; tandis que s'éloignent les vainqueurs, elles reviennent au village. Ainsi, pour que vivent heureuses des vierges aux beaux yeux qu'ils devinent jolis, mais dont ils ne posséderont jamais les charmes émouvants, de jeunes hommes meurent à la fleur de leurs ans ou acceptent les pires mutilations; d'autres se perdent dans la nuit, la bourrasque et le feu, sans porter vers elles un regard de regret. Belles inconnues, protégées du soldat, parures de la France, vierges qu'il sauva de l'ignominieuse atteinte du Barbare sans espoir de vous retrouver: Marie aux lèvres chaudes, Jeanne ensoleillée, petite Magali à la voix d'oiseau, vous toutes enfin dont la grâce fut l'enjeu du dur combat, vous incarniez, pour le soldat de la Marne, en votre joliesse désirable et frémissante, l'indépendance, l'harmonie et la liberté. EN LIGNE Les canons aboient dans le crépuscule. Les bois où l'artillerie est cachée sont des buissons ardents. Il faut monter en ligne. Dans le village en ruines, au faîte d'un pan de mur, une plaque demeure, battue des vents: «La mendicité est interdite dans le département.» C'est une zone nouvelle où la terre est soulevée, retournée, éventrée par les explosions. Une avenue, faite de troncs d'arbres, mène vers la ligne. Il faut avancer avec attention, se lier au sol, épouser sa forme et sa couleur. Un Tel entre, avec son bataillon, dans cette mystérieuse région de l'aventure. Son sac, où des lettres, des vivres et du linge forment un ensemble compact et moisi, lui pèse; des musettes gonflées de grenades battent ses flancs. Un Tel gagne le boyau. Il accroche son fusil au fil téléphonique. La nuit est venue. S'efforçant de suivre l'ombre qui le précède, il trébuche et s'irrite. Des voix font passer des recommandations: «Attention au fil. Faites passer qu'on ne suit pas. Faites passer: Halte.» D'autres voix, surgies de la terre, demandent, sourdes, inquiètes: --Qui est-ce qui fait passer qu'on dise: Halte? L'irritation d'Un Tel gagne la file errante. --Quel est l'imbécile qui est en tête? --On va trop vite! Le boyau devient étroit. Epuisé, l'épaule déchirée par la courroie du sac, Un Tel s'accote à la paroi suintante et molle. Il lui faut repartir, car ceux qui le suivent le renverseraient et lui passeraient sur le corps. Les boyaux se coupent et se rejoignent. On ressent un vertige écœurant à les parcourir. Voici la première ligne. Les hommes se fixent obstinément au poste qu'ils garderont. Les escouades descendantes s'incrustent dans le mur, afin de laisser passer la relève. Il faut occuper avant tout le petit poste avancé, cirque de terre, entouré de fils barbelés, d'arbres abattus, fortin garni de grenades, sentinelle dont la vigilance doit être absolue et qui garde la France. A deux ou trois mètres du poste, des cadavres ossifiés, lavés des pluies, et dont la tête convulsée montre encore le cercle éclatant des dents blanches, attendent un lointain réveil. Ces morts ont le visage de leur âme. Les nuits de vent et de pluie, il faut aller s'étendre auprès de ces squelettes et, sous leur protection, écouter la nuit afin de pouvoir abattre l'adversaire qui, par aventure, tenterait de se glisser jusqu'à la tranchée. Un Tel, la gorge irritée par l'odeur fade de la terre et du sang, la respiration haletante, s'étend sur le sol, sa couverture repliée sur la tête, attendant le sommeil. Les fusées lumineuses se balancent dans l'espace, telles les lampes suspendues d'un temple immense. Frappées par une mystérieuse flèche, les étoiles filantes tombent vers l'horizon. Un Tel ne peut s'endormir. Résorbé en lui-même, en présence de la mort et de l'aventure, il se sent une plus vive clairvoyance, une émotion accrue par le tragique de la situation. Il se met à penser, afin de mieux vivre les instants que le destin lui compte. La tranchée incite à vivre intimement, égoïstement, pour soi-même, quelque réelle fraternité les combattants puissent avoir entre eux. Le jour viendra. Les hommes causeront à peine. La tranchée est un lieu de méditation. Les meilleurs soldats, les plus dévoués, les plus braves, ceux dont la vigilance ne fait jamais défaut, sont de grands taciturnes. Il s'agit de se battre confortablement, d'être à l'aise. Chacun s'organise un coin particulier, où il pourra reposer la tête sur le sac. Le soldat désire, avant tout, un bien-être individuel que nul ne partagera, et il ne faudrait pas voir de l'égoïsme dans ce besoin naturel d'isolement et de propriété. Les gourbis sont étroits, encombrés de munitions; l'eau y coule les jours de pluie, des claies pourries y recouvrent le sol, les rats y foisonnent, mais on y goûte un bonheur réel. Sans bruit, l'escouade s'y groupe et y joue d'interminables parties de manille, indifférente aux explosions qui secouent le sol. Ayant ramassé du bois mort sur le parapet, Un Tel aime allumer dans son gourbi un feu généreux. La flamme claire, mouvante, haute et bientôt recourbée, lui semble prendre les divers aspects de la vie, tristes ou gais sans mesure, et ce lui est, dans le nuage épais de la fumée, une délicieuse occasion de se ressouvenir. Il faut travailler, surélever le parapet, creuser la tranchée. Tout le jour, ce seront de multiples corvées: transport de bombes à ailettes, de gabions; la nuit prochaine, il faudra veiller encore. Quels êtres particulièrement doués, solidement bâtis, animés de passions divines et surgis d'une antique épopée sont donc les combattants de cette grande guerre? Un Tel cherche des dieux, autour de lui, et ne voit que des hommes. Donquixotte et Citoillien étaient voisins. Ils s'exécraient, se reprochant mille méfaits, entre autres de n'avoir rien à se reprocher. La guerre vint. La vie de la tranchée lia, l'un à l'autre, les deux adversaires. Forcés qu'ils étaient d'habiter, face à face, une humide cagna, repliés et joints dans un obscur et profond isolement, ils apprirent à se connaître, et l'irrésistible antagonisme qui les séparait se dissipa. Gédéon Donquixotte tenait un magasin d'alimentation. Il était président effectif des «Joyeux Bigophonistes du Marché des Trois-Vierges», président honoraire de «l'Effort sportif Amical Club des Enfants Retrouvés»; il avait obtenu la médaille de vermeil de l'Exposition Internationale d'Alimentation et de Chauffage d'Ivry. Il était orgueilleux de son commerce et naturellement enclin à favoriser les arts. La pire injure à lui faire était de l'appeler épicier, comme si un honorable commerçant en aliments et vins pouvait être à ce point avili qu'on osât le comparer à cette sorte de débitant inférieur qui vend du suif et de la benzine. Donquixotte avait une culture générale assez étendue. Il récitait, sans en rien omettre, la Déclaration des Droits de l'Homme; il avait lu de nombreuses études sur l'éducation de la volonté, l'hygiène sexuelle à travers les âges et les crimes de l'Inquisition. Il écrivait jadis, sur l'air de _Flotte, petit drapeau!_ une marche de la Mutualité, avec accompagnement de bigophone. Aussi Donquixotte savait allier les arts de l'esprit au plus heureux des négoces. Nous avons à Paris la maison de Balzac, celle de Berlioz, la vieille demeure où naquit Musset; pourquoi ne pas nous enorgueillir de la maison Donquixotte? L'honnête commerçant, désireux à la fois d'élever le niveau intellectuel de la foule et de faire mourir de rage ses concurrents, mit au fronton de sa demeure un tableau allégorique: _L'Alimentation ouvrant aux Arts les portes de la Renommée_. L'Alimentation, reine parée d'une robe semée d'abeilles d'or, accueillait et nourrissait les Arts, lesquels étaient incarnés en la personne d'un bohème guenilleux et maléfique. La vitrine s'ornait encore d'une superbe pièce montée. Ce n'était plus une pâtisserie, mais un symbole. Le foie truffé, la gélatine et les coques s'y groupaient harmonieusement. Des colonnettes de saucisson soutenaient cet édifice qui, pareil au temple de Salomon, demeurera célèbre par son opulence. Donquixotte se découvrait aisément des envieux. Les sots disaient de lui «N'est-il pas vendu à toutes les réactions, avec son Sacré-Cœur en saindoux?» Niais ou criminels qui ne voulaient pas voir en cet édifice gastronomique un temple païen élevé à la gloire d'une force sociale invincible: l'Alimentation. C'était une pièce unique dans l'histoire de la civilisation. Donquixotte avait décidé de ne l'entamer que le jour où il fiancerait sa fille. En effet, cette pâtisserie était si parfaitement épicée, si raisonnablement construite, que les plus grandes chaleurs n'auraient su la faire tourner. Donquixotte était un homme d'ordre. Par contre, le cordonnier Citoillien était farouchement révolutionnaire. Porte-drapeau suppléant de la section socialiste révolutionnaire internationale du quartier Saint-Placide, il avait pour mission de suivre, jusqu'à la dernière demeure, le corps des camarades décédés. Ces enterrements étaient émouvants. Désireux de donner à son fils une éducation grave et forte, et afin de pouvoir se rafraîchir au «Rendez-Vous des Parents», pieusement il confiait à l'enfant le drapeau dont l'étoffe écarlate s'enflammait au soleil. Donquixotte et Citoillien sont maintenant des soldats. Ils se sont découvert des goûts semblables; ils se sont aperçus que le même désir de vie heureuse et simple les animait; ils ont compris que, pour réaliser leur bonheur personnel, il leur fallait défendre, avant tout, les villes et la terre nationales. La guerre finie, Citoillien, délaissant la cordonnerie, bâtira un palais du peuple. Le soir, le peuple dînera en chantant. Les fruits, les pâtisseries et les vins, artistement groupés sur de vastes tables, appartiendront à tous ceux que leur désir aura menés vers ce festin. Aux nuits parfumées où flamberont des lampions dans les arbres, il fera doux de vivre parmi la joie naturelle des choses. Heureuses, les voix se répercuteront, en fanfares, dans les bois d'alentour. En ce nouvel âge d'or, les hommes, joyeusement, travailleront en commun à la prospérité du monde. Donquixotte prendra place à la table du peuple, étant donné qu'il apportera de savoureuses provisions. Un Tel est le semblable de Citoillien, il est le frère de Donquixotte, il se retrouve en eux. Ne cachent-ils pas, sous des masques grotesques, un visage d'homme? Nourris à la même gamelle, asservis aux pareilles besognes, ils sont appelés, tous deux, à ôter leur masque en présence de la mort errante. Mais le vent des obus ne leur a pas encore arraché les défroques dont ils se parent. Donquixotte est toujours, aux yeux de ses camarades, un paisible bourgeois; Citoillien est encore un farouche révolutionnaire. Les premières promenades que Donquixotte fit, jadis, avec sa fiancée, furent douces. Ils visitèrent le Louvre. Dans les salles fraîches et spacieuses où vécurent les rois, ils se crurent de grands seigneurs invités à la cour. Ils se regardèrent passer entre les glaces parallèles, et cela les enivra que de contempler leurs images se reflétant à l'infini. Un jour, ils montèrent en haut du donjon de Vincennes. Fouettée par le vent qui enlevait sa jupe, la jeune fille avait l'air d'une oriflamme. Le retour fut charmant; dans les fossés du fort, des gamins chassaient le lézard; les amoureux revinrent en bateau. Le fleuve était calme. L'eau miroitante, où le bateau laissait un long sillage, leur semblait côtoyer les rivages du ciel. Ils s'épousèrent. Elle devint une ménagère parfaite et facilement irritée. Veillant à l'ordre absolu de la maison, elle eut le souci constant de diminuer auprès de la fille qui leur naquit l'autorité sacrée du père, répétant avec une vigueur toujours accrue cette formule lapidaire: --Ton père est un imbécile! Donquixotte désira d'autres amours. Il voulut une femme du monde: châtelaine errante et nostalgique; il rêva d'une de ces filles de vingt ans qui s'abandonnent aux séducteurs, un jour inespéré, telles de pauvres oiseaux blessés. Jamais il ne vit la femme qu'il aima. C'était la porteuse de lait. Tous les matins, les doigts de la petite fée déposaient une bouteille à la porte. Craignant fort son épouse, Donquixotte n'osait se lever pour admirer la belle; mais le soir, voluptueusement, il cachait un tendre mot au fond de la bouteille. Cette délicieuse Perrette devait être fraîche et rouge comme une pomme d'api. Il lui écrivit: «Mon espérance court vers vous. Je voudrais vous offrir un petit chalet de bois sculpté et de brique. Un potager nous donnerait des légumes que nous mangerions sous une véranda. A notre fenêtre s'enlacerait le lierre, qui veut dire fidélité. Notre vie serait gaie comme un bassin empli de poissons rouges. Vous me feriez du gâteau de riz, agrémenté de rhum et de raisin de Corinthe. Pour ce qui est de repriser mon linge, car je déchire beaucoup, il viendrait une femme à la journée. Les amours des chevaliers, des reines et des pages pâliraient devant les nôtres.» Elle lui répondit: «Je suis à vous. Dites-moi le jour et le lieu où je pourrai vous rejoindre avec mes six enfants.» Citoillien avait eu des amours moins romanesques; il les narrait simplement: --Défunte Mme Citoillien (je dirais Dieu ait son âme si je croyais à l'existence de Dieu) était une femme de caractère. Partageant mes idées, mes peines et mes travaux, elle fut la compagne accomplie. Nous nous mariâmes civilement à Bois-Colombes (je n'ai jamais aimé les curés, elle non plus). On fit un petit festin chez un traiteur des environs; le vin était affreux, mais j'avais un tel bonheur qu'il me semblait boire du soleil. La femme, pour moi, est une douce infirmière qui m'aide à boire les vilaines potions de la vie. Ainsi, par un renversement inattendu des rôles, Citoillien, le démolisseur de systèmes, le novateur, l'irrégulier, dirigeant avec sagesse les mouvements de son cœur, avait une vie sentimentale ordonnée, tandis que Donquixotte, l'homme d'ordre par excellence, s'était livré aux mille fantaisies de l'amour. Dans la tranchée, il en est de même. Autant Donquixotte a d'audace irraisonnée, autant Citoillien possède de tranquille courage. Volontaire pour toutes les missions périlleuses, heureux de ramper entre les fils de fer, Donquixotte est de toutes les patrouilles. Citoillien guette le retour de son camarade; sur le feu de la cagna, il lui garde une soupe chaude; il préserve de l'inondation la claie où le patrouilleur reposera; il défend la musette de l'absent contre l'offensive des rats affamés. Ce couple d'amis, indifférent aux vaines et pompeuses formules de l'union sacrée, pratique la seule union réelle, celle qui groupe, sous la mitraille, les hommes désemparés, et par laquelle, fortifié, soutenu, réconforté, le soldat parvient à protéger des vents la petite flamme éperdue qui vit en lui. Un Tel est de garde. Las de se griffer la chair aux parois de la tranchée il s'assied. Une douceur progressive et mélancolique attendrit son âme. La nature vivante qui l'entoure se met à chanter. Des papillons décoratifs se posent sur le cœur des chardons pour y mourir, une auréole de feu illumine les plantes et le trot d'un cheval retentit sous les feuillages. Quelqu'un vient, dont le souffle ardent fait se courber les arbustes. C'est un guerrier monté sur une maigre haridelle. Un Tel s'approche de ce héros, dont la lance brisée flambe au clair de lune, et qu'il reconnaît pour l'avoir, jadis, entrevu près de son berceau. Lentement, le chevalier lève la visière de son casque et montre ses yeux où se mirent toutes les démences héroïques de sa vie. Il est douloureusement beau. Un Tel pose ses lèvres sur le front du héros. Il l'invite à pénétrer dans la cagna où l'escouade repose; heureux d'être l'humble écuyer qui rencontra le seigneur des routes, le grand errant dont l'ombre immense apparaît, conquérante, sur tous les chemins de l'aventure. Mais Un Tel sent le froid du fusil dans sa main brûlante; il sort de son étrange somnolence et, penché vers le trou d'ombre où vivent ses camarades, il entend une voix menaçante, celle de Sancho Pança Citoillien, invectiver Donquixotte, cette vache, cet épicier, cet enfant de salaud qui s'est permis de faire des grillades avec le rab de pain. PATROUILLE La sentinelle observe la nuit, car des ombres mystérieuses semblent rôder dans les fils de fer; peut-être sont-ce des rats qui mènent ainsi, au cœur de l'ombre, d'étranges sarabandes. Un froid vif pénètre les chairs et meurtrit les yeux. Le rythme régulier du temps est suspendu; toute la nature subit une angoisse fiévreuse, sorte de brouillard qui trouble les plus vigoureux d'entre les combattants. Voici l'heure où les patrouilleurs vont se traîner parmi les ronces et les charognes, offrant une fois de plus leur chair glacée à la flèche de feu qui, dans sa course errante, les viendra frapper brutalement. Des voix confuses murmurent: --Une patrouille est sortie! Attention! Quelque imprudent brise des branches entre les lignes ou fait cliqueter son arme. Les fusées jaillissent des bouquets d'arbustes. Il faut que la terre où s'incruste la patrouille errante ait le visage immobile d'un désert. Toutes les sentinelles du monde ont les yeux fixés devant elles; leur esprit est calme et rêveur, car elles aperçoivent, malgré l'horreur et l'effroi qui les entourent, au delà de la ligne ennemie, un miroir merveilleux leur renvoyant l'image des jours heureux où les hommes, le soir, chantaient dans les guinguettes. Ces veilleurs entendent les anciens violons au rythme énervant desquels dansèrent leurs premières amours, parmi le concert rageur des vents et les fusillades. La patrouille avance, silencieuse, implacable. Si la fortune la protège, elle atteindra la ligne ennemie, monticule de terre et de sacs de sable exhaussant un grand arbre renversé. Derrière son invisible créneau, la sentinelle allemande songe, elle aussi, aux soirs harmonieux où elle jouait de la guitare dans les rues de Marbourg, sous les fenêtres fleuries de la fille d'un grave privat-docent; elle revoit les farandoles universitaires dans la ville médiévale, les causeries printanières avec de joyeux compagnons, autour des vastes chopes où la bière claire brillait comme des escarboucles. Une grenade lancée par un des patrouilleurs tombe aux pieds de la sentinelle; une gerbe d'or fuse et le franc buveur de jadis, l'amant élégiaque dont le cœur sait joindre à la douceur de Gœthe l'amertume de Henri Heine, éventré, tenant ses entrailles à pleines mains, recourbé par la douleur, souffle comme un taureau dont le poitrail fut ouvert par la courte épée de Bombita. Invisible, au ras du sol, la patrouille rentre dans les lignes françaises. Elle a accompli sa mission, sans crainte apparente, sans colère inutile, mathématiquement. La présence de cette sentinelle, dans le petit poste avancé, nuisait à la sûreté du bataillon. Il fallait, à tout prix, la supprimer; ainsi elle ne tirerait plus sur les travailleurs, elle ne troublerait plus les corvées de soupe et d'eau. La sanglante besogne est accomplie. Demain, une sentinelle, équipée comme celle qui vient d'être abattue et pareillement vigilante, occupera le petit poste allemand; qu'importe, une autre patrouille renversera l'audacieuse. A l'aube, il serait vain de demander aux trois paysans patrouilleurs les raisons qui guidèrent leur farouche énergie. La sentinelle les empêchait de ramasser du bois sur le parapet! Sans doute, il est des motifs plus nobles et moins précis qu'ils ne se formulent pas, en leur simplicité, mais ils ne les entrevoient point. Ils ignoreront toujours quel intérêt supérieur répond à leur courage obscur et par quels fils mystérieux leur acte simple et brutal est relié à la prospérité et à la grandeur de leur race. Ils n'ont cure de ces mots magiques par lesquels on pourrait louer leur vaillance. Une force instinctive les poussait de l'avant, et si l'événement qui les honore ne les a pas vus faiblir, le seul récit de leur exploit les apeure. Une mission devait être remplie, pour l'honneur de leur escouade, la gloire de leur compagnie et la fière renommée du bataillon: elle le fut correctement. Retrouvant le gourbi fangeux où ils purent reposer, les patrouilleurs, l'âme apaisée, indifférents à toute gloire inutile, dormirent jusqu'à ce que la corvée de soupe vînt leur offrir une gamelle d'eau tiède où nageaient d'étranges légumes. GUSTAVE LE REMPART DE CALONNE Un Tel a pour chef de section l'adjudant Gustave, unanimement appelé «le Rempart de Calonne», en glorieux témoignage de l'héroïsme particulier avec lequel il défendit la tranchée de Calonne, un jour où les vagues d'assaut menaçaient Verdun. L'histoire de Gustave, noble Polonais qui guerroya sur la Marne, l'Yser et la Meuse, enchantera les enfants si, plus tard, un enlumineur fait apparaître au centre des explosions, tel il fut, couronné d'un passe-montagne troué, cet adjudant splendide qu'une crasse insigne patina sans jamais l'attrister. C'est le ruffian que dessina la plume d'or de Moréas, l'affable séducteur aux dents éblouissantes, à l'œil conquérant, une manière de conquistador en guenilles. Au repos, Gustave est le plus appréciable des chefs de popote. Il sait dorer un rôti, épicer une sauce et charmer la plus revêche des commères. Après un copieux repas, il estime fort narrer, avec une voix chaude, de jolies aventures dont il fut le héros modeste, et ses récits ne laissent pas que de ressembler aux contes galants de la Renaissance italienne. Gustave servit à la légion étrangère; il y apprit à dresser une tente, à découvrir du bois et de l'eau dans le désert. Il se fit craindre et chérir d'un peuple de nègres qu'il battait sans remords. Il eut les fièvres. On l'abandonna sur le fleuve Rouge, seul, dans une barque légère qui remontait vers la colonie. Il y parvint épuisé, mais vivant. Quand il revint en France, abandonnant les rudes compagnons de la légion, il se sentit amoindri, diminué, comme si le meilleur de lui-même ne pouvait s'exprimer ailleurs qu'en un climat sauvage, parmi de vastes espaces. Causeur habile et disert, ayant acquis, au cours de ses voyages, l'art de convaincre les hommes, ne redoutant pas les fatigues et les incertitudes d'une vie errante, Gustave fit mille métiers. Il fut placier en dentelles, coulissier; il représenta divers parfums aux noms orientaux. Certes, ces industries lui furent prospères; mais il triompha particulièrement dans la faïencerie, où son génie sut produire et répandre avec succès un article commun: le vase de nuit. Gustave vint à la guerre, joyeusement. Il retrouvait, pour son incessant besoin d'agir, un emploi illimité. Ses capacités somnolentes d'aventurier, ses qualités de chef de bande, allaient enfin se donner libre cours. Des combats où sa décision et sa clairvoyance lui valurent l'admiration des proches, il ne tire nul orgueil, mais il s'honore de certaines chasses à l'escargot qu'il fit, à l'aube, dans les forêts de la Woëvre, tandis que nos canons lourds bombardaient les forts avancés de Metz. Il vivait alors, au repos, dans les bois. Les escargots ayant dégorgé dans le gros sel, Gustave les savourait, aromatisés d'herbes et frits en du lard rance, au seuil de son gourbi, parmi les jeux de lumière du crépuscule. Les mouches le persécutaient, ainsi que la vague odeur d'une proche charogne. Ayant cueilli de mignonnes fraises sauvages, le Polonais reposait, pareil au Sybarite que lassa l'abus des viandes et des vins. Un mardi gras, pour l'enchantement de sa section, Gustave fit des crêpes. La farine vint de l'arrière, les œufs furent découverts en de modestes fermes que les obus avaient épargnées; le rhum de l'ordinaire, rude comme un acide, arrosa la blonde pâte. Les crêpes sautaient sur le foyer improvisé, dorées comme des auréoles. Gustave, maître-coq orgueilleux et réjoui, joignait à l'art souverain de faire sauter la crêpe une manière rapide, discrète et non moins élégante de la déguster. Ses exploits ont un succès égal à ses mœurs aimables. Mais son joyeux caractère et la fantaisie de sa vie semblent faire oublier sa valeur. Certes, on le sait brave et, confusément, les anciens du bataillon se souviennent d'un après-midi orageux où l'adversaire serait passé sur le monceau des corps abattus, se répandant dans la forêt traîtresse, invincible, si Gustave ne l'avait pas contraint à retourner vers ses lignes. La femme charmante, l'exquise ménagère que Gustave aimera, plus tard, en des jours de paix et de tendresse, auprès d'un feu chanteur, ne saura deviner quel héroïsme veille au cœur de son amant; lui-même oubliera l'élan qui le souleva au-dessus des hommes et le fit pareil à ces figures irréelles des naïves légendes: hercules plongeant un fer vainqueur dans les flancs irrités d'un terrible dragon. Tel est celui que les fervents Bretons, les mineurs farouches et les paysans de la section ont nommé le «Rempart de Calonne», affectionnant son courage et peut-être chérissant plus encore son amitié pour les ribaudes, sa présomption culinaire et la chance inouïe qui le poursuit au poker. LULUSSE DE CHARONNE Superbe de crasse et d'aplomb, luisant de graisse, noir de suie, Lulusse de Charonne, une grillade frottée d'oignon en main, disserte sur la haute stratégie de nos états-majors. Il redit les mille lieux communs chers à la foule ignorante, mais avec une telle verve que les idées les plus vulgaires, parées de riches couleurs, en semblent transfigurées. Il est le truchement entre le civil et le militaire. Sociable à l'excès, confiant et protecteur, il faut le voir, à l'arrière, faisant les honneurs du cantonnement aux ribaudes errantes dont la fantaisie misérable est liée au destin des armées. Natif de Charonne, ce dont il s'honore, Lulusse, dès l'enfance, connut des plaisirs martiaux. Il s'enrôla dans une phalange déguenillée qui se livrait à la guerre des rues et bientôt il excella à couvrir de grossières injures les honnêtes passants. Il acquit ainsi le talent de l'invective, grâce auquel, cuisinier de la compagnie, il put faire respecter sa fonction, en dépit des sauces imprévues, des rôtis incendiés et des bouillons saumâtres dont il remplit, au cours de la campagne, les gasters épouvantés de ses camarades. Habile à faire des doubles sauts périlleux et toutes autres acrobaties, d'un naturel batailleur et sportif, le cuisinier acquit rapidement sur la troupe l'autorité nécessaire. Dès l'aube, dans les villages où le bataillon descendait au repos, Lulusse claironnait le plus bref, le plus militaire et le moins écouté des commandements: --Aux pommes! Multipliant les conseils, il suivait d'un œil hautain l'épluchage des tubercules: --Plus vous en éplucherez, plus vous en becqueterez! Souventes fois, la besogne étant accomplie à la diable, il ajoutait: --Quel sale travail vous faites! On dirait que vous les épluchez par le milieu. Certains jours, la menace à la bouche, l'œil courroucé, Lulusse traversait le cantonnement, sous la pluie, à la recherche d'invisibles éplucheurs. Tragique, il ouvrait la porte des estaminets et, pareil au jeune Oreste dont la furie anima un peuple innombrable, oublieux de ses premiers devoirs, d'une voix où la menace et le reproche étaient sourdement alternés, il certifiait, en appelant à la justice immanente qui toujours poursuivit le coupable: --Si vous ne m'épluchez pas mes pommes, vous mangerez de la m... Dans l'intimité, Lulusse, auprès de sa cuisine ronronnante et fumeuse, aime à narrer des histoires de Charonne, légendes de la misère où des héros rabougris et crapuleux prennent une allure chevaleresque. --Mon vieux, j'avais un pote. Il était bossu et pas plus haut qu'une vieille femme; on l'appelait le «Cuirassier». Quel type! Costeau et bon garçon, la crème des associés. Si on lui cherchait des raisons, il allait droit sur l'adversaire et doucement il lui disait: «Casse-toi de là, où je fais un malheur.» Par trois fois il avertissait l'importun. Après, d'un coup de tête en pleine poitrine, il l'envoyait rouler dans le ruisseau. En une minute, l'autre était mort. C'était sentimental! Pour Lulusse, les belles pensées, les fortes actions, tout ce qui se distingue des choses coutumières en horreur ou joliesse, l'excessif et l'inattendu sont des choses sentimentales. Il est, lui-même, selon la formule, un grand sentimental. Ce bourreau des cœurs aime une brune, au peigne d'écaille planté dans la chevelure comme un poignard: Berthe des Quatre-Chemins, brocheuse à ses heures perdues, amoureuse éternelle. Dans Charonne, les samedis de paye, alors qu'il y avait liesse, il fallait la voir traverser d'un pas rythmique la rue embaumée d'absinthe. On eût dit un couple d'oiseaux, tant ils avaient d'allégresse et de légèreté. Un permissionnaire du bataillon, de retour de permission, apprit un jour à la troupe assemblée autour de la cuisine que Lulusse avait été détrôné dans le cœur de Berthe par le subtil et redoutable «Cuirassier». Ce gnome avait osé ravir le bien charnel du plus orgueilleux des cuisiniers. Ce fut du délire. Lulusse se vit interpellé par les plus fidèles de ses admirateurs en termes irrespectueux. --Eh! dis donc, tu n'as pas de nouvelles du «Cuirassier»? --Tu parles, si c'est sentimental! --Les cuirassiers de Charonne, ils montent de jolies juments! Autant de flèches empoisonnées qui se plantaient dans le cœur méprisé de Lulusse. Noble sous les injures et souffrant de cette impopularité, le cuisinier dédaigna de se venger. Il continua de préparer, avec un art toujours plus affiné, l'éternel rata dont la compagnie était quotidiennement gavée. Pleurant secrètement, il cueillait dans le ruisseau chanteur qui entoure le pays d'une ceinture éblouissante le persil dont il parfumait ses sauces. Mais, publiquement, Lulusse annonça, désireux de mettre fin à l'ironie des camarades, et pour que fût affirmée la supériorité du mâle en cette aventure: --Berthe, à ma première permission, je lui planterai mon couteau de cuisine dans le ventre. Il n'en fut rien, Lulusse étant volage et sachant oublier la grâce de l'une pour les yeux charmeurs de l'autre. Le maître-coq a l'âme généreuse et il partage ses réserves de chocolat avec les émigrés qu'attire sa cuisine odorante. Il donne également son cœur à toutes les filles du voisinage. Sa verve gouailleuse et le parfum de ses fricots lui valent un succès d'estime; ses bons mots amusent et réconfortent. Nul n'ignore au bataillon que, sous les plus violents bombardements, le cuisinier, fidèle à son poste, n'en fit pas moins brûler les sauces. Lulusse aime trop Charonne pour ne pas être, en dépit de son antimilitarisme irraisonné, un bon soldat. Charonne, n'est-ce pas la patrie, avec toute sa vie chatoyante et mouvementée? Il n'est au monde d'aussi joli quartier que celui où l'on eut le bonheur de vivre sa jeunesse. A Charonne, au printemps, quand les vendeuses de fleurs parent les rues de leurs prestigieux éventaires, on se croirait dans un paradis sentimental et pavoisé. Lulusse se ferait ouvrir la poitrine pour que demeurent paisibles à jamais les carrefours heureux de son enfance. Il n'a pas sollicité d'être cuisinier, il le fut. C'est avec une pareille indifférence qu'il accueillerait son destin, si l'ange de la mort le frôlait de son aile invisible. Il est des instants où mourir est moins difficile que de faire éplucher des pommes de terre à une compagnie d'infanterie. BICHROMATE OU LA MOTOCYCLETTE INFINIE Bichromate était un des compagnons d'enfance d'Un Tel. Tous deux avaient troublé de leur turbulente jeunesse le vieux quartier où leurs parents vivaient depuis des générations. Ensemble, ils avaient appris l'histoire de France sur les bancs vernis de l'école communale. Vers la treizième année, ils se séparèrent, appelés mystérieusement par une même voix intérieure à des destinées différentes. Ils avaient une vocation: Un Tel était poète, Bichromate était mécanicien. Suivre la courbe des choses, admirer la transparence des couleurs, chercher la raison de notre existence mouvante et mortelle, déchiffrer les manuscrits où le passé inscrit ses pensées si vite évanouies, tel était le métier du poète Un Tel. Forger un métal clair et souple, fondre des rouages harmonieux, en sorte qu'ils se complètent et se propulsent; donner aux choses inanimées, grâce à l'énergie des eaux et de la terre, une vie inattendue et formidable, tel était l'idéal du mécanicien Bichromate. Il avait le visage anguleux des mystiques, une chair de cuivre, des mains osseuses et dures. C'était un corps frêle et laid que soutenait et soulevait une force obscure. Vivant seul à seize ans dans une chambrette étroite et travaillant tout le jour chez un serrurier du parage, Bichromate, le soir, tel un alchimiste insensé, se construisit une forge de modeste calibre qu'il alluma pour l'effroi des voisins et son ravissement. Il possédait, pour tout mobilier, une armoire à glace en pitchpin, héritage de sa mère défunte; elle était emplie de ferrailles, de clous, d'outils effilés et brillants que le jeune artisan polissait avec tendresse. Des barres de fer rougissaient sur la forge improvisée dont le souffle emplissait la maison d'une rumeur d'orage. Aux heures fiévreuses de la nuit, la chambrette aux vitres brisées se transformait en une sorte de steamer. Parti à la découverte d'une toison d'or impossible, de quel audacieux navire Bichromate était-il l'indomptable argonaute? Parfois, pour les travaux importants, il prenait un aide, un de ces mercenaires qui forgent et liment sans âme. La chambre était étroite! Qu'importe: fenêtre et porte ouverte, le manœuvre battant les fers rouges sur le palier, le travail était accompli. Certes, les voisins, qui ne partageaient pas cet amour de la mécanique, pestaient sans douceur, injuriant l'artisan méconnu. Il faut, en notre monde injuste, poursuivre la réalisation d'un but implacablement; Bichromate, ayant décidé de se construire une motocyclette, stoïque, pièce à pièce, malgré la pauvreté de sa vie et l'opposition de ses voisins, forgeait sans défaillance. Maintes fois, il lui fallut vendre les pièces terminées, afin d'acheter la matière première qui devait lui permettre d'en forger d'autres. Un soir, son moteur, battant tel un cœur heureux de vivre, ébranla la maison de ses pulsations régulières, secouant les volets et les persiennes, faisant pleuvoir des plafonds une myriade d'écailles de plâtre. Le concierge, irrité, vint injurier Bichromate, le menaçant des pires sévices, voire de le faire enfermer dans un asile d'aliénés, mais cette intervention importune ne chassa aucunement la joie dont l'âme du mécanicien était irradiée. Le moteur marchait. Bientôt la motocyclette serait terminée, Bichromate, triomphant, traverserait son quartier, admiré des commères, acclamé des gamins, dans une apothéose de grondements et de poussières d'or, suivi des chiens irrités, tels jadis les Césars, accompagnés de fauves, entraient sur des chars de soie pourpre et de pierres précieuses dans la Ville éternelle. Un matin de printemps où le soleil embellissait les femmes, où les étalages multicolores des fruitiers semblaient être les plus beaux d'entre les jardins du monde, Bichromate essaya sa motocyclette. La machine froide et compliquée avait désormais des ailes et son ingénieux constructeur, frôlant à peine le pavé de la rue, s'envolerait jusqu'à la serrurerie du carrefour, celle dont on voit la clef d'or scintiller sur la porte noire. Il montrerait aux camarades éblouis l'œuvre qu'un ouvrier patient et génial peut réaliser au cours de sa jeunesse laborieuse, quand fuyant les plaisirs éphémères de la foule il s'absorbe en son rêve intérieur. Les commères se groupaient au seuil des antiques maisons, les midinettes couraient vers de galants rendez-vous, on eût dit un jour de fête. La motocyclette s'enleva, il y avait une fanfare dans le moteur. Pareil à l'arbuste qu'un afflux de sève fait reverdir en un jour, Bichromate se sentait une poitrine élargie, de plus vastes poumons, une force sûre et conquérante que nul obstacle humain ne saurait vaincre. Il triomphait. Hélas! le mécanisme le plus discipliné est trompeur. La motocyclette s'immobilisa, il fallut la démonter et remettre, une fois encore, sur l'étau l'ouvrage de toute une jeunesse. C'est vers cette époque que le jeune artisan connut la tyrannie de l'amour. Comme les hirondelles tournaient inlassables, le soir, dans la cour de la maison, il eut le désir de dormir sur une poitrine de femme et d'y oublier les joies et les amertumes de son labeur. Il rêvait d'une ouvrière jolie, à qui il offrirait une belle écharpe pailletée d'argent et qu'il promènerait, le dimanche, en de riantes banlieues. Ne soupçonnant pas que la femme est parfois volage ou intéressée, il imaginait qu'il pourrait être aimé pour son bon cœur et son courage. De jolies indifférentes passèrent qui dédaignèrent son admiration ingénue. Parce qu'il faut à l'homme une pauvre réalité, le consolant de ses rêves irréalisables, Bichromate prit à son foyer une vieille courtisane qui jadis avait été la maîtresse de son père. La ribaude, ne comprenant rien à la mécanique, maltraita les chers outils et but l'alcool à brûler de l'artisan. La guerre vint terminer cet amour sordide. Ce fut pour Bichromate une occasion imprévue de bricoler. Il fit des anneaux en aluminium et dut bientôt lutter contre une vile concurrence. En effet, les gens de l'arrière osaient sertir, eux aussi, des bagues qui n'avaient point reçu le sacrement de la flamme. Les anneaux s'ornèrent de trèfles à quatre feuilles et de croix byzantines; il y en eut de lourds et de tourmentés, surchargés d'acanthes; d'autres s'enroulèrent autour des doigts ainsi que des serpents. Bichromate poussa l'art subtil de l'orfèvre jusqu'à colorer de tons barbares les incrustations de ses bagues. Egalement, et ce fut sa gloire dans tout le corps d'armée, il inventa le découpage des jugulaires, cette mode orna de lauriers entrelacés tous les képis de l'infanterie française. Il arriva que ce soldat eut même l'occasion de se battre. Deux hivers s'écoulèrent. A l'orée d'un bois sonore, peuplé de fantassins, Un Tel et Bichromate se rencontrèrent. Se reconnaissant, ils se dirent des mots inutiles et charmants dont les soldats, en témoignage du bonheur qu'ils ont de se retrouver, fleurissent leur viril langage, --Tiens, c'est toi! --Oui, c'est moi!... Et toi? --C'est moi! Puis, en chœur, ils s'exclamèrent: --Ah! c'te vieille vache! Ce fut l'instant des confidences. Un Tel parla de la Marne, de la retraite, de ces temps où le doute régnait au cœur du soldat. Il évoqua les routes mauvaises, le vent des nuits froides, les patrouilles incertaines et tragiques. Bichromate répondit: --Toi qu'es intelligent! donne-moi un conseil. Mon père fut enterré, il y a quelques années, à Montparnasse; crois-tu qu'après la guerre je pourrai revendre le caveau à une famille honnête, habitant le quartier et qui désirerait une tombe pas trop éloignée? Un Tel s'étonna que la guerre tînt une si petite place en l'esprit de son compagnon; il ne comprit pas les raisons mystérieuses qui pouvaient motiver, dès la paix revenue, un aussi vif besoin d'argent. Et l'artisan de reprendre, afin de compléter sa pensée: --Quand je serai redevenu civil, il me faudra de l'argent pour finir ma motocyclette. LE VIEUX La figure amincie, ossifiée par la fatigue, l'œil fixe et dur comme un métal, le geste bref et concis, le vieux visite la tranchée. C'est l'heure matinale et confuse où le travailleur redouble d'activité, où le veilleur se fixe ostensiblement au créneau, car le vieux exige une tranchée propre, imprenable. On ne pourrait, au reste, l'abuser sur le travail accompli au cours de la nuit précédente. Il sait l'exacte profondeur du boyau et combien de sacs à terre surélèvent le parapet. Il impose à ses hommes un labeur constant, des veilles épuisantes. Jamais il ne pardonna la faiblesse ou l'erreur d'un subordonné, mais tel, malgré son intransigeance, il est sincèrement aimé de tous, car il représente le chef. Il est l'esprit du bataillon, cette conscience unique et clairvoyante, cette infaillible décision, sans lesquels une foule en armes serait vouée, quel que soit son courage, à la défaite certaine. Le soldat, dont le cœur ne s'embarrasse pas de vaine littérature, voulant exprimer à la fois la crainte et l'admiration qu'il ressent en présence d'un tel chef, dit de lui: --Le vieux, il est vache, mais c'est un as! Avec lui, l'homme est assuré de ne pas errer en vain, recherchant une route perdue. Le vieux ne risque son bataillon qu'à l'instant nécessaire, ayant scrupuleusement envisagé toutes les nécessités du combat, sans rien livrer au hasard. Etant donné le grave problème que l'attaque impose à ses troupes, il sait, sans erreur, la plus rapide et la moins sanglante manière de le résoudre. On le vit, à l'assaut, la tête froide, conduire son bataillon, le devancer dans la tourmente, le dissimuler au flanc d'une longue colline, le lancer enfin sur la butte qu'il fallait arracher à l'adversaire. Aucune émotion particulière n'animait ses traits, il ne ressentait aucune colère, il n'avait pas cette irritation que donne le danger. Ombre fine et droite, dressée sur la butte reconquise, il était une statue émouvante de la volonté. Ce soir-là, pour le fantassin couvert de craie, heureux survivant d'une journée triomphante, le vieux était le sauveur à qui l'on pardonne sa tyrannie parce qu'il sut être exigeant et sévère envers lui-même alors que la mort frôlait son visage. Au sortir d'une offensive, où le bataillon fut fauché par les mitrailleuses, le vieux réunit la centaine d'hommes qu'un hasard généreux avait épargnés et lui tint ce discours: --Mes amis, je voulais vous dire que vous vous étiez bien conduits! Merci! Il en fut de même partout où le 5e bataillon s'est battu. Ayez l'orgueil de ce que vous avez fait. Plus tard, vous pourrez dire à vos enfants: «J'étais à Tahure!» «Ayons une pensée, en ce jour, pour nos camarades morts au champ d'honneur. Hélas! Il en manque beaucoup à l'appel. Ils vivront dans nos cœurs. Leurs familles doivent être fières d'eux comme je le suis de vous tous! «Je vous ai demandé de vous battre. Vous vous êtes battus. Je vous ai dit de ne pas vous reposer encore. Il fallait terrasser, vous avez terrassé; j'ai reçu les félicitations d'un inspecteur du génie pour les travaux exécutés par le bataillon sur les positions conquises: elles vous reviennent. «Il nous faut laisser aux camarades qui nous relèvent des abris sûrs, une bonne tranchée. Je sais que tous les régiments ne comprennent pas ainsi leur devoir. Qu'importe! Ceux qui nous remplacent diront: «Bravo! Voilà un bataillon où l'on travaille; il est agréable de lui succéder.» «La guerre n'est pas finie. Le plus dur est fait. Nous nous battrons à nouveau, nous terrasserons encore; je sais que je puis compter sur vous. Ce fut une terrible lutte. Les anciens, et ils sont peu nombreux maintenant, ceux qui partirent avec moi à la mobilisation, se souviennent de toutes nos misères, de tous nos efforts. Partout où la France avait besoin de ses enfants, vous avez répondu: «Présents!» Vivants souvenirs: Vitry-le-François, où le régiment culbuta les armées du Kronprinz; l'Argonne, huit mois de lutte sauvage dans les bois; jamais le bataillon n'y perdit un pouce de terrain, nous avons maintenu nos positions; la tranchée de Calonne, où les grenadiers du 5e bataillon ont fait trembler de terreur le 22e poméranien; Tahure, enfin, dont vous êtes les vainqueurs. Quand je vous ai vus y monter si courageux, si beaux, vous ne pouvez vous imaginer combien j'étais fier de vous. Tahure, c'est le plus beau jour de ma vie! Je vous dois tout cela; une fois encore, merci! «Maintenant, un conseil: Vous êtes fatigués, vous avez droit à un repos mérité. Il y a longtemps que vous n'avez pas eu l'occasion de revenir à l'arrière. Vous êtes affaiblis, vous n'avez plus l'habitude du vin, ni la résistance d'autrefois. Vous allez boire. Quelques verres suffiront à vous enivrer. Je ne veux pas voir d'homme saoul dans les rues. C'est dégradant, et le soldat français ne peut se montrer dans un pareil état. Si l'un de vos camarades fait du scandale, que je n'en sache rien, ou, sinon, je sévirai. Cachez-le, emmenez-le dans son cantonnement. C'est compris. J'espère que je n'aurai pas à revenir sur ce chapitre. Allez. Je vous remercie.» Capitaine adjudant-major en temps de paix, le vieux vit mourir au début de la campagne ses deux fils, jeunes officiers enthousiastes. Il apprit ensuite la mort de sa femme que la douleur emporta. Le voici seul. Il marche, songeur, à la tête de son bataillon bruyant, perdu dans un rêve mathématique de victoire, chargé du poids invisible de son chagrin. Un Tel aime le vieux pour son énergie taciturne. La brusquerie du commandant le charme, car elle laisse deviner, sous une rude écorce, un cœur facilement ému, où couve une silencieuse bonté. Leurs rapports sont distants. Un Tel, néanmoins, à jamais gardera le souvenir du jour où le vieux daigna lui parler. Dans un petit village champenois, heureux de se retrouver lavé, peigné, rafraîchi, Un Tel rôdait, quand le vieux, accompagné du colonel, l'interpella. Au garde-à-vous, à dix pas, Un Tel fut présenté en ces termes élogieux: --Soldat Un Tel, mon colonel. Un brave. S'est distingué récemment. Un de mes meilleurs soldats. Je tenais à vous signaler sa belle conduite. Un Tel, boutonnez votre capote, je n'aime pas que l'on soit débraillé dans mon bataillon! Un Tel comprit ce jour-là le sens mystérieux de deux mots qui résument la vie du vieux, et celle de tout soldat: valeur et discipline. CEUX DE L'ARRIÈRE Les routes de l'arrière, sillonnées d'interminables cortèges, sont de trépidantes artères où afflue la vie française. On y voit des parcs d'artillerie, des abattoirs ruisselants de sang et d'eau, des centres de ravitaillement où la judicieuse répartition du sucre et du café se complique de paperasseries savantes. Souvent, à la faveur de la nuit, il se fait à l'arrière un formidable commerce. Les autobus, chargés de viande abattue, ronflent sourdement. Les fourgons, les fourragères, les caissons groupés symétriquement sur les vastes quais de gares s'emplissent de victuailles, de foin et d'obus. Les petites villes sont toutes sonores de mille cris, et cette ruche immense, aux mouvements ordonnés comme ceux d'une belle machine, travaille avec la joie consciente de fortifier le front. Que si les ouvriers de ce tumulte ne sont pas d'un métal aussi pur que l'homme des tranchées, modestes artisans de l'œuvre nationale, collaborateurs indispensables de l'effort français, ils n'en font pas moins un dur et méritoire labeur; voire même, ils ont parfois l'occasion de se montrer courageux. Courtejambe, jadis brillant élève de l'Ecole des Chartes, conservateur d'une intéressante bibliothèque picarde, ayant dormi d'un lourd sommeil, non sans avoir rêvé aux odes virgiliennes dont l'harmonie chante encore en son cœur de serre-frein au train des équipages, une certaine aube s'éveilla, brusquement, dans une grange où bêlait un peuple de brebis. Une fois encore, il fallait atteler le camion qui mène vers le champ de ravitaillement les boîtes de potage salé dont se substantent les soldats. --Certes, le métier est sans gloire. Mais ne faut-il pas que le travail modeste des faibles seconde habilement l'éclatante bravoure des forts? M. Toulemonde ne doit pas être forcément un Léonidas. Les gens de l'arrière forment une tribu de pasteurs, de meneurs de troupeaux, de convoyeurs, de poètes, d'épiciers qui acceptent le sacrifice d'un effort obscur, afin que rien ne manque aux légions armées qui les défendent. Ainsi philosophait Courtejambe. Dans l'ombre, il entendit un bruit étrange. Surgi du mystère de la nuit, couvert de paille et de boue, un homme se dressait, soudard au visage battu des lendemains d'orgie, qui contemplait avec stupéfaction les êtres et les choses de son entourage. C'était un Allemand. Perplexité: Lequel de ces deux guerriers arrachés au sommeil était désormais prisonnier? Orgueilleux cri du coq gaulois, une voix faubourienne et rassérénante chanta: _Le pays des fruits d'or Et des roses vermeilles_. Nul doute, on était toujours en terre française, et ce chant attestait la joie d'un cuistot voyant bouillir le jus matinal. Alors, inflexible et correct, en quelques phrases lapidaires dont la perfection est à l'honneur de notre Sorbonne, le Français s'assura de la personne ahurie de son adversaire. Ce ne sera pas sans un légitime orgueil que, plus tard, le cavalier Courtejambe, grave bibliothécaire revenu aux poussières de ses livres, contera aux enfants éblouis de sa petite ville l'arrestation qu'il fit d'un très authentique fantassin allemand à vingt kilomètres en arrière de nos lignes. Un Tel donne raison à ce Français qui, peu doué pour les combats, préféra brouetter des boîtes de potage que de se perdre et de perdre la France en des discussions byzantines alors que le Barbare éventrait nos portes du Nord. En ce doux pays qui est le nôtre, où l'on se bat à qui aura l'honneur de se battre, toute chose ayant actuellement sa juste place, il est bien que chaque veilleur posté au créneau soit doublé à l'arrière d'un auxiliaire dévoué qui lui prépare sa vie et lui recharge ses armes. Mais il est, hélas! un extrême arrière démoralisant où fleurit l'amateurisme de la guerre. De jeunes hommes y jouent avec élégance le rôle du soldat, voire même ils en tirent d'inestimables succès. Ces bataillons d'inutiles paralysent l'effort public, ils sont une source d'inquiétude et de rancœur pour le combattant, lequel avec raison souffre qu'un peu de gloire ennoblisse des usurpateurs. Courtejambe, modeste et dévoué, participe à la servitude des armées sans en connaître la grandeur, alors que les amateurs de la guerre, dans leur orgueil criminel, ne veulent en goûter que les fruits dorés. De tout temps, l'amateurisme fut une petite fièvre qui, ne nuisant à personne, ravissait son heureux possesseur. L'amateur, sans chercher vainement à découvrir le mystère et la science des choses, pratiquait tous les métiers avec candeur et touchait aux arts prestigieux en souriant. Quitter la besogne coutumière, être parfois un homme nouveau, tel était le rêve de l'amateur; il le réalisait le dimanche sans prétention, avec cette bonhomie bourgeoise qui est une des parures de notre caractère national. L'amateurisme a une tradition et de grands ancêtres. Lorenzaccio, élevé pour régner, fier adolescent promis à la couronne et qui devint le plus exquis des régicides, fut un amateur. Le chevalier de Bussy-Rabutin, professionnel charmant l'amour, qui pour se divertir écrivit en un fort beau style à sa cousine Mme de Sévigné, cultiva l'amateurisme. Le citoyen Capet fit de la serrurerie, et M. Ingres joua du violon. Amateurs de l'art: elles l'étaient si joliment, ces demoiselles gantées qui, sur les plages mondaines d'avant-guerre, peignaient de frêles aquarelles où elles donnaient à la mer miroitante une couleur de praline. Amateur de la politique: qui ne le fut, aux heures tourmentées où les convictions s'exprimaient à coups de canne? Encore que la guerre ne fût pas «fraîche et joyeuse», ainsi que la rêvaient les hobereaux allemands, elle connut, malgré ses horreurs et ses pestilences, son amateurisme. Stratèges incohérents penchés sur des cartes dérisoires, généraux de plume et combien peu d'épée, maniant à la fois les sophismes les plus contradictoires et les armées, ancien insurgé déguisé en bon berger, tels furent nos amateurs de la guerre. Ils la firent dans les salles de rédaction, les salons académiques et les brasseries littéraires, alors que toute la jeunesse de France agonisait dans les nouveaux champs catalauniques. Pourtant, malgré l'infamie de ces amateurs, Un Tel n'ignore pas que certains, dont l'exemple ne fut pas suivi, poussèrent leur amour de la guerre jusqu'à la faire eux-mêmes. Ils se battirent, courageusement, comme les autres, et moururent. Ils avaient, ces nobles camarades, délaissant l'amateurisme de la guerre, à travers les périls et les malheurs, préféré devenir des professionnels de la gloire. Un Tel aimerait à voir les diseurs de bons mots, les propagateurs d'énergie, les évangélistes de la patrie, imiter cet exemple. Les marchands de papier de toutes nuances ne devraient pas ignorer que les meilleures pages de notre histoire furent écrites avec du sang. Au moins, faudrait-il que la veulerie de l'extrême arrière, ajoutée à toutes les misères de la campagne, ne vînt pas diminuer l'énergie du combattant et sa volonté de victoire. DE L'AMOUR Les missives chargées de joie ou de douleur sont toute la vie du soldat. Selon ce qu'elles recèlent en leurs plis parfumés, elles lui font une âme ardente, sereine, amère, lumineuse. Il est de durs faits de guerre, nés d'une faible histoire d'amour. Un tendre mot, l'évocation d'une promenade nocturne, le rappel d'une ancienne caresse, suffisent à ranimer le courage expirant, à susciter les colères nécessaires, à nourrir la force du combattant. Un couple vivait heureux, la guerre survint; ce qui semblait être le plus inconnu des contes de fée est devenu une légende d'infortune: toutes les amours connurent alors le plus cruel des déchirements. Le fantassin Lejeune est un gaillard vigoureux et calme. Plus discipliné que brave, il accomplit ses devoirs avec une ponctualité d'employé. Il a en Argonne une ferme cachée sous la verdure; des chevaux et des bœufs somnolent dans ses prés. Il épousa une voisine gracieuse et bonne ménagère. Enfin, comme tous, à la mobilisation, il dut abandonner sa maison, qui bientôt fut cernée par les uhlans. Puis, les colonnes de von Kluck reculèrent, et Lejeune reçut une lettre de sa femme: «J'ai eu bien peur, disait-elle, le canon tonnait terriblement et chaque coup m'arrachait le cœur. Quand nous les vîmes arriver, nous nous cachâmes en forêt; mais, un soir, je voulus revoir notre ferme: j'étais avec la servante. Près du calvaire, un officier nous attendait. Je tremblais toute. Il vint à moi et, riant, il posa son casque sur ma tête. C'est tout. Il ne m'est rien arrivé d'autre...» Lejeune ne put lire plus avant. Il lui importait peu que les ennemis eussent pillé sa ferme, emmené ses chevaux. Pour l'instant, il ne voyait plus que le geste galant de l'officier posant sur la blonde tête de sa femme le casque orgueilleux. «Il ne m'est rien arrivé d'autre», disait la lettre. Etait-ce l'entière vérité? Fiévreux, le doute surgissait! Le soldat se sentait irrité contre les idées incertaines qui le venaient assaillir. Le sang lui montait du cœur aux yeux, avec les larmes. Poussé par une volonté féroce de détruire, il prit un couteau de tranchée et sortit dans la forêt traîtresse des fils de fer. Il se colla au tronc d'un vieux chêne et, malgré la pluie qui lui cinglait les reins, obstinément, il surveilla la ligne ennemie. Une escouade allemande rôdait; on entendait un bruit sec de branches cassées. Lejeune, en rampant, rejoignit un des patrouilleurs et, pareil au pasteur qui, jadis, levait sur l'agneau de sacrifice un glaive implacable, il le décapita. Il fut abattu, tenant en ses mains ensanglantées la tête de son adversaire. Ce paisible soldat, honnête fermier sans ambition ni vaillance, mourut au combat avec la rage héroïque d'un fauve, parce qu'il fallait que fût vengée sur une tête ennemie l'injure faite à la belle tête adorée. Une fusillade crépita, des ombres sortirent des petits postes, le tonnerre des artilleries ravagea la forêt, et le communiqué apprit à la France que nous nous étions rendus maîtres d'un élément de tranchée très important. Une petite lettre d'azur, à l'écriture penchée, avait déclenché, ce soir-là, dans la Woëvre, un combat imprévu, et paré d'un nouveau laurier nos armes triomphantes. Il naît, sous les obus, des amours nombreuses. Le danger constant, la présence de la mort, la vermine et la boue donnent à ces passions une intensité imprévue; elles sont d'autant plus violentes que le destin les veut éphémères. Le retour à l'arrière inspire aux jeunes hommes un vif désir d'aimer. Qu'elle soit bourgeoise, paysanne ou ribaude, la femme sera toujours parée, aux yeux du soldat, d'un charme émouvant. Elle incarnera, même sous des haillons dérisoires, la joie somptueuse de vivre. Le bataillon descend au repos. Il envahit une sucrerie dévastée où des miséreux, parqués comme des bêtes, font chauffer sur une forge abandonnée leur pauvre soupe. Irrités de rôder dans la nuit, les soldats maugréent contre leur sort infernal, délaissant leur vaillance coutumière. Mais les hommes ont vu se mouvoir, auprès des brasiers improvisés, de pâles émigrées, fines ombres des anciens bonheurs, tendres évocations des paradis perdus. Elles n'ont aucune des parures qui rendent les femmes désirables et les font pareilles à des divinités souriantes. Pour les séduire, néanmoins, les soldats chantent des romances où se heurtent naïvement la joie des amants satisfaits et la douleur des amours contrariées. Le bataillon a retrouvé son orgueil prétorien. Une allégresse monte dans le cantonnement bohème, des folies d'un jour couvent sous les regards: on dirait une folle kermesse en quelque village souriant des Flandres. Les obus rasent en chantant, eux aussi, la toiture de la sucrerie. Les Parisiens évoquent, en chœur: _Mirella, ma jolie_... et toutes les pimpantes vierges qu'ils aimèrent, petites ouvrières alertes comme les oiseaux. Les Bretons aux yeux bleus se souviennent des luronnes endimanchées qu'ils entraînaient, au sortir des noces, dans la campagne ombreuse: _Pour avoir fille et garçon Comme les autres._ Les gars de toutes les provinces qui, jadis, courtisaient les filles sur le mail embaumé, rêvent à leur passé viril et conquérant. Les poitrines se bombent, les cœurs battent plus activement. De petites émigrées, venues des villes incendiées du Nord, échappées aux balles qui les poursuivaient, ont su réaliser ce miracle heureux: rendre au bataillon épuisé le courage et la confiance nécessaires. Les femmes ne sont-elles pas, êtres mystérieux à l'âme captivante, plus encore que la valeur et la discipline, la force invincible des armées? DE L'IDÉE DE DIEU Un Tel se souvient qu'autrefois il jouissait des matins splendides, dans les jardins de lumière et d'eau vive. Maintenant, dans la tranchée, il est indifférent à la beauté des choses. Jadis, à l'aube, quand les cantonniers arrosaient les rues encore désertes de la capitale, il avait des carillons au cœur; les fraîcheurs de l'aube l'enivraient. Cette sainte exaltation est morte. Son orgueil vaincu, ses rêves évanouis, Un Tel se découvre faible et désemparé devant la destinée. Cette mort de l'imagination, chez un poète, est lente comme le départ silencieux des vieillards. Il est triste de sentir sa jeunesse mourir, exténuée, vaincue, loin de la maison où elle prit son présomptueux essor. Il semblerait alors que tout point d'appui se dérobe dans l'espace. Un Tel est pareil à l'oiseau qui traverse le ciel vaste, cherchant vainement une branche pour se reposer. Mais le désir de croire et d'aimer, le besoin d'admirer la nature et de découvrir au delà du ciel des mondes éternels et prestigieux sont des blessures heureusement inguérissables qui, à peine refermées, s'ouvrent et saignent à nouveau. Une foi nouvelle... mais elle se lève, tel un brouillard lumineux, de la ligne de terre qui, de la mer aux Vosges, atteste la présence des armées. Chaque soldat la porte en lui, confuse, inexplicable et vivante. Dans tous les lieux où des troupes ont souffert, où des hommes reposent sous le champ reverdissant, les femmes, les enfants, les vieillards ont senti que naissait en eux une religion nouvelle. Après la Marne, derrière les presbytères, les tombes des soldats devinrent un lieu de pèlerinage. Ici, il y a sept tombes: trois d'entre elles portent des croix sans parure, ce sont des tombes allemandes; les tombes françaises sont ornées de drapeaux et de palmes. Le curé, le soir, réunissant les fillettes du village, les fait prier pour les héros qui moururent afin que soient reconquis la forêt, le fleuve clair et les champs. Couronne adorable de jeunesse et de douceur, les petites entourent le tertre funèbre, joignant leurs mains jolies. La prière du soir terminée, dans la nuit survenue, le maire, un athée notoire, vient à son tour honorer les tombes. Ainsi un culte naissant, une piété commune réunissent le prêtre et l'athée. Un soir ils se rencontrent. Eux qui jamais ne se causèrent, adversaires irréductibles, les voici, face à face, animés d'une même pensée. Ils ne se diront aucun des vains mots que l'homme créa pour exprimer les mouvements de son âme, mais ils comprennent, l'un et l'autre, que leur pauvre cœur avait un même besoin d'aimer, au delà des discordes et des misères du siècle, une insaisissable et pure beauté. Ce désir de sortir du cadre où l'humanité nous tient, Un Tel le partage. Au repos, son bataillon envahit l'église. Un Tel se rend à l'office. Les cérémonies cultuelles avivent en lui le souvenir des anciennes croyances. D'entendre le mâle chœur de la soldatesque s'élever sous la voûte ogivale, joint aux voix dolentes des paroissiennes, il revoit sa première communion et la ripaille qui la fêta. Toute la famille était assemblée. On but maintes bouteilles. Ce fut une orgie rayonnante, embaumée d'encens, dont le souvenir laissa dans l'âme déjà complexe du communiant une fraîcheur forestière. Un dimanche des Rameaux, Un Tel s'en fut à la messe, dans une toute petite église, bien trop petite pour contenir l'armée accourue. Un Tel resta à la porte du sanctuaire, dans le cimetière verdoyant. Des vieilles femmes, des enfants, priaient parmi les tombes. Une mignonne fillette montait sur les pieds d'Un Tel, afin de mieux voir l'office. Une infirme, assise sur un talus, ses deux béquilles auprès d'elle, chantait les cantiques monotones de la Passion. Un soleil clair, un soleil joyeux, embellissait toutes choses et donnait au buis apporté par les campagnardes une fraîcheur d'eau et de forêt. De la chapelle sortit, soudainement, un cortège rustique d'enfants de chœur que guidait un prêtre portant une palme et un gros bréviaire. Le groupe vint auprès d'Un Tel. Le prêtre chantait le psaume latin d'une voix profonde et, quand il tournait les pages de son bréviaire, la palme frôlait la chevelure du soldat. Il semblait à Un Tel que, dans la simplicité du matin, toutes les divinités du monde désiraient que fussent fêtées les verdures naissantes et la victoire prochaine. Il y avait, non loin du cimetière, en un sentier discret, un amour d'un jour qui s'ébauchait entre une fermière aimable et un cavalier. Les spectacles de la guerre ont engendré, chez tous ceux qui les connurent, un désir d'irréel. Des simples, avec la foi des anciens âges, virent au ciel de Dixmude un drapeau qui flottait dans une étoile. Un Tel, pareillement, incline à désirer le surnaturel. Un mysticisme est né de la guerre, qui ne saurait mourir avec elle. Cette foi, qui ne se relie, à l'heure actuelle, à aucune confession déterminée, reportera-t-elle, vers des buts humains, une force, une passion à de meilleures fins réservées? Peut-être, au contraire, Un Tel gardera-t-il égoïstement, pour lui seul, en son cœur, et par amour de l'indépendance, cette poésie inexprimée dont le rythme le charmera. Puissent alors ces paysages de lumière intérieure lui faire oublier les vulgarités de la vie et lui donner la paix et le bonheur que les faibles hommes demandent aux religions. Le croyant et l'athée ne pourraient-ils se réunir en l'esprit inquiet d'Un Tel et, conjuguant leurs espoirs contraires, lui donner une foi harmonieuse et parfaite? Si Dieu fit l'homme à son image, Un Tel, que les méditations de la tranchée et les aventures guerrières ont transformé, rêve d'un dieu qui serait semblable à l'idée qu'il s'en fait, un dieu latin, compatissant aux faiblesses des hommes et qui bénirait l'amour et la joie, un dieu ami de la nature et qui permettrait qu'on l'estime dans tout ce qu'elle a de charmeur et de voluptueux. LE NOËL BARBELÉ C'est l'hiver. L'existence du soldat est féerique et douloureuse. En ligne, Un Tel brûle des racines et des sarments, car il est glacé, immobilisé par le froid, semblable à ces cadavres anonymes qu'enveloppe, sereine et silencieuse, la magie de décembre, l'âme du veilleur devient âpre et sauvage; elle ne parvient à s'adoucir qu'au repos, dans la cagna, en contemplant la danse étincelante du brasier. Au loin, les ruisseaux argentés et les pins vernis donnent au paysage le charme naïf et détaillé de ces peintures primitives hollandaises que peignirent de cordiaux aubergistes, fumeurs de pipes et buveurs de pintes. Mais Un Tel ne peut admirer les aspects de l'hiver; leur charme grave échappe forcément à ses yeux, la nature étant, avant tout, la complice du soldat, celle qu'on utilise ou ravage sans autre raison que d'obéir aux violentes nécessités de la guerre. Un Tel évoque les jours évanouis où il aima les bois, les nuages et les eaux pour leur seule beauté; il ne devinait pas alors qu'une tragédie se préparait, lointaine, menaçante, et qui marchait avec les armées, entre ciel et terre, dans la voix des clairons. Le vent qui tourne en folle rafale cingle le sang. Voici venir l'effrayante nuit où les mille embûches de l'ombre vont se dresser autour des petits postes. La terre se désagrège. La sentinelle a de la terre sur les lèvres et dans les yeux. Les étoiles ont déserté le ciel. Dans la guitoune enfumée, l'escouade attend le retour de la corvée de soupe. Pauvretés des bas-fonds où rôda Gorki, fraternelles douleurs des révolutions, regrets des illusions mortes, deuils, amertumes, impuissantes colères, toutes les misères du monde, qu'êtes-vous, comparées à la grande misère actuelle des peuples? Les obus sifflent dans la nuit froide de Noël. Un Tel veille, fier de ne pas être mort au cours de cette année de combats farouches où il fallut, pied à pied, défendre la terre. Il songe aux compagnons abandonnés, la poitrine trouée, dans un champ anonyme, sous les pluies de feu. Une année historique finit, qui ne verra pas, à son départ, les orgies de ses devancières. Elle est un être invisible et parfait qui pénètre dans les jardins éternels. Sa forme pure se dresse au ciel de l'histoire, architecture élevée avec des pleurs, du sang et des sentiments absolus. Malgré les mécanismes formidables, les coalitions d'argent et toute la puissance destructrice des barbares, les peuples épris de liberté résistèrent. Noël! Noël! Les mots sonores: liberté, droit des peuples, justice, indépendance, défense des nations opprimées, ne sont plus de vaines parures, d'éclatants pavillons abritant les corsaires de l'idée. Noël! L'émigré croit à la victoire prochaine de ses défenseurs. Il aspire à bientôt revenir dans sa vieille ferme où des coqs querelleurs ensanglantaient la cour. Peut-être parviendra-t-il à réunir le troupeau perdu lors de l'invasion et qui partit, sans berger, vers une confuse destinée, image des légions sans âme et sans discipline. Dans sa demeure silencieuse, la mère, sans nouvelles du fils, et qui regarde passer des troupes inconnues, espère. Peut-être l'enfant n'est point mort; peut-être, replié dans la tranchée, cœur fiévreux battant au cœur de la terre, songe-t-il à sa mère. Noël! Les épouses, les enfants candides, les vieillards affligés répètent les syllabes joyeuses, nom prestigieux qui charme le cœur de tous les combattants, meneurs de bœufs, ouvriers révolutionnaires, prêtres ou rois. Il est des îles froides, des enclos où les prisonniers sont parqués comme des bêtes; un vent de France, un vent vif où survole l'arome des forêts et le parfum des femmes, y chante, fier et berceur comme la mer, un cantique d'espérance et de libération. «Vous reviendrez, prisonniers, dans la patrie frémissante, vous embrasserez vos compagnes et vos enfants sur les quais des gares bien-aimées!» Minuit, voici le minuit magique des chrétiens, le minuit de vieilles civilisations; sa mystérieuse douceur s'impose à la nature; mais, furieuse, indifférente à la beauté de l'heure, l'escouade attend encore le retour de la corvée de soupe. Un Tel évoque, image consolatrice, les Noëls de son enfance. Le 24 décembre, au crépuscule, il faisait la tournée des crèches; certaines étaient pompeuses et riches, d'autres possédaient un charme ingénu. Leur paille où dansent les petits rayons de la veilleuse rouge, les splendides rois mages et le nègre qui porte en ses bras des coffrets d'or l'enthousiasmaient. Les bergers, joueurs de cornemuse, dont les cheveux sont bouclés, ainsi que la blanche laine de leurs moutons, l'enchantaient. Jolies crèches toutes couvertes de neige, où l'étoile annonciatrice, pendue sur le râtelier de l'âne, attestait la présence des choses divines, comme vous étiez belles! La neige, cruelle au soldat, faisait votre beauté. Sans elle, il n'est de rois mages sympathiques et l'enfant pardonne à Gaspard, Melchior et Balthazar leur fortune, et les riches parfums cachés en leurs robes d'or, parce qu'ils rôdèrent en des chemins glacés, partageant avec les arbres de Judée la misère de l'hiver. L'escouade attend toujours le retour de la corvée de soupe. Un seul homme, les bras chargés de victuailles, apparaît enfin au carrefour du boyau de la tranchée. Il s'affale sur la banquette du parapet. Où sont les autres? Un murmure court dans les gourbis. Lepape, le jeune Breton de la dernière classe, est revenu seul. La corvée a été fauchée par un bombardement. La troupe sera privée de vin et de café, une nuit de Noël, alors qu'il eût été juste de faire ripaille et de s'enivrer. Lepape est silencieux, malgré les multiples interrogations. L'ombre ne permet pas de voir le sang noir qui coule à son front. En effet, blessé, alors que le canon-revolver rasait le boyau, emportant la tête du compagnon qui le devançait, il est revenu, le crâne ouvert sous son casque enfoncé, dur à la souffrance, fidèle à la mission qui lui incombait. Le petit Breton ne partagera pas le riz glacé du festin de Noël, car il agonise. D'une voix simple, où ne semble même pas gronder le regret de mourir, il dit, humble constatation d'un paysan que son délire exalte ou suprême éclair de vérité: --Voyez-vous, les amis, nous disparaîtrons tous. Il y en a qui vivent de la guerre... les autres en crèvent. _A Denise Real A Max Barbier en hommage_ LE SANG VERSÉ Les villages de l'arrière qui connurent l'invasion et la délivrance sont peuplés de troupes bigarrées, dont les bivouacs de fortune semblent être des cités nègres improvisées au cœur des ruines. Bientôt, au pas de parade, acclamés des paysannes et des enfants, les soldats vont partir. En route! Les fantassins d'azur défilent en chantant. Chaque compagnie a son fanion archaïque et coloré, brodé d'or, où de pourpres lémures, des éléphants blancs et des crânes se convulsent sous des noms glorieux: Bolante, La Grurie, témoignages de combats dans les forêts tragiques. Les bataillons avancent, suivis de leurs trains régimentaires, de leurs cuisines roulantes enfumées, où trônent des maîtres-coqs hilares, et de leurs brancardiers qu'un moine botté conduit paternellement. Voici les chasseurs à pied, alertes et crânes, satisfaits d'être admirés. Le tambour-major, menant sa clique juvénile, bombe le torse, comme si de sa vaillante et seule poitrine devaient sortir les multiples fanfares qui feront s'émerveiller les enfants accourus. Sur les routes, les arbres où joue le vent semblent avancer; les nuages mobiles, entraînés, dirait-on, par les cuivres allègres, suivent, eux aussi, les petits chasseurs. Soulevant des poussières d'or, l'artillerie traverse les villages dans une rumeur d'orage. Chevaux, hommes, canons sont attachés les uns aux autres, comme si les épreuves subies en commun les avaient à jamais unis. Les avant-trains, chargés d'objets hétéroclites: armes, objets de cuisine, voire parfois, surmontant cette architecture, une mandoline, évoquant les déménagements parisiens que chanta Rictus. La boue des marécages et la craie des routes ont patiné les roues des voitures, où des branchages s'entrelacent. Si bien que, misérable et splendide, ce défilé a de mâles allures d'entrée barbare et triomphale dans une province durement conquise. L'armée traverse la forêt mystérieuse. D'étroits gourbis, de sombres cagnas, des maisons recouvertes d'armatures et de blindages apparaissent sous les voûtes verdoyantes. Il en sort une musique aux rythmes lascifs, orientale et légère. Quel pastour joue si joliment du pipeau sous le sifflement magique des obus? C'est le camp marocain. Un robuste guerrier souffle en un mirliton primitif, taillé dans une branche de sureau. Au pied d'antiques arbres, s'épouillent de grands enfants cuivrés et rieurs aux dents éclatantes; ils saluent «Li cam'rades aux manteaux bleus», et d'aucuns, ayant fait macérer dans le jus de l'ordinaire des plantes aromatiques, offrent affectueusement ce breuvage composite aux compagnons d'aventure qui demain partageront leurs dangers. La nuit s'écoule, traversée d'éclairs. Voici l'aube. Las de dormir en des granges aux toits défoncés, sur la paille pourrie, et d'être éveillés par le cortège errant des brebis, dont les voix de cristal brisé semblent pleurer sur le sort des campagnes, les hommes sont heureux d'avoir goûté un rude repos, le visage tourné vers les astres. Fine Oreille, Parisien gouailleur, serviable et courageux, descend à la soupe; il lave ses marmites à la petite fontaine aux eaux vivantes qui demeure, témoignage d'un passé calme, au centre du village abattu; il les fait remplir à la cuisine roulante, il attache les pains de l'escouade à sa ceinture et, savourant l'odeur alléchante et chaude des lentilles, il revient à la tranchée où l'espèrent ses compagnons affamés. Tout le jour se passe dans l'attente. Des avions aux ailes d'argent traversent le ciel; ils ont la grâce des étoiles filantes, et le vrombissement de leurs moteurs ajoute à l'anxiété de l'heure une magie harmonieuse. Longeant les étroits boyaux qui mènent à la première ligne, les bataillons s'avancent, d'un pas égal et fort, pareil au rythme assourdi du flux entre les rochers. Sinueuse, ainsi qu'un reptile, route sonore creusée dans la terre frémissante, la tranchée Y dessine aux yeux troublés de l'adversaire l'implacable et savante géométrie de ses pare-éclats. Les obus qui la fouettent ne peuvent affaiblir la vigueur de ses murs. Elle sait garder, résistant aux rafales d'acier, et malgré les agitations qui l'emplissent, une paix extérieure, visage viril où s'affirme une vie passionnée. Fleuve orageux, le sang de France court en ses étroits boyaux. Voici l'alerte! Sirènes du crépuscule, aux voix tragiques et charmeuses, des obus filent en chantant. Tels des jets d'eau, jaillis d'un sol magique, se lève une moisson de baïonnettes lumineuses. Un Tel s'arque pour mieux bondir, car l'instant est venu de quitter la tranchée, où furent jugulées tant de justes colères, la tranchée froide, cruelle, fatale, mais qui, malgré la boue stagnante de ses boyaux et le sanglant mystère de ses parois, n'en est pas moins une libre avenue, courageusement ouverte à l'espérance française. Le clair martèlement d'invisibles mitrailleuses se répercute, en troublant écho, dans la poitrine des combattants. Un Tel, retenant l'élan qui l'emporte, écoute retentir en lui ce rythme égal et continu qu'il croit être le cœur vivant de sa destinée. Les adversaires se rejoignent, cependant que la mitraille déchire leurs légions parallèles. Dans le vent de l'assaut, les mélancolies des nuits pluvieuses et les amertumes de l'attente se dissipent. La tranchée Y, cuve où fusionnaient les énergies d'une foule, vient d'éclater, projetant au front de l'ennemi des groupes d'athlètes fortifiés par l'âpre désir de vaincre. Il faut avancer avec calcul, en liant aux fils lumineux du temps une volonté dont le plus sûr ressort est l'indépendance, et cette discipline qu'il importe d'observer en présence des réalités sévères de la guerre moderne répugne à l'audace d'Un Tel. Dans la mêlée, le soldat est escorté de souvenirs et d'images; la caresse légère d'immatériels baisers frôle son front et certaines heures, qui lui furent douces, renaissent, lumières sereines, en ses yeux où le dernier hiver glaça de pauvres larmes. Mères aux douleurs voilées, amantes nues comme des fleurs, enfants joyeux, toute la théorie des êtres qu'il chérit entoure et protège le combattant. Il faudrait être cruellement infortuné pour n'avoir pas auprès de soi l'ange gardien dont le visage irréel console et fortifie. Le simple berger, descendu des cimes bleues où il jouait rêveusement avec les étoiles, a su plaire à la pure Virginie qui l'espère. Le paysan robuste, l'insoucieux bohème ont, eux aussi, des belles chairs jeunes, et ces guerriers enamourés connaissent les plus riches des fêtes intérieures, grâce aux voluptueux souvenirs qui les accompagnent. Evoquant l'exquise blonde qui paraît sa vie, Un Tel, las de courir, s'arrête près d'un bouquet d'arbustes. La féerie des explosions l'entoure. Des bombes fusent, pourpre couronne, à la cime des arbres; leur mitraille fauche les jeunes branches et hache les troncs antiques. Des obus, ayant dessiné d'invisibles courbes sur la moire délicate du ciel, se jettent vertigineusement dans une rivière, y faisant jaillir d'éblouissantes gerbes d'eau. Efficace soutien des assaillants, les explosifs s'abattent en rafales implacables sur les rangs adverses, broyant les armes, les casques et les têtes. Des géants roux, crucifiés au sol, sombrement agonisent. Ils rêvaient de stupres grandioses dans Paris illuminé, de bruyantes beuveries, de joyeux massacres en des parcs élégants. Il fallut, pour briser ce délirant orgueil, qu'un éclat d'acier se plantât dans leur poitrine, qu'une épine de fer s'enfonçât dans leur tête dorée, comme si quelque orfèvre démoniaque, désireux de fêter ces tyrans vulgaires, avait orné de perles de sang leurs masques révulsés. Les folles voix des courageuses alouettes se sont tues, afin que l'homme, éloigné des choses familières, écoute chanter dans l'air multicolore du crépuscule l'_Angelus_ berceur de sa vieille église; mais les échos ne répercutent que le torrent des canonnades. Soudain, Un Tel perçoit moins distinctement le tumulte de la mêlée. Semblable au rythme errant des mers, que l'enfant aime à retrouver incurvé dans les coquillages, un bourdonnement emplit son oreille, musique lointaine dont les douces inflexions blessent délicatement ses nerfs. Une flamme consume sa poitrine, faible, vacillante, mais volontaire, et cet humble feu de bivouac, allumé sous les chairs, a des cruautés de bistouri. Un Tel est blessé et, tandis que son bataillon poursuit une course orageuse, confus d'être frappé sans qu'une particulière aventure le distingue de tous ses compagnons égorgés, il se replie dans le tragique isolement de la douleur. Près de l'onde trouble où voguent, telles des îles flottantes les arbres abattus, il panse sa chair qu'un éclat déchira. Le péril dont il est entouré active les souples ressorts de son être et décuple sa volonté. Il éprouve à soigner sa blessure une joie d'enfant, car rien n'exalte mieux un combattant comme de connaître l'âpre délice de vaincre la mort. Les côtes lointaines où flamboient les éclairs rapides de l'artillerie sont caressées par les ombres nocturnes. Irisant la nue, une étoile unique, gardienne avancée des célestes jardins, affirme, en présence des hommes éphémères et de leurs irritations, le calme résolu des choses éternelles. Des brouillards délicats montent de la rivière, et leur grâce lumineuse, en auréolant les collines, incite aux rêveries champêtres. Sentant croître sa fièvre, Un Tel, que la gravité du soir émeut, erre à la recherche d'une ambulance. Dans un bois, défriché par la mitraille, à travers les buissons d'épines où respire le printemps nouveau-né, il suit magnétiquement un chemin d'ombre, guidé par son instinct courageux. Le canon s'est tu. Les petits des tourterelles, abrités en leurs nids verdoyants, écoutent chanter leurs mères. Un être est là, boueux, genoux en terre, les bras tendus vers le dernier des cercles de lumière brûlant encore au ciel, un mourant, dont l'harmonieuse plainte, pure source jaillie d'une âme martyre, se joint au chœur aérien des choses. C'est un Marocain à la chair olivâtre, aux yeux d'enfant perdu, ancien maltôtier des ports orientaux qui jadis exhibait des muscles élastiques sur les clairs débarcadères, entre les montagnes d'oranges et les fûts de vin noir. Un soir, où la mer miroitante avait des alanguissements de femme, un berger lui tatoua sur la tempe une étoile, le destinant à la sereine adoration du firmament. Aussi, mutilé par un obus, étranger en ce climat de France, implore-t-il son Dieu, lequel, baignant sa nudité superbe, en un ciel de jets d'eaux parfumés, doit jouer là-haut avec des bouquets d'astres. Jamais Un Tel n'avait imaginé qu'une nuit viendrait où il lui faudrait veiller la mort d'un Africain, guenilleux et dévoré des poux. Ainsi, toute voix humaine étant fraternelle au soldat qui se meurt, bercé par les doux mots qu'il ne comprend pas, et s'efforçant de ranimer en lui l'image évanouie de sa maison natale, le tirailleur agonisant revit à sa dernière heure sa jeunesse sauvage et les soirs embaumés où, traversant le ruisseau chanteur, il serrait en ses bras heureux une mignonne amante, tant il est vrai que le souvenir amer et joli de l'amour est le compagnon fidèle de la mort. Un Tel s'en fut en songeant que le destin du soldat est entouré d'un verre fragile. Vienne le moindre orage, la prison lumineuse se brise et le pauvre isolé entre, tout armé, dans la grande communion des morts. Partageant l'angoisse suprême du tirailleur, il imaginait ce qu'il adviendrait, après sa mort, de celui qui traversa des continents et des mers pour secourir le plus beau pays du monde occidental. Pauvre tirailleur, on l'enterrera, couvert de vermine et de sang, dans la terre qu'il a défendue. Sa tombe sera, sans doute, ornée d'une bouteille où rutilait, jadis, un ardent bourguignon, et qui gardera dans ses flancs transparents la date de sa mort simple et son nom inconnu. Le petit feuillet blanc fera survivre ainsi le soldat qu'un obus abattit. Plus tard, son père, venu du radieux Orient, courbé comme un vieux saule, inclinera son regret vers la terre où le cher disparu fut couché. A moins qu'un dieu cruel ne veuille faire mourir le tirailleur une seconde fois et qu'il ne brise la bouteille légère, en sorte que rien ne perpétue le souvenir du lieu où le héros repose. C'est alors que, privées de la vénération des siens, ses cendres auront un droit absolu à l'hommage de tous. Mais, préférant à cette mort vers qui monte la reconnaissance d'un peuple innombrable les joies, les incertitudes et la pauvreté de notre existence éphémère, Un Tel rejoignit le poste de secours, frêle et sombre abri où l'armée meurtrie se pressait, tel un troupeau de miséreux dont les yeux brûlants ont découvert les portes du ciel. AZUR! AZUR! AZUR Un Tel goûte la précieuse volupté de reposer en une salle claire et chaude d'hôpital. Il bénit sa blessure qui lui permet de retrouver le charme et les douceurs de l'arrière. Il est parfaitement heureux, acceptant les douleurs nécessaires du pansement, l'immobilité forcée, satisfait d'être soigné, réconforté, voire même admiré, estimant juste qu'on lui fasse, au sortir de la mêlée, un accueil fraternel. Mais, au seuil de l'hôpital, l'angoisse et la misère n'abandonnent pas le soldat. Ici, comme dans la tranchée, la mort, amante insatiable, accompagne le combattant qu'elle désire. Certains, aux multiples blessures, ont des infections progressives, dont on peut suivre la marche silencieuse. Leur corps est un grand abcès sournois qui perce lentement. Leur langue est brûlée, leurs joues se creusent; leurs pupilles s'élargissent; elles deviennent claires et fixes comme de la porcelaine; un souffle saccadé soulève leur poitrine. Lorsque les côtes saillissent sous les chairs, que maigrissent les bras, que se tendent les mains vers on ne sait quel espoir fugitif, c'est que l'âme est à fleur de peau. L'être exprime une grande douleur; la venue des amis, des parents, les tendres soins de l'infirmière inconnue ne peuvent le ranimer. Comment le mourant verrait-il les choses de ce monde, alors que ses yeux sont tournés vers l'éternité? Il faut à ceux qui luttent contre la mort le généreux espoir des guerriers fortunés. L'infirmière qui soigne Un Tel est une Orientale. Elle a une douceur enveloppante et volontaire qui la rend à la fois aimable et redoutée. Nulle protestation ne l'émeut; nulle ingratitude ne la rebute; elle est indifférente aux supplications des uns, au silence des autres. Elle soigne et panse les blessés, voulant ignorer leurs souffrances et semblant s'indifférer absolument de la rouge horreur de leurs plaies. Les infirmières ont une âme étrangement sensible. La nuit, elles entendent qu'un de leurs malades va mourir. Un souffle inconnu, une lointaine voix, un léger attouchement les avertissent du départ d'un de leurs protégés. Ces frôlements d'ailes qui les éveillent, en l'air nocturne, ne serait-ce pas un ange gardien qui s'envole? Un vieux docteur, brave père de famille, austère savant qui, de père en fils, soigna les robustes laboureurs de sa contrée, opère les grands blessés. Il est l'arme froide, agissante, jugeant en dernier ressort, inflexiblement, et condamnant à disparaître la chair gangrenée. Il recrée le sang, purifie les artères; il fait d'un corps pantelant une maison saine, aérée, où se retrouvent les lignes premières. Il replace géométriquement ce que le fer arracha. Il rend à l'armée un corps ordonné, où le sang rajeuni coule, rythmique et fort, comme un beau fleuve. L'infirmière: c'est la foi des armées abattues. Il semble qu'en la coupe jolie de ses mains tendues fermente le vin de la résurrection. Elle incarne, sous son voile flottant, l'espoir de vivre, cette âme ailée qui ressuscite les combattants accablés. Pure image des douceurs absentes, elle porte en elle les tendresses des mères et des amantes, si désirées aux heures de la souffrance. Mais la mort est rusée et pénètre dans l'organisme par des moyens maléficieux. Elle veille, l'implacable, au chevet du blessé, droite comme un flambeau funèbre, et les efforts conjugués du docteur et de l'infirmière ne peuvent rien contre elle. Et, pourtant, les mourants renaissent, à force de soins et d'amour. Puissent la bonne infirmière et le vieux docteur ressentir un magnifique orgueil plus tard, en des printemps paisibles, quand ils verront venir vers eux l'interminable cortège heureux des Lazares qu'ils ressuscitèrent. C'est vraiment une résurrection que le retour prochain du blessé à la vie normale. Un Tel, torturé du désir de courir dans la lumière, de traverser le jardin où les pommiers fleuris ouvrent leurs prestigieuses ombrelles, s'est levé. Faiblement, d'un lit à l'autre, malgré le vertige, il s'efforce, patient et volontaire, à ne pas faiblir, à marcher encore. Le sol est fuyant, le soleil trouble ses yeux; il semblerait que le sang va couler, une fois encore, par la plaie cuisante, à peine refermée. Certes, cet effort est difficile. L'infirmière offre son bras fraternel au soldat. Dirait-on pas, à les voir ainsi, hésitants, effrayés et joyeux, qu'un amour ravissant les conduit? Un Tel est fier de surmonter le trouble des premiers pas et de reprendre, éternel vagabond, la grande aventure de sa vie. Bientôt, il lui sera donné de revoir sa chère maison, ses livres aimés, l'intérieur étrange qu'il s'était organisé. Un Tel aspire fiévreusement à cet instant. Quitter enfin la salle blanche où se jouent des vapeurs d'éther. Partir, égoïstement, sans emporter le souvenir des misères encourues et du sang versé, il n'est pour le convalescent de plus riche espérance. C'est la dernière nuit. Un Tel compte les minutes, attendant l'heure libératrice. Au fond de la salle ombreuse, une voix émouvante appelle, sans arrêt, un secours impossible: --Infirmier, infirmier, j'étouffe! C'est un rude paysan qui ne veut pas mourir. Il a la colonne vertébrale déplacée; mais sa volonté de vivre le dresse et le ranime; il se consumera, comme une torche, jusqu'à la cendre. Une fois encore, narguant la science impuissante et la charité, la mort sera triomphante. Après tant d'autres sacrifices, martyr modeste, un paysan de France meurt, tandis qu'en sa ferme dévastée, d'autres paysans, comme lui, dorment sur une infecte litière, évoquant en des rêves naïfs les gras pâturages de la paix, le retour des bêtes dans la poésie du soir, les veillées intimes autour du bon feu. --J'étouffe. Ce cri emplit la nuit. Un Tel sent un besoin de respirer en des saisons meilleures un air léger et calme que n'aigriraient plus les odeurs d'iode et de picrate. Mais il importait avant tout de se battre, de subir des maux innombrables et de verser, sans mesure, un sang vigoureux, car la France, grande et jolie blessée, étouffait, elle aussi, sous l'étreinte de son implacable adversaire. LE RETOUR Un Tel, au sortir de la mêlée, ayant traversé les hôpitaux où la joie de vivre est atténuée par la douleur, revoit enfin les rues de son enfance, et leur cher aspect coutumier est plus que jamais sensible à son cœur. Les boutiquières souriantes ont une jeunesse et des grâces qu'Un Tel ignorait. Les bars, jadis bruyants, illuminés, où se pressait une foule énervée, sont devenus des lieux de causerie, sortes d'oasis charmeuses où se retrouvent le permissionnaire, le blessé et le réfugié, ce pèlerin de la guerre. L'hostilité des uns s'est atténuée, les rancunes irraisonnées des autres sont mortes. Il semblerait que le quartier, sentant passer la grande menace, a groupé, fraternellement, dans ses vieux murs, ceux que divisaient naguère des humeurs et des intérêts opposés. Un Tel visite, non sans orgueil, son quartier. Il se montre. N'est-il pas le sauveur, celui sans qui l'église archaïque aux tours émouvantes, le jardin aux gazons réguliers, l'école où chantent des gamines, n'existeraient plus, férocement anéantis? On l'accueille, on le fête! Les vieillards, dont l'âme vacillante prête à la guerre des horreurs qu'elle n'a pas, l'admirent, et les commères, que sa fantaisie irrita, condescendent à l'estimer pour ce qu'il représente de force nécessaire. L'illusionnisme d'Un Tel ne saurait néanmoins le porter à croire que cette sympathie totale durera, la guerre terminée. De ce qu'elle est éphémère et fuyante, il en goûte mieux, au contraire, le bien-être et le charme. Retrouver son foyer est estimable, lorsque l'on a vagabondé sans répit dans l'ombre et le vent. Un Tel, à la table où il aimait écrire, tente de ranimer en son esprit le peuple d'images et de mots qui jadis l'emplissait. Mais, obsédantes, les idées qui lui vinrent au cours de sa méditation dans la tranchée semblent vouloir chasser les rêveries anciennes. Près du feu chanteur, en le calme accueillant de sa tiède demeure, le soldat ne peut oublier les dures nuits de la guerre. Il lui semble entendre encore la plainte errante des mourants; il revoit les squelettes glacés de ses camarades, veilleurs éternels placés en avant des lignes françaises. Le confort fatigue Un Tel. Il était bon de dormir sur le sol dur, entouré d'une couverture boueuse, profondément. La mollesse des oreillers et des matelas énerve, et rien ne vaut le sommeil animal, duquel on sort repu et brisé comme après un rude massage. Idées et réalités de la guerre; choses apprises, devinées en présence des morts; hommes entrevus dans la mêlée, défilé des jours mornes et tourmentés; tout cela s'impose au cœur du soldat. Une mosaïque faite de tous ces souvenirs, petites pierres boueuses, chatoyantes, ensanglantées, telle sera désormais la pensée d'Un Tel. Mais, quand le convalescent veut confier ses impressions et ses souvenirs, il se voit incompris ou critiqué. Il découvre qu'existe un soldat ignoré du combattant, sorte de héros d'opérette surgi, tout armé, de la cervelle délirante des journalistes. Combien l'azur trompeur dont on a paré ce déguisé cache de bêtise et de lâcheté, nul d'entre ceux qui revinrent de la grande mêlée, soit indifférence ou stupeur, n'a voulu le dire. Le soldat blessé, le convalescent, l'amputé, désireux d'être en harmonie avec ses compatriotes demeurés à l'arrière, abandonnant toutes les impressions ressenties, délaissant les justes directions que la souffrance impose à sa pensée, doit avant tout copier servilement le geste maniéré et la grandiloquence de ce poilu confectionné pour l'émerveillement des faibles et des oisifs, qui vit en narrant d'insipides gaudrioles et meurt en chantant. Dans la salle humide et sombre de l'ambulance, les morts ont été dévêtus et les rats viennent, lentement, leur dévorer la figure. Ces pauvres n'eurent pas la fin brutale du combattant, ils se virent mourir, loin de la femme aimée, fugitive que pourchassa l'envahisseur; ils ne chantaient pas à l'heure où la mort les emporta. Et vous autres, camarades, dont la jeunesse rayonnait sous la boue et l'ordure, et qui êtes, maintenant, asphyxiés et rigides, chantiez-vous quand le fer déchira vos poitrines? Des écrivains ont déshonoré le sacrifice le plus noble du soldat, quand ils eurent l'audace de le faire mourir, un refrain de café-concert aux lèvres. Les heureux qui ont une modeste sépulture y sont étrangement compressés. Leur fosse pouvait contenir vingt corps; on en mit quarante, placés sans pitié, la tête des uns frôlant les pieds des autres. Toute la jeunesse de France est couchée dans la terre ardente, et voici que des faiseurs de grimoires dessinent, aux yeux du monde qui nous regarde et de l'avenir, cet implacable juge, une silhouette burlesque et grivoise du soldat. Révolté, Un Tel ne veut pas admettre que le martyre de toute une race finisse dans une orgie de mensonges et de calembours. Les gens simples, les marchandes des quatre-saisons, les commères attroupées sur la vieille place, où jadis se poursuivaient en criant des gamins qui sont maintenant des soldats, tous ceux qui ont souffert, pleuré au cours de leur existence, savent que le combattant, couvert de vermine et de vase, est une pauvre chose perdue en la tempête, un être dont la chair, cinglée des vents, est offerte, nuit et jour, aux coups du destin. Un Tel se sent aimé de ces gens-là. Seuls l'irritent les esprits aimables et facétieux qui cherchent à retrouver en lui les traits galvaudés et flétris du poilu légendaire. Mais c'est en rencontrant son ami Mortné, sculpteur et parfait égoïste, qu'Un Tel comprit nettement que la guerre n'a point transformé le monde. Il n'existe qu'une chose, ici-bas, méritant l'attention de ce noble artiste: la forme pure. Une scintillante locomotive, un obus effilé, une carafe sont des merveilles de ligne et de volume. La Marne sauva Paris de l'anéantissement, dites-vous! Quelle erreur est la vôtre, une nation ne meurt pas qui sut découvrir cette vérité magnifique: La sculpture sera désormais une géométrie inexplicable où les troncs de cône chevaucheront des parallélépipèdes. Mortné est un petit propriétaire qui fait de l'art avec des prétentions de géant. Le désir qu'il exprima de ne s'intéresser qu'à son œuvre masque ses appétits gourmands. Il lui faut une bonne table, des vins de choix, une couche douillette. Il aime à vivre sans fièvre, à peine inquiété par les drames cinématographiques dont il est le fidèle admirateur. Disserter sur l'art contemporain en savourant une liqueur parfumée est autrement utile à l'humanité que le lancement de la grenade. Dites à Mortné --Vos subtiles arguties importent peu. La France est envahie, ravagée; votre maison elle-même est menacée, battez-vous! Il vous répondra --Me battre? Pourquoi? D'abord on ne m'a rien demandé. En outre, ça n'est pas intéressant. Ma maison est menacée. Qu'ils y viennent! Je ne suis ni un lâche ni un sot. Si je trouve un Boche en face de moi, je saurai l'abattre. Mortné admet le corps à corps. Menacé directement dans ses biens, il se battrait; il ne permettrait pas qu'un Allemand vînt détruire les glaises informes où il croit avoir affirmé son génie. Mais à quoi bon épouser les querelles de la nation? Une légion innombrable a pu descendre vers Paris, férocement armée, ayant asservi la science à sa fureur guerrière. Des mortiers de 420, de puissants obusiers auraient fait pleuvoir sur la capitale un déluge de fer si nos armées n'avaient arrêté la progression rapide de cette légion. Cela importait peu. Mais qu'il s'en fût présenté un, un seul de ces envahisseurs, non pas un obus, mais un homme, dans la demeure de Mortné, il nous eût alors montré qu'il savait, lui aussi, se battre et triompher. * * * * * Au retour, satisfait d'avoir retrouvé le cher visage qu'il aimait et la douceur archaïque de son quartier, Un Tel, un instant, a pu se griser d'un éphémère triomphe. Certes, les gamines aux nattes enrubannées et les vieillards l'accueillirent avec une évidente admiration. Mais il a vite compris que la lutte n'était pas terminée, qu'il lui fallait encore défendre contre les mensonges dorés de la légende la vérité de sa douleur et arracher aux mains des égoïstes qui s'en nourrissent les fruits de la patrie, ce clair jardin que les soldats ont protégé des foudres et de la mort. LA RIVIERA DU MONTPARNASSE Au Montparnasse, carrefour peuplé de bourgeois, d'artistes et de souteneurs, Un Tel jadis aima vagabonder. Ce soir, afin de revivre les émotions anciennes, le convalescent parcourt le quartier, maintenant ombreux, où errent comme lui des nègres et des marins, recherchant un refuge sonore, éternels gamins bercés d'une romance. Voici, boui-boui tentateur et rutilant de lumières, la Riviera de Montparnasse. L'aigre voix de la chanteuse y résonne harmonieusement au cœur charmé des jeunes hommes. La fumée irrite la gorge de la pauvresse, les joyeux violons couvrent son chant. Qu'importe, orgueilleuse et secrètement ravie de plaire et d'être désirable, elle exalte en des refrains naïfs les amours des arsouilles, dressant au centre des lumières une chair palpitante et transfigurée. Des plantes artificielles, aux feuilles droites et effilées comme des lances, entourent le tréteau, évoquant le charme lointain des îles en fleurs; de hautes glaces affinent et multiplient la beauté des femmes. Ce faux luxe de café-concert, les mille lampes suspendues à son plafond d'azur et les musiques en goguette créent une atmosphère énervante et magique qui remplace, auprès du simple ouvrier de la cité, le charme des plages parfumées et sentimentales, l'enchantement d'être fortuné et la nocturne volupté des sombres ombrages où frémit le vent de la mer. Ici, l'homme oublie les peines de la vie. Il cherche, parmi les rythmes et les illuminations, une ivresse héroïque qui l'exhaussera, ornant d'images imprécises et jolies l'ombre de sa misère. Les pures amours, les dévouements irraisonnés, l'implacable courage naissent d'une chanson. Les combattants, au sortir de la mêlée, les femmes délaissées, les adolescents rêveurs viennent à la Riviera du Montparnasse, avec une âme simple, désireuse de joie et de clarté. Leur sensibilité y découvre des horizons plus vastes; ils en sont éblouis, comme s'ils avaient bu ce philtre généreux qui donnait aux héros légendaires une invincible vigueur. La voix aigre de la chanteuse, éveillant les désirs ailés de l'amour et les passions guerrières, devient claire, souple et brûlante. Les marins croient ouïr de vieux Noëls campagnards et l'ariette et la ronde que chantait leur grand'mère. Les vieux rentiers à la tête oscillante fredonnent en l'écoutant les refrains lestes où triompha Thérésa, la grande encanailleuse. Elles reviennent, parées de fleurs fanées, en l'imagination du populaire, toutes les chanteuses de jadis: amante désolée du croisé lointain, Lisette émue de Béranger, brave et rubescente vivandière des chansons à boire. L'ouvrier se sent entraîné par les marches allègres des charpentiers et des rémouleurs, fidèles compagnons du tour de France. Les artistes évoquent les jolies satires de ces petits soupers où de petits abbés disaient des épigrammes. Nègres, jeunes Bretons songeurs, ouvriers, artistes étrangers, tous, dans le rythme heureux des violons, renaissent à la joie et à l'espérance. La Riviera du Montparnasse, c'est la Côte d'Azur du pauvre. Seul, dans une immobilité glacée, un petit Japonais baisse la tête tristement. Il est las de cette rumeur et les mille parfums ambiants l'énervent. Les yeux emprisonnés dans le cercle d'or de ses binocles, l'esprit absent, en quel rêve confus s'exile-t-il? Il revoit les fleuves luisants et les arbres naïfs de sa patrie. Indifférent au café qui fume devant lui, sur la table de marbre, il évoque les vertiges anciens de l'opium, le sommeil mystérieux et lourd de l'éther. Une âpre toux secouant sa frêle poitrine, les yeux clos, ce petit gnome méprise les joies et les exaltations occidentales. Nos femmes lui paraissent être d'étranges animaux malades, absolument différentes des souples danseuses qu'adora sa jeunesse, au pays des maisons d'osier et de lanternes peintes. Malgré l'amertume de son exaltation, le Japonais n'en subit pas moins la magie du rythme et des lumières. Un Tel, lui-même, délaissant un instant le souvenir des pires choses qu'il entrevit, se laisse séduire et bercer par la mièvrerie sentimentale des romances. Avant la guerre, le beuglant fut une école agréable et pernicieuse où furent professées, parmi les danses et les cris, les idées les moins nobles du siècle. C'est là que l'esprit du populaire se faussa et prit, en écoutant des chanteuses court vêtues, tous les vices cosmopolites qui l'avilissaient. Depuis, en changeant de répertoire, le café-concert a transformé son âme. Les grands sentiments qui soulèvent les foules se répercutent entre ses glaces étincelantes. Une sorte d'impérialisme s'y crée, amoureux du panache et de l'amour. La Riviera du Montparnasse est un nouveau temple, dont nul dieu clairvoyant et courroucé n'a su jusqu'ici chasser les marchands. Vils phraseurs exaltant les rêveries humanitaires, dressant l'affamé contre le capital et incitant aux révoltes isolées, marchands de refrains incendiaires qui, selon le goût de l'instant, entraînent leur public à l'assaut du veau d'or ou sous les murs de Verdun; clowns à la voix arsouille qui, tour à tour, bafouent la patrie et chantent la gloire d'un général républicain, ils sont légion ceux qui, indifférents à la misère et à la gloire des peuples, adorent aujourd'hui les idées et les hommes qu'ils piétinaient hier, à seule fin d'ajouter à leur fortune. Mais, heureusement, il en est qui savent exécuter, avec art et modestie, leur beau métier d'artiste; ceux-là, alchimistes dévoués, donnent aux misères de la vie, tous les soirs, un reflet d'espérance. Imitant le parler savoureux de la rue aux Herbes-Potagères, un artiste belge, d'une santé florissante, évoque auprès d'une commère, également plantureuse, les jours où il jouait à la marelle et croquait des gâteaux dans Bruxelles, alors que M. Beulemans y triomphait bourgeoisement, ne devinant pas quel orage formidable menaçait les riantes vallées de la Meuse et sa bonne ville en fête. L'artiste y met l'accent ému qu'exige son rôle attendri. Voici qu'il lui faut, maintenant, danser et chanter. Il danse, serrant en ses bras la joyeuse commère. Sa faconde, ses gestes épanouis, sa bedaine rebondissante, sa trogne illuminée enchantent le public. Ce ne sont plus que rires, exclamations, appels délirants à travers la salle surchauffée. On dirait une franche et voluptueuse kermesse où ce meneur de cotillon fait danser, au cœur de tous, la joie de vivre. Un Tel se laisse gagner par cette commune allégresse. Il ignore que le chanteur apprit récemment la mort de son père et de son frère, fusillés sur la grand'-place du Marché-aux-Fleurs, pour n'avoir pas voulu incliner sous le joug envahisseur leur patriotisme ombrageux, et nul de ceux que la Riviera de Montparnasse exalte, console et réjouit ne songe à deviner l'envers de ce décor verdoyant et doré et la douleur vraie de cet amuseur. Ne faut-il pas que, par une inexorable loi du destin, au côté des marchands de mensonges lyriques que seuls l'or et le succès captivent, certains comédiens, conscients de leur rôle prestigieux et portant une large blessure au cœur, chantent sur les tréteaux et simulent une joie sans pareille, afin que les marins errants, les ouvriers épuisés, les nègres venus de leur forêt natale pour mourir dans nos campagnes, les soldats qui goûtent les joies éphémères du retour, s'en aillent, à minuit, dans le Montparnasse obscur et silencieux, avec des refrains aux lèvres? LE SOLDAT PERDU Un Tel désira revoir les groupements où jadis il partageait, avec quelques rares esprits cultivés et beaucoup de sots et de prétentieux, l'amour des belles-lettres. C'est dans une brasserie surpeuplée, parfumée de tabacs exotiques et trépidante comme une chaudière, qu'Un Tel revit des esthètes qui l'irritèrent et lui rendirent plus estimables que jamais les paysans de son escouade, au raisonnement lent et grave, à la vie saine, aux mœurs raisonnables. Chinois aux visages fripés, Russes énervés et misanthropes, Roumains phraseurs, toute une faune cosmopolite y discutait des problèmes d'art moderne, séduite par l'incohérence et le désordre. Des juives aux cheveux taillés comme de vieux Bretons, à la croupe large, férues d'esthétique et des questions sociales, âpres à soutenir leur race errante, trônaient en des poses martiales, condamnant sans douceur nos institutions et nos œuvres. Leurs époux, frêles adolescents venus des Carpathes lointaines, approuvaient, sans y rien comprendre, les discours de ces viragos. Autour des petites tables chargées de soucoupes, les métèques audacieux qui prétendent imposer leurs maladies mentales et leurs tares à la pensée française se donnaient rendez-vous. Des oisifs les rejoignaient, vieillards qui, jadis, menèrent une bohème souriante, en compagnie de Verlaine et de Moréas; jeunes gens séduits par l'étrangeté du lieu, courtisanes raffinées dont l'ancien métier de modèle a formé le goût. Un Tel exècre cette foule; néanmoins, il lui plaît de s'y noyer, afin de mieux comprendre combien il est, désormais, étranger à toute sa fièvre mauvaise. Le soldat, perdu en ce tourbillon, méprise infailliblement ces esthètes, ces penseurs, ces artistes qui, mis en présence d'événements grandioses, alors que le monde en fut bouleversé, se refusèrent de changer leurs mesquines habitudes et la conception égoïste qu'ils avaient des choses. Pour l'honneur des lettres, il est heureusement des écrivains qui firent l'amer sacrifice de leur sang et de leur liberté. Ceux-là ont acquis le droit de s'irriter et de réprimer un jour les manifestations orgueilleuses et turbulentes de cette phalange ultra-moderne. «L'art est inexistant. La poésie, de Villon à Jehan Rictus, est une longue plaisanterie; Constantin Meunier est un pompier et Cézanne un marchand de couleurs. Seuls apparaissent, confuses et promises néanmoins à un prestigieux avenir, les quelques influences dont les ultra-modernes ont hérité le secret et qui nous permettront de nous élever à la splendeur d'imagination, à la géniale pureté des Sioux.» Telles sont les opinions qui triomphent, à l'heure apéritive, dans le café sonore où les artistes sont réunis. Les poètes ultra-modernes, chercheurs d'émotions cursives et rares, mettent à la base même de leur art l'originalité de la forme. Faute de pouvoir faire mieux, ils révolutionnent la syntaxe et la typographie. Balbutiant des sons, entre-choquant les mots, ils enfantent une poésie saccadée, faite de notations brèves qui se poursuivent et se répètent en un rythme nègre et décevant. Moderne! Quel soldat inspiré par les hautes et graves visions entrevues au cours des combats ne saurait l'être? Un Tel estime que l'esprit moderne n'existe pas, spécialement, dans une forme neuve et révolutionnaire, mais bien en lui-même, extérieurement au mode d'expression. Malgré le modernisme apparent de leurs poèmes, Un Tel sourit de ces faux poètes, pauvres d'imagination et de verbe, malvats de la poésie, ayant l'enfance de croire qu'il suffit de se coiffer d'un chapeau haut de forme pour être gentilhomme. A toutes les tables, ils exultent, expliquant leurs œuvres, dénombrant leurs admirateurs. Le mépris de cette sorte de gens à l'égard de leurs confrères est égal à leur ignorance. Ces hommes de génie improvisés nient toute évolution profitable; ils réduisent à néant les œuvres de leurs aînés, bouleversant les lois heureuses sans lesquelles l'art ne serait qu'un délire stérile. Un Tel s'indigne de cette promiscuité. Il souffre d'entendre ces prophètes annoncer un avenir grotesque, surgi de leur cerveau malade, comme devaient souffrir les fiers colons du Far-West lorsqu'ils voyaient venir vers eux, dans le ciel illimité qui les ravissait, les viles fumées de l'Amérique industrielle. Un soldat est là, solitaire échoué par hasard sur la banquette où il rêve, au côté d'une mulâtresse aux dents étincelantes qui parle de l'œuvre récente de son amant: une berceuse en forme de tomate. Un Tel converse avec ce camarade inconnu. Ne sont-ils pas tous deux perdus en cette foule? Le soldat est d'un village dont le vieux curé mourut en entendant le premier coup de canon. Le presbytère était fleuri et bien ordonné, on y buvait un excellent vin rouge. Vieilles gens, vin vieux, vieilles maisons, c'était un village de l'Est si joli au bord du petit canal. Il y avait une ferme borgne où l'on s'amusait avec une boiteuse au museau de musaraigne. Le conseiller municipal était un brave homme qui s'occupait de ses bêtes et d'administration, sans autre ambition que le bien-être de la commune. Il avait fallu quitter cet éden à la déclaration de guerre. Le soldat était parti parce que l'impérieux devoir militaire le commandait. Dans trois mois, se disait-il, je reviendrai. Il avait baisé sa femme au front, puis il avait levé dans ses bras vigoureux son enfant qui ne comprenait pas la gravité de l'heure et, devant cet être frêle, le père avait pleuré. Il ne savait ce qu'étaient devenus les êtres chers. Ayant eu une permission, il était venu à Paris plutôt qu'ailleurs: c'est si vaste, la capitale. Dans toutes les femmes aux lèvres peintes, aux poitrines opulentes, il croyait revoir d'anciennes amies d'enfance, jadis aimées, en des printemps paisibles. Hélas! Pas un visage ne souriait à son ennui. Il était perdu dans le Paris indifférent. Un Tel comprit cette misère et, parce que les soldats ont une âme commune, il confia à ce nouveau camarade son irritation. Ils burent, unis dans le mépris du civil. Tandis qu'un esthète glabre et morne auprès d'eux confiait à la mulâtresse son désir «que la compénétration de l'objectif et du subjectif lui permît de réaliser le vrai bloc plastique», les deux soldats affirmaient la valeur de la grenade citron qui tient parfaitement en main et dont les éclats sont redoutables, comparée à celle de la bombe à cuillère qui n'est guère pratique, la garce, et vous ménage des surprises. Un Tel était heureux que la bonne santé morale et la calme raison d'un compagnon lui aient fait oublier, en buvant une fraîche bouteille, la vilenie et la stupidité de ceux qu'il avait la douleur de nommer ses confrères. Le soldat perdu était réconforté de s'être découvert une amitié, alors qu'il désespérait de tous et de lui-même. Ce bonheur partagé ne leur semblait pas miraculeux. Tant il est vrai que rien n'est si proche d'un soldat, comme un autre soldat, son frère. L'ANCIEN A la manière dont le public accueillait les récits de l'ancien, Un Tel cherchait à deviner de quelle affection et de quel respect l'entourerait plus tard cette jeunesse pour laquelle il s'était battu et qui aurait la joie de naître en un pays prospère, calme et redouté. Certes, l'ancien inspirait un respect atténué; son allure débraillée, sa face pourpre et sa voix grasseyante lui donnaient un étrange aspect de vagabond. Chiffonnier, ramasseur de mégots, colporteur, il appartenait à cette aristocratie lépreuse des rôdeurs parisiens, en qui le passant croit reconnaître des amis lointains, tant il est accoutumé à les rencontrer au même carrefour, narguant la poussière, la bourrasque ou la pluie, appartenant à la rue, tels le kiosque multicolore et l'arbre verdoyant. Pensionnaire des asiles de nuit et des hôpitaux empuantis, où couchent à la corde une dizaine de gueux dans la même soupente; habitué des soupes populaires, l'ancien se contentait aisément de ces modestes agapes et de ce confort embryonnaire. Il aimait à vagabonder, sans autre but que d'attendre le soir, dissertant sur de graves problèmes économiques, en compagnie de déclassés qui, parfois, sous leurs guenilles, gardaient une obscure élégance. Nourris de déchets et d'eau grasse, les gueux de Paris, liés aux mouvements de la rue, secoués par les fièvres de la foule, ont une vie aventureuse. Ils forment une société pittoresque, sorte de petit Etat indépendant qui fera peut-être un jour sa révolution et conquerra le pouvoir. C'était une vieille idée d'Un Tel que nous verrions surgir, au déclin du quatrième Etat syndicaliste, un cinquième Etat où régneraient les vagabonds. Pourquoi l'ancien, couvert de pustules, ne serait-il pas à son tour un favori de la fortune, un maître, lui qui jamais ne consentit à l'esclavage? L'ancien, ne soupçonnant pas le bel avenir promis aux déclassés, estimait être relativement heureux. Depuis vingt ans, il ne couchait plus dans un lit. L'été, à la campagne, il dormait dans les arbres; les corbeaux l'y couvraient de fiente. Qu'importe! Bercé par le vent comme un marin dans la mâture, il évoquait certaines heures qui furent belles, où les paysans, pour s'égayer, le conviaient à leurs noces; il buvait dans le verre de la mariée un délicieux vin d'Anjou à 30 francs la bouteille. L'automne voyait revenir l'ancien dans les parages de Notre-Dame, car il affectionnait la place Maubert. Il s'y livrait à de rares et modestes besognes: il vendait des brochures sans jamais parvenir à se constituer un pécule honorable. Il n'y tenait guère, au reste, considérant que la misère était sa profession. A de certaines heures, l'ancien retrouvait une gravité et un maintien souvent délaissés. Il faisait alors l'émouvant récit de ses souvenirs militaires. Garde forestier en 1870, sans redouter la mort et la servitude, il avait porté des dépêches à travers les lignes ennemies. Combien de fois narra-t-il son histoire? Un Tel était attristé de songer à l'ironie et à l'indifférence qui, jadis, accueillaient ce récit. Avant la guerre, la jeunesse était portée à traiter de radotages l'historique d'événements où la France avait souffert et mérité par son courage intrépide l'admiration de son adversaire. Pourtant ce gueux, dont on riait, était un de ceux qui défendirent le sol envahi. En serait-il de même pour les combattants de la grande guerre et se pourrait-il qu'un jour l'enfance insoucieuse poursuivît de quolibets un fusilier de l'Yser, un fantassin de Verdun? Cruelle question qu'il était impossible de ne point se poser en présence de ce vieillard obstiné à ne pas mourir et à se ressouvenir d'un passé d'honneur et de souffrance. Maintenant, juste retour de la fortune, l'ancien est écouté. Dans les bouges où les convalescents lutinent les filles, il parle haut, ne voulant pas que les soldats de 1914 puissent l'accuser de n'avoir pas servi. De son bâton noueux, il frappe la table grasse, faisant tinter les verres et les bouteilles; ses yeux s'illuminent, sa voix sonne la charge. La tenancière du bouge, une matrone, n'a plus besoin d'imposer le silence à sa bruyante clientèle; tous les soldats, les voyous et les gourgandines écoutent pieusement cette évocation d'un passé si intimement relié à notre présent tourmenté. Un Tel admire cette suite harmonieuse et logique dans notre histoire; il lui semble entrevoir en une perspective infinie toutes les guerres où il fallut que des gueux mourussent pour que fussent affirmés notre force et notre désir de vivre. Comme elle est simple, la voix de la race! Elle dit: «C'était terrible aussi en 1870. J'ai vu de longs trains immobilisés où le pain et les vivres moisissaient qui devaient ravitailler l'armée de Mac-Mahon. Ce qui nous a perdu, c'est la lâcheté de ce Bazaine livrant Sedan, alors que le brave Mac-Mahon lui tendait la main. J'allais la nuit dans les lignes allemandes porter des dépêches, je ramassais les livrets de nos camarades morts. Pauvres gosses, l'ennemi les avait surpris sans qu'ils tentent la moindre défense; ils avaient leur gamelle remplie de pommes de terre à côté d'eux, ils allaient manger; il n'y avait pas de garde, pas d'avant-garde, rien; ils avaient été tués. J'ai vu tout cela! Les brigands me cherchèrent dans ma maison, j'en avais une, cachée sous le lierre; ils retournèrent tout, de la cave au grenier. Ils ne m'ont pas eu. «Au début, je me disais: serait-ce comme en 1870? Puis, il y eut la Marne. Vous êtes courageux, les enfants; nous aussi, nous l'étions, mais on nous trahissait.» Ecoutant cette voix du passé, témoignage d'une ancienne vaillance, Un Tel ressent quelque amertume à considérer le sort misérable de ce vieux combattant. Ceci ajoute à sa volonté d'agir, au retour, en sorte que la fortune soit moins rebelle à ceux qui sauvèrent le pays de l'asservissement. Les ingrats et les profiteurs de la guerre auront à redouter que de jeunes vétérans, ayant tout perdu dans l'immense conflit, viennent grossir les rangs de l'armée bohème du cinquième Etat, lui donnant un esprit combatif, une organisation et une vigueur invincibles. EN ROUTE En ces temps où l'héroïsme est une habitude, Un Tel résolut de n'attacher qu'une relative importance aux hommages de ceux qui vantaient ses exploits sans les connaître, et parce qu'il est bon de couronner le soldat blessé de phrases pompeuses. Egalement, il décida de repousser les conseils mesquins de certains égoïstes satisfaits, lesquels estiment qu'il faut, dosant son dévouement lorsque le hasard vous fit sortir de la mêlée, ne pas s'y précipiter à nouveau. Ainsi, sans inutile exaltation et dédaignant toute considération commune, à seule fin de satisfaire à sa fantaisie, Un Tel, déclaré inapte à l'infanterie, sollicita de partir sur les tanks. La magie des choses neuves éblouira toujours l'imagination des enfants, ces poètes de quelques saisons qu'on voudrait immortelles, ainsi que celles des poètes, ces éternels enfants. Suivant un rite cher au service de santé, Un Tel dut faire examiner sa blessure par de nombreuses commissions, appelées à en juger toutes différemment et sans que l'opinion exprimée par chacune d'elles semblât intéresser les autres. --Et celui-là! Qu'en ferons-nous? dit un major. --Sa profession, demanda un aigre vieillard aux yeux myopes. --Journaliste. --Envoyons-le au grand quartier général pour allonger les communiqués! Humblement, et n'ignorant pas que tout homme désireux de combattre et préférant le péril à la quiétude de l'arrière est suspect, Un Tel balbutia: --Je désirerais, si toutefois vous n'y voyez pas un trop vif inconvénient, être versé dans le service des tanks. Sidérés, les majors s'interrogèrent; un homme existait qui ne tenait pas à s'incruster à l'arrière; ceci méritait qu'on y fît attention. Quels mobiles étranges le poussaient à choisir un poste réputé dangereux? N'y aurait-il pas, sous ce désir apparent de combattre, un mystérieux moyen d'échapper à toute bataille? Vraiment, cette opposition violente à l'ordre des choses était de par trop révolutionnaire! Ainsi, les désirs avoués des convalescents s'orientent tous vers plus de quiétude et de bien-être, vers une paix heureuse, et voici qu'un importun ne permettait pas à la commission les ironies faciles par lesquelles les majors apprennent aux soldats que la guerre n'est pas terminée. --Faiblesse générale à la suite de blessure. Nous allons vous envoyer à la campagne, mon ami. Impossible de retourner contre le volontaire la flèche, déjà fort usagée, du sarcasme. Mais, comme il faut qu'une commission de santé élève toujours un jugement dressé comme une barricade, empli d'attendus énigmatiques, contre le martyr qu'elle a visité, le commandant major accabla Un Tel de cette phrase vengeresse: --Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Au lieu de se défiler, celui-ci tient à se faire casser la gueule. Patientez, mon ami, le centre des réformes décidera de votre cas. Je vous déclare inapte au service armé. En des casernes modernes, aérées, propres et mélancoliques, le centre groupe des milliers d'hommes aux membres atrophiés et tordus. L'ennui règne en ce purgatoire du soldat. Toute la nuit, pour bercer son sommeil, les usines d'alentour vrombissent et mille trains sifflent qui partent, tentateurs, vers des zones libres, loin de la mesquinerie de l'arrière et des bureaucraties. Un Tel se présenta devant deux majors. --Cet homme est incapable d'appartenir au service armé... Allons donc! Afin de prouver à leurs prédécesseurs que les jugements des hommes sont faillibles, les deux majors affirmèrent l'aptitude absolue d'Un Tel à l'infanterie. Heureux en son cœur d'une telle décision, le soldat, qui se savait pareil au bouchon de liège sur les flots promené, se composa un visage d'infortune. La manifestation de sa joie l'eût envoyé, par réflexe, dans le train des équipages. Certes, maintes raisons pourraient excuser le séjour d'Un Tel à l'arrière. Néanmoins, armé de raisons plus judicieuses encore, il veut repartir. Il ne croit pas être, comme certains l'insinuent non sans ironie, un buveur de sang. Il sait que la guerre est cruelle et qu'il faut au soldat montant à l'assaut une volonté de destruction contre laquelle tout ce qui vit au monde s'élève et proteste. Simplement, il estime qu'un jeune homme valide, dont nul mal intérieur n'atténue la vigueur, doit se battre. D'aucuns invoquent de nobles motifs pour demeurer au calme. Ils se rangent aimablement dans cette élite qu'il faut conserver, afin que soit assuré plus tard le règne de nos arts et de nos industries. Ils se disent indispensables à la vie nationale, continuant le cours régulier de leurs travaux et lançant des poèmes où l'héroïsme de la troupe est chanté sur le mode alexandrin. Plutôt que de combattre l'incendie, le rôle unique d'un jeune ténor dont le théâtre est en feu serait-il de chanter encore, attendant que les flammes le dévorent et l'anéantissent? Les vains motifs exposés par les jeunes hommes de l'arrière afin de se faire pardonner leur inaction dissimulent une évidente lâcheté. Les gens raisonnables ont une conception vulgaire et singulièrement étroite du devoir. Le combattant, pour peu qu'il ait fait quelques mois de tranchées, a accompli tout le devoir que le pays était en droit d'exiger de lui; il peut demeurer à l'arrière. Seul est condamné à se battre éternellement le sot bonhomme qui, au cours de tant d'assauts mortels et de bombardements, n'a pas eu l'esprit de se trouver dans la trajectoire d'une balle errante. L'ironie des uns, les protestations affectueuses des autres, mille raisonnements faciles et intéressés invitent le convalescent à s'éloigner de la lutte. Il en est qui, particulièrement cyniques, affirment au soldat la vanité de son sacrifice. Au retour, disent-ils, rien ne distinguera l'ancien combattant de tous ceux qui ne luttèrent point. Que si le soldat, par suite de ses blessures, ne peut remplir les fonctions où jadis il excellait, on le chassera, sans considérer en rien ses mérites guerriers. Un Tel sait que ses camarades, que tous ceux qui souffrirent de la guerre, que la foule des ressuscités, au sortir des tombeaux où elle vécut plusieurs années infernales, transformera la France en un juste pays où le mérite des uns et l'infamie des autres seront reconnus. Tous les soldats ont la rude conviction que les égoïstes qui refusèrent de partager la douleur de la race seront châtiés de leur indifférence. Cela sera, car la guerre sut donner à ceux qui la firent une endurance et des qualités qui les mettront à même de se créer une vie aisée et d'imposer leur volonté commune. Les hommes, demeurés rétifs à l'appel de la gloire, seront en présence du combattant en état d'infériorité. Ils n'auront pas cette habitude de la lutte, cette force prudente et mesurée, cette inépuisable volonté de vie et de triomphe que les soldats ont acquises dans la tranchée. Au retour, du fait que tant de fois l'homme faillit la perdre, la vie lui sera plus douce. A tout instant de l'existence, il évoquera l'angoisse qu'il eut à l'heure où, frappé comme un bétail dans la nuit, il sentit couler son sang. Il comparera la paix riante de son foyer à cette fièvre d'aventures qui s'empara de lui et voulut le briser. Comme tous ses camarades, Un Tel vivra simplement. Sympathisant avec tous, il n'aura de courroux qu'à l'égard des lâches et des profiteurs qui prétendront se joindre à l'allégresse commune et revendiquer une part de lumière à laquelle ils n'auront plus droit. Le soir, assis à son foyer, dans l'intime féerie de la lumière, Un Tel, auprès de sa blonde compagne, se remémorera les veillées glaciales devant Verdun, alors que l'horizon était zébré d'éclairs. La vie d'Un Tel sera faite de souvenirs. La pensée des morts y régnera, impérieuse et grave. Tous ceux du bataillon, tombés sous les mitrailleuses; les autres, ces inconnus momifiés entre les lignes, les bras en croix, la bouche ouverte, auprès desquels se couchaient les patrouilleurs, tous les morts reviendront, ils prendront place autour des tables chargées de bouteilles et de victuailles, lors des festins du retour. C'est en songeant au bonheur qu'il aura de vivre, en la paix retrouvée, la France étant prospère, qu'Un Tel trouve le courage de repartir. Il faut l'avouer aussi: instinctivement, l'homme sera toujours poussé, de siècle en siècle, par cet éternel désir d'errer sur les routes et de se battre, besoin instinctif qui heurte les races et les fait s'entr'égorger, éternel dédain du mâle envers la mort, orgueil d'être fort et jeune qu'une gouape héroïque, en son parler d'arsouille, exprimait ainsi: --Cette guerre! C'est pour montrer que nous avions du sang dans les veines. Certes, le soldat ne saurait se battre, s'il n'avait, imprimée en son cœur frémissant, la certitude absolue du retour. Un Tel croit avec ferveur qu'il ne pourra mourir; aussi préfère-t-il, à l'indignité de vivre à l'arrière, sous la protection d'un million de poitrines fraternelles, se jeter à nouveau dans la mêlée afin d'y jouer, une fois de plus, avec la fortune et la douleur. ÉCOLE BUISSONNIÈRE Afin qu'Un Tel puisse se reposer des fatigues de sa convalescence, et sans doute en récompense de sa bonne volonté, l'administration militaire décida qu'il ferait, avant que de rejoindre le front, un joli voyage en Bretagne. Ce fut un matin de vent et de pluie qu'Un Tel eut la joie de visiter, pour la première fois, sa pittoresque villégiature. Il aima, dès l'abord, cette ville où, pour l'accueillir, s'élevait sous les arbres taillés de la grand'-place, coulé dans un bronze sombre et dur, un buste de corsaire. De jeunes garces, troublées par la présence de cet étranger en leurs rues désertes, le regardaient avec des yeux poignants. Des sœurs en robe blanche descendaient lentement de vieux escaliers aux degrés usés et couverts de mousse. Un peuple d'estropiés: boiteux, bossus, hilares, nains aux jambes cagneuses, petits-fils de rudes marins, dernière pulsation d'une race brûlée par l'alcool et le soleil des tropiques, était groupé, tel un troupeau inquiet et naïf, devant l'hôtel de ville. En vue de se présenter au conseil de révision, ces jeunes Bretons avaient arboré le chapeau enrubanné, le veston à godets, les sabots ornementés des jours de beuverie et de piété. L'un d'eux, maigre épileptique, une vomissure aux lèvres, disloqué par les convulsions, les reins dans le ruisseau, polluait d'une gadoue honteuse son pantalon à carreaux blancs et noirs. Un riche mariage, celui d'une opulente commère avec un lieutenant aux yeux bleus, avait lieu dans une petite église dont le beffroi, recouvert de tuiles lumineuses, domine la ville. Au seuil de l'église, un suisse herculéen attendait l'heureux couple, noblement appuyé sur sa haute canne à pommeau d'argent. Il avait un pantalon écarlate, à la housarde, et rayé d'or, et, tel, il ressemblait à ces généraux bohèmes qui, dans les toiles animées de nos grands-pères, galopaient fougueusement à la poursuite d'une invisible smala. Un Tel logeait dans un haras. Les box, où jadis s'énervaient des juments hennissantes, avaient été transformés en dortoirs. Une froideur monacale emplissait cette demeure. Le lit se composait d'une paillasse et de trois couvertures. La nourriture n'avait aucun raffinement inutile et nulle épice complémentaire ne gâtait cette pitance paysanne. Une étrange bière, où le houblon était absent, ajoutait au frugal repas sa particulière amertume. Mais le pain, rond comme une tête d'ange, onctueux et souple, était savoureux. Un Tel, en mordant cette mie éblouissante, avait la chaude sensation de se nourrir de lumière. Un pré, où deux vaches maigres tournaient sans cesse, donnait au haras un aspect bigarré. On eût dit une élégante et sobre écurie de Chantilly transportée dans une campagne biblique. Un Tel, indifférent au croassement incessant et monotone des corbeaux, sachant que la mer était proche, en souvenir des promenades qu'il fit jadis sur les plages parfumées avec des belles aux chapeaux fleuris comme un parterre de Versailles, se sentait une âme spacieuse. La vie de dépôt ne laisse pas que d'évoquer aux yeux du soldat les splendeurs du service actif. Quelle activité! Trois pelles, trois pioches et une lime, vulgaires instruments de labeur manuel, peuvent être, pour qui sait les utiliser avec patience, les suscitateurs de la plus sereine des philosophies, celle qui consiste à mesurer la vanité des œuvres humaines. De toutes les œuvres dont l'homme s'honore, la corvée de caserne, celle accomplie loin des lignes, est la plus inutile. Il importe d'abord, si l'on est soldat, de faire surgir du sol, d'arracher à la grâce du ciel, les outils nécessaires au travail. Il faut ensuite découvrir, en usant de ruse et de clairvoyance, le chantier où l'on est attendu. Afin de se sacrifier, à son tour, au rite immortel de ce mystère comique qu'est et sera toujours une corvée militaire, Un Tel, à qui son grade conférait la maîtrise d'une escouade, reçut un matin l'ordre de se rendre dans un hôpital désaffecté, situé quelque part, au centre de la ville, et d'y défoncer une cloison. Suivi de compagnons martiaux, Un Tel s'en fut chez le commandant de la place quérir trois pelles, trois pioches et une lime. Des scribes hautains lui enjoignirent de se présenter à la caserne dite des Jacobins; il suffisait d'y invoquer leur assentiment pour être immédiatement servi. Le capitaine, veillant à l'entretien du matériel de l'armée, envoya Un Tel au sergent casernier; celui déclara ne pouvoir donner d'aussi précieux objets que sur demande régulière, formulée en termes prévus et dûment signée du commandant d'armes. Ayant obtenu la signature exigée, Un Tel dut attendre que l'homme préposé à la garde du matériel fût revenu de l'estaminet où, tout le jour, il exposait ses conceptions sur l'amour. Armée de pioches, si petites qu'on eût dit des jouets d'enfants, et de vastes pelles, l'escouade parcourut le quartier du centre. Ayant heurté maintes portes et troublé la quiétude matinale de toutes les vieilles ménagères d'alentour, les soldats échouèrent au seuil d'un couvent silencieux. La portière, que cette invasion prétorienne inquiétait, manda la supérieure. Celle-ci, doucement émue en présence de cette troupe armée, daigna se souvenir que jadis, alors que le couvent était transformé en hôpital, on avait jugé nécessaire d'abattre une cloison; il y avait de cela deux ans. Longtemps on avait espéré qu'une pioche glorieuse ferait tomber tout ce platras inutile. Puis, alors que l'on était las d'attendre la collaboration de l'armée à cette œuvre brutale, une converse, forte et râblée, l'avait fait sauter d'un coup d'épaule. Tels étaient les durs travaux imposés à Un Tel, afin de varier son existence et de lui rendre plus agréable sa villégiature. Auprès du lavoir, où les Bretonnes s'invectivaient en leur parler rauque et sonore, Un Tel, un soir, fut accosté par un personnage d'allure romantique, à la barbe sale, qui, jouant avec son feutre, manifesta une vive joie de le retrouver. C'était La Bruyère, l'ilote de la rue de Bièvre, le bohème insensé qui avait amusé les vingt ans du soldat. Le mage vivait dans une vaste soupente qu'il parait du nom d'atelier, peignant des fleurs et de naïves marines où des fauves menaçants bâillaient sur le rivage. Végétarien involontaire, il se nourrissait de légumes crus, arrosés de vinaigre. Les Bretons simplistes prenaient La Bruyère pour le descendant réel de quelque haute lignée; ils le supposaient tombé dans une enfance vicieuse à la suite de fortes études et de débauche. La Bruyère était un exemple de persévérance dans le délire; il apparaissait même, si tant est que cela fût possible, que la guerre avait accentué sa folie. Narrant son invraisemblable odyssée, le mage marchait, aux côtés d'Un Tel, sur la route où courait un vent d'orage: --Oui, au début des hostilités, mes ennemis voulurent me faire disparaître. Une dizaine d'hommes, en armes, vinrent s'emparer de ma personne et me conduisirent à la mairie. J'avisais une petite porte qui s'ouvrait sur la campagne et je fuyais, droit devant moi, à toutes jambes, prêt à étrangler la première personne qui aurait osé porter la main sur moi. Je fis huit cents kilomètres pour me rendre en ce pays de chouans où les paysans me sont fidèles et se feraient mettre en morceaux pour ma défense. «Certes, j'eus de nombreuses difficultés. Enfin, ceux de Paris m'ont reconnu comme le véritable descendant des Naundorff. Ce ne fut pas sans peine, car mes ennemis veillaient. J'ai su imposer la vérité. Désormais, je mènerai les événements. Les Chambres cherchent-elles une direction, un éclaircissement? Elles constituent un comité secret en apparence, ne voulant pas avouer qu'elles viennent, en dernier ressort, de demander conseil. Je ris de toutes ces tergiversations, car le comité secret: c'est moi! «J'ai donné mes directions à Galliéni, à Lyautey, à tous les généraux. Quand Painlevé prit les rênes du Pouvoir, je lui écrivis, conseillant certaines réformes. Il ne voulut pas me répondre; ayant peur de moi, il me fit dire par les journaux qu'il allait mobiliser la classe 18. Il appelait cela une réforme. De ce jour, je lui refusai tout conseil, et cela ne laisse pas que de se ressentir déjà dans la marche des événements. Ah! non, les civils ne valent pas les généraux. «Egalement je me suis occupé de l'affaire de Verdun. J'ai dit à Pétain: «Faites charger les canons par la gueule, enlevez toute l'infanterie; les Allemands bondiront sur vos pièces et vous les anéantirez.» Ce qui fut fait. «Je suis en pourparlers, actuellement, avec l'amirauté anglaise, en vue d'appliquer une de mes récentes inventions à la capture des sous-marins. Il me fallut lutter à tout instant, vaincre l'indifférence générale et mater mes adversaires. J'ai rassemblé mes molécules pour agir et être une force. Je ferai de grandes choses avec le secours de saint Georges. «On me redoute. Déjà Philippe d'Orléans, l'usurpateur, et le roi d'Espagne se sont entretenus à mon sujet; mes agents me l'ont fait savoir. Alphonse, toujours parfaitement renseigné, a dit à Philippe: «Méfie-toi de ce La Bruyère, c'est une force.» «S'ils ne veulent pas de moi pour rétablir l'harmonie et le bien-être dans ce pays, bast! j'irai ailleurs refaire la France. Il est des jaloux qui disent de moi: «Pourquoi n'est-il pas au front, un gaillard, un Bourbon?» Comme si celui qui tient la queue de la poêle devait s'intéresser à ce qui se passe au seuil de la cuisine.» Un Tel admirait l'ingénuité de La Bruyère; il encourageait sa folie, lui remémorant d'aimables plaisanteries de jadis et les ovations ironiques qui saluaient le mage au quartier Latin. Toute une jeunesse ne l'avait-elle pas porté en triomphe, un certain soir, le hissant sur les lions de l'Institut pour qu'il pût haranguer à son aise la foule de ses admirateurs? Au demeurant, à travers le prisme étincelant de sa folie, La Bruyère voyait les choses de la guerre avec un esprit qui n'était pas tellement différent de celui des hommes raisonnables. Il avait la sensibilité primesautière, le jugement orgueilleux de nombre de ses contemporains, et sa déraison n'était peut-être qu'un miroir déformant un peu les désirs et les passions de son époque. Devisant, les deux amis étaient parvenus aux confins de la cité. Une foule dense les entourait, dont l'exubérance et la joie les incitaient à délaisser leur entretien, afin d'admirer la ville. C'était le marché. Sur la place bruyante du vieux port, les tentes multicolores étaient agitées par le vent de la mer, comme des voiles. Une forte commère enrubannée, consciente de son honnêteté et fière de sa baraque de toile, faisait ruisseler en ses mains le flot des chaînes, des glaces, des couteaux, des chapelets et des fausses perles. Elle claironnait un boniment qui savait attirer et séduire l'acheteur. --Enlevez tout, mes braves gens! Douze sous au lieu de quarante, ça vient d'un incendie. Profitez du malheur! Ses mots brefs semblaient clamer aux échos du monde la profession de foi de leur siècle. Voulant justifier les petits profits nécessaires, ils expliquaient et condamnaient les prospérités insolentes et criminelles. --Profitez du malheur! Cela sonnait durement, comme un commandement irrité. Néanmoins, cette femme était excusable qui, voulant adoucir le sort de ses deux gars partis au front, vendait de la camelote brillante avec des mots d'assassin. Elle ignorait la sanglante vérité de son boniment, et il est à croire qu'un esprit vengeur, désireux de fustiger l'ignominie des profiteurs, l'inspirait. A ces vils marchands gorgés de vins fins, de luxure et d'or, qui, sans la guerre, coucheraient sur cette paille où vivent actuellement, couverts de vermine, ceux qui les enrichissent, Un Tel préférait La Bruyère, riche de folie et d'espérances. Las de rôder, les deux compagnons prirent place à la table accueillante d'une petite auberge. Un conscrit breton, à la tête d'inquisiteur, aux yeux d'acier, le cou gonflé par un goitre naissant, leur servit une soupe chaude, non sans avoir fait un grand signe de croix. Ils burent du cidre dur à la gorge et doré comme des pommes. L'hôtesse leur conta les aventures de son fils, un marin sans spécialité, embarqué sur la _Gloire_; elle accusa rageusement la cabaretière d'en face de monopoliser les billons pour les revendre à la foire. Des femmes passaient, dont les sabots claquaient sur les pavés pointus de la ruelle. L'air fleurait bon l'aubépine; des parfums marins ajoutaient à la tendresse illuminée du soir une fraîcheur sereine. Délaissant toute irritation, sensible à la beauté de l'heure, Un Tel se sentait prêt à pardonner à la vilenie des hommes. C'est ainsi qu'il apprit à se recréer, en faisant l'école buissonnière, l'âme charitable et joyeuse qu'il faut au combattant. _A M. le Colonel Vormot, Commandant le ...e d'Infanterie._ HISTOIRE D'UNE FOURRAGÈRE Le régiment auquel on a l'honneur d'appartenir est toujours le plus beau régiment de France. Pourtant, il en est qui se signalent particulièrement par leur vaillance constante, leur belle tenue sous les armes et leurs succès réitérés. Ceux-là reçoivent du généralissime ce suprême honneur: la fourragère, cordon symbolique où sont étroitement liés le rouge du sang versé et le vert printanier de l'immortelle espérance. Le régiment d'infanterie auquel Un Tel appartenait reçut l'éclatant hommage de la fourragère. Composé de Bretons songeurs et durs à la souffrance, de Picards malicieux et buveurs, de gavroches parisiens, il fut une phalange de héros simples, de braves gens indifférents au danger, sur qui l'acide du doute ne savait mordre. Ces hommes, habitués aux travaux quotidiens de la terre ou de l'usine, accomplirent des labeurs guerriers en ouvriers infatigables et consciencieux, et leur effort patient et prolongé leur valut la plus enviée des récompenses. Les gens de l'arrière, nous entendons ceux qui gardent l'estime du soldat: vieillards suivant la marche de nos bataillons avec l'amer regret de leur impuissance, femmes dont le souvenir est une protection, adolescents aspirant à rejoindre la carrière où triomphent et souffrent leurs aînés, tous les amis du troupier français, compagnons heureux de sa vie civile, ne peuvent imaginer de quels humbles sacrifices une fourragère est le symbole. Terrasser sous les pires bombardements, monter à l'assaut, veiller sans repos dans la nuit menaçante, être brave, mépriser la fatigue et la souffrance, c'est le tribut offert à la France par tous les régiments. Afin de recevoir la fourragère, il faut ajouter encore à tant de vertus et d'abnégations. Réserve de l'armée active, jetée immédiatement dans la mêlée, le régiment d'Un Tel partit, au début de la guerre, vers la Meuse belge. L'armée du général Langle de Cary, à laquelle cette unité appartenait, prit, lors de la retraite, un ascendant magnifique sur l'envahisseur, le harcelant d'attaques incessantes, lui barrant les routes et les ponts et le rejetant dans les fleuves. Pour cette tenue valeureuse, le généralissime l'autorisa à demeurer quarante-huit heures de plus que le gros des troupes sur les lignes inviolées par elle défendues. Aux soirs orageux de la Marne, traversant les villages en flammes, le régiment poursuivit les colonnes allemandes jusqu'en la forêt d'Argonne. Maurupt, Sermaizes et les bourgs d'alentour se consumaient dans une odeur de poudre et de mort. Les villages étaient pris d'assaut, à la baïonnette. A Vitry-le-François, les légionnaires aux casques noirs du kronprinz jonchaient les rues de leurs corps éventrés. C'est après cette lutte fougueuse que vint le dur hiver d'Argonne. Il fallut combattre huit mois dans les bois ravagés, tenir la tranchée, en dépit des grenades et des crapouillots, et malgré les mines traîtresses qui, soudainement, ouvraient une tombe aux soldats. Beauséjour, les Eparges, Calonne, le régiment d'Un Tel fut de toutes les offensives. Au pas de parade, il s'empara, une aube brumeuse, de la crête de Tahure, désormais immortelle. L'hiver suivant, il défendit Verdun. Dix fois décimé et toujours reformé, le régiment devait à sa gloire d'être partout où l'on se battait. La Somme le revit indomptable et, malgré ses pertes, indompté. Un régiment est un faisceau de volontés, de faiblesses, de joies et de rancœurs. Un Tel était un des atomes de cette force, souvent diminuée et toujours renaissante. Certes, l'infime volonté d'un soldat est une frêle chose néanmoins, multipliée par le courage de ses camarades, elle aboutit à de puissants résultats. Ayant participé à toutes les batailles où le régiment s'était honoré, il était normal qu'Un Tel s'enorgueillit de sa fourragère. Elle lui appartenait; elle était à ceux qui, ne fût-ce qu'un instant, avaient souffert pour elle. Ce petit patrimoine de gloire indivisible appartenait à Donquixotte aussi bien qu'à Citoillien. La bravoure enfiévrée de l'un et la froide raison de l'autre tissèrent les fils du précieux cordon. La gaieté turbulente de Lulusse et la fantaisie de l'adjudant Gustave, toutes les vertus agissantes des compagnons d'Un Tel parèrent, elles aussi, cette fourragère de leurs vivantes couleurs. Pareil au désir des poètes, l'effort des soldats demeure toujours insatisfait; il semblerait que la somme des sacrifices à venir est multipliée par celle des douleurs encourues. Aussi, afin de parfaire l'œuvre de son régiment, Un Tel, dès son retour, se mit à sa dure besogne, désireux d'orner d'un laurier neuf les couleurs fanées de son drapeau et de gagner, à force de peine et de témérité, l'autre fourragère, récompense des unités victorieuses, cordon vert et or, aux couleurs de la médaille militaire, que Lulusse a si justement nommée l'omelette aux fines herbes. Dès qu'il revint à son régiment, Un Tel connut que la guerre était transformée. Il en avait appris le pittoresque et l'horrible, mais il ignorait encore la perfection tragique de la lutte moderne, cette algèbre implacable de la destruction que seuls la pyrotechnie, la mécanique et le génie parviennent à résoudre et qui font l'infanterie victorieuse. Groupés dans un vaste bois, les hommes attendaient l'attaque qu'ils devinaient prochaine. L'artillerie tonnait avec une violence continue. Le ciel était vibrant de moteurs et d'ailes brillantes. Des grappes innombrables de combattants se suspendaient aux flancs des coteaux. Les fantassins se préparaient à lutter. Ils ne songeaient guère à mourir, et le pire qu'ils osaient imaginer leur était souriant. Ils se voyaient blessés, transportés à l'arrière par des brancardiers attentifs, couchés en des lits doux et clairs, entourés de soins précieux. Ils rêvaient de plages aux noms fleuris, de promenades auprès de la mer miroitante, d'aventures sentimentales. Certains soignaient particulièrement leur toilette; d'autres cachaient dans la poche de leur capote des images de femmes et d'enfants. Il en était qui partaient à la recherche d'une ultime bouteille, vaine précaution, car des vivres et des boissons étaient distribués en abondance: biscuits, sardines, chocolat, vin, alcool, qui donnent aux soldats un moral parfait. Parallèlement à cette préparation inférieure, à ce ravitaillement alimentaire, il se faisait dans les compagnies une sorte de veillée intellectuelle. Les capitaines avaient réuni leurs chefs de section. Consultant la carte, ils expliquaient ce que devaient être les différentes phases de l'assaut. Les cartes représentaient, exactement, le terrain qu'il importait de conquérir. Des lignes azurées indiquaient les tranchées françaises, des lignes pourpres celles de l'adversaire. Franchissant les petits dessins compliqués, le bataillon devait parcourir 2 kilomètres et ne s'arrêter que sur des positions, maintenant rasées, où jadis des petits bois sombres frémissaient dans le vent. L'artillerie précéderait les premières vagues d'assaut. Rien ne devait arrêter la progression lente et mathématique des troupes. Telle compagnie atteindrait tel chiffre indiqué sur la carte, telle autre se grouperait sur les ruines de tel ouvrage. Les photographies prises par l'aviation révélaient chez l'ennemi d'étranges bouleversements. Quelques rares abris existaient encore, où celui-ci, terré, attendait le redoutable assaut qui devait l'anéantir. Une compagnie guerroyante est une sorte d'usine où chaque homme reçoit une besogne obscure et limitée. Franchir les diverses barrières, surprendre l'adversaire, nettoyer le terrain conquis, l'organiser sont autant de travaux où les grenadiers, les voltigeurs et les incendiaires peuvent utiliser leur compétence particulière et leur commune bravoure. Excellent à lancer la grenade, Un Tel reçut la mission de nettoyer les sapes. Il lui était ordonné de supprimer tout ce qui tenterait une vaine résistance; il se sentait une respiration égale, la main ferme, l'âme décidée. La guerre est une impérieuse nécessité. Un Tel, convaincu de l'efficacité de ses actes, assuré de défendre ses intérêts et ses affections, n'écoutait pas les paroles désabusées de quelques camarades. Certes, il savait que l'ambition des grands chefs est une des raisons principales de nos offensives, mais il lui importait peu que d'autres gagnassent des étoiles ou des lauriers, si leur ambition concordait avec l'intérêt des armées. Aussi bien que le dévouement silencieux des soldats, le bruyant orgueil des généraux gagne des victoires. Chargés de musettes et de bidons, armés de pistolets automatiques et de grenades, la toile de tente en sautoir, les hommes, dans l'ombre propice du soir, partirent vers les lignes. Des obus illuminaient le ciel. La troupe était silencieuse. Nul ne songeait que de toute cette jeunesse vigoureuse il ne resterait peut-être à l'aube que des chairs broyées et des membres épars. Il fallut, parmi les mares de boue, traverser un village écroulé. Un Tel espérait en son étoile. La lutte pourrait être dure; sans doute, il serait blessé; mais il échapperait à la mort. La confiance en la fortune et le désir de vivre conduisent les armées vers le sacrifice. La route, coupée de fondrières et d'excavations, s'arrêta. Le bataillon prit un chemin détourné, ouvert dans la broussaille. Lentement, du pas des processions, des milliers d'hommes s'avancèrent, au clair de lune, vers la première ligne. L'ennemi ne devina pas cette marche silencieuse, menace formidable pesant sur sa destinée. Une tresse blanche, tendue par le génie, guidait la file errante. Un ravin empli d'eau, traversé de passerelles légères, séparait deux collines; dans cette cuve de mort et d'effroi, les hommes semblaient être de fantomales apparitions surgies d'une tombe immense. Un Tel, couvert de vase, les vêtements déchirés, respirait avec une âpre joie l'odeur de terre et de poudre qui l'entourait. Il y avait une sorte de magie captivante à n'être qu'une infime volonté perdue dans cet immense mécanisme. Les vagues d'assaut devaient se dresser à quatre heures cinquante, après un bombardement précipité de cinq minutes, et gagner leurs objectifs. Il était trois heures. Sur le vaste front d'attaque, les compagnies se déployaient en lignes de tirailleurs. Des trous avaient été creusés, où les hommes se couchaient; on eût dit, à ras de terre, des berceaux où dormaient de grands enfants, tant les soldats étaient immobiles. Couché sur le dos, Un Tel admirait le ciel. Un dépôt de fusées et de grenades sauta qui fit jaillir à l'horizon des cascades de lumière. Le souvenir vint au soldat des soirs bruyants où le peuple fêtait, parmi les valses et les explosions, son illusoire liberté. Il revit le 14 Juillet de son enfance, quand sa vieille mère le menait au Pont-Neuf admirer les fusées multicolores et les bouquets d'artifices. Il y avait liesse, et les femmes s'abandonnaient à la joie d'être désirées. Pauvres folies d'antan, combien ceux qui vous connurent vous trouvent aujourd'hui dérisoires! A quatre heures cinquante, sans commandement, les hommes se levèrent et marchèrent, automatiquement, vers ce qui avait été la tranchée allemande, amas de terre retournée où pourrissaient, gonflés comme des chevaux crevés, quelques cadavres. De rares gourbis, aux charpentes croulantes, existaient encore. Ces sapes obscures, inondées de pétrole, éventrées par les grenades, se mirent à flamber. L'ordre des vagues était rompu. Les hommes se rejoignaient dans l'assaut, indifférents au possible danger, étonnés, voire même inquiets de ne rencontrer aucune résistance. De vieux compagnons, longtemps séparés, se retrouvaient: --Tiens, te v'là, vieille canaille! --Oui, je reviens de perm'; tu parles d'une nouba! --Sacrée brute, tu ne crèveras pas encore cette fois-ci? Il y a pourtant assez longtemps qu'on te rencontre. Et les deux hommes s'arrêtaient, afin de deviser quelques instants sur les joies de l'arrière et le muflisme du civil. Ce n'était pas une attaque, mais une marche d'épreuve dans un terrain mouvant. Le tir de barrage de l'adversaire ne se déclanchait pas; les troupes avançaient, allaient à l'aventure, droit devant elles, et malgré les conseils préventifs de prudence. Parfois, l'éclatement d'un obus de 75 couvrait de boue et de poudre un assaillant de par trop téméraire; quelque isolé tombait, frappé à la poitrine d'une balle de mitrailleuse; n'importe, délaissant toute sagesse, ivres de leur facile succès, les fantassins s'arrêtèrent non loin d'un ruisseau dont les eaux illuminaient la vallée. Pourquoi prendre position à cet endroit, plutôt qu'ailleurs, ils l'ignoraient, toute science militaire étant délaissée. Une seule chose apparaissait, réelle, absolue, la cote 304 était reconquise. Il fallait organiser le terrain, terrasser, creuser une tranchée profonde et continue, dissimuler à l'observation des adversaires les mitrailleuses. On ne le fit point, non par ignorance ou faiblesse, mais parce que la crainte du danger ne survit jamais à la pire des épreuves. Seul un malheur nouveau peut inspirer, quelques instants, une peur salutaire. Animés d'une même curiosité, les hommes du bataillon, séparés de leurs sections, groupés au hasard, se mirent à visiter le terrain conquis, comme si des guides invisibles leur imposaient une mystérieuse direction. Un Tel découvrit des morts effrayants et pestilentiels, au torse sectionné. Il se plut à contempler un magazine allemand abandonné dans un abri; on y voyait d'héroïques images: une représentation d'_Iphigénie_ au théâtre prussien de Namur, ou bien encore des princesses de Bavière soignant des pionniers à la tête fendue, voire même un officier hautain courtisé par des Polonaises admiratives, témoignages de force orgueilleuse et de joie prétorienne. Des armes traînaient, dont un glaive large et clair, qu'on eût dit enlevé à quelque panoplie du moyen âge. Un Tel, parmi les vestiges épars de cette armée enfuie, cherchait à deviner la vie de l'adversaire. Les obus creusaient un sillon irrégulier sur les crêtes. Les blessés aux chairs déchirées appelaient désespérément les brancardiers; certains se voyaient mourir, isolés de tous, ignorant le sort de leur bataillon et redoutant de voir surgir une patrouille ennemie. Soudain, un tir formidable s'abattit sur les troupes françaises. Les obus, avec une précision parfaite, écrasaient les escouades, faisant voler les armes, les bidons et les pierres, arrachant les membres et décapitant les veilleurs épouvantés. Un Tel, porteur d'un ordre, courait à la recherche d'un officier, fouetté par les explosions. Tout le bataillon agonisait dans les trous d'obus. Il y avait une douleur poignante à voir tant de jeunes hommes, nés à peine à l'amour, mourir sans espoir de revoir les villes trépidantes et les campagnes silencieuses de leur enfance. Certains semblaient lancer encore le dernier mot gouailleur, témoignage de leur vaillance irraisonnée, qui leur avait été rentré dans la gorge. Un Tel erra des heures, cherchant en vain un être vivant parmi ce peuple abattu. La nuit vint qui mit une ombre caressante sur les visages durcis des morts. C'est ainsi que fut reprise, aux armées du kronprinz, la cote 304, d'où l'ennemi, trop longtemps, domina Verdun, citadelle invaincue. LE POTE C'est à la cote 304 que mourut un officier par ses soldats nommé le Pote, c'est-à-dire le meilleur des amis, le fidèle compagnon, l'homme intrépide et fraternel qui ne fut jamais égoïste, faible ou désemparé. Pour être un pote accompli, il faut ajouter au plus chevaleresque des caractères un extérieur plaisant et faubourien, une verve inépuisable et commune. Il en est qui, meneurs d'hommes, aimés et victorieux, demeurèrent incompris. Il n'y avait qu'un Pote dans les armées françaises: il est mort à Verdun; mais son souvenir s'immortalise dans les conversations des troupiers, comme si, couché par un obus stupide, ce héros avait conquis dans la mort une vie plus riche et plus expansive. A de jeunes lectrices aux dents étincelantes, à l'œil noir, qui partirent vers les Amériques, parées des pourpres de Racine, Un Tel conta la vie du Pote. Sans doute, ces jolies hirondelles ont-elles, en des mots exquis, appris aux rois des métaux la splendeur d'un homme de chez nous. Des millions de dollars ont été peut-être offerts à nos armes par un boyard que les gestes du Pote enchantèrent. Pauvre Pote, c'était le bel homme dans l'expression conventionnelle du mot. Il était de haute taille, dépassant d'une tête sa section. Il avait un corps admirablement proportionné, la poitrine large, des traits réguliers, une chair claire et veloutée d'enfant. L'infirmier qui rapporta ses restes dans une toile de tente est à jamais angoissé de n'avoir pu retrouver de cette architecture magnifique qu'un amas informe et léger d'os brisés et de muscles sanglants. Ami de l'école buissonnière et des jeux cruels, c'était un enfant des Buttes-Chaumont, élevé à la diable, par une marchande des quatre-saisons. Tracasser les gardes du parc, jeter des pierres dans les vitrines de la pharmacie et attacher des casseroles à la queue des chiens errants, telles avaient été les occupations principales du Pote au cours de sa prime jeunesse. Lulusse de Charonne et le Pote s'étaient rencontrés en des combats singuliers, car ils courtisaient, à treize ans, les mêmes gourgandines. Ensemble, ils avaient traversé à la nage le canal Saint-Martin, narguant la police impuissante. Le soir, au Zénith-Concert, ils accompagnaient la chanteuse de genre dans ses refrains excentriques. Mais le Pote délaissa bientôt les bandes vicieuses de son quartier et les amitiés équivoques; il se mit au travail, sa mère ayant à nourrir six frères et sœurs qui chérissaient la soupe fumante et le pain frais. Comme il aimait les chevaux, qui sont de grands camarades silencieux, il se fit charretier. Le métier est dur. Il faut se lever à l'aube, panser les bêtes, nettoyer et gratter le harnachement, atteler, partir dans Paris, éviter les accidents. Un charretier modèle sait garder des chevaux propres, il leur épargne la fatigue. Il y a là toute une science difficile à acquérir. A quinze ans, le Pote menait la pierre de taille, attelant à six chevaux, gagnant des journées d'homme qu'il rapportait fièrement à sa mère. Doué d'un appétit formidable, il dévorait des livres de viande, copieusement arrosées de vin du faubourg, heureux de se dépenser pour les siens, glorieux d'avoir été, par le malheur, élevé à la dignité de chef de famille. Il n'eut alors que des amours passagères, ne voulant point délaisser sa vieille, celle qu'il appelait son copain, la grosse ménagère aux mains rouges qui lui lavait son linge, l'affectueuse gardienne qui l'avait bercé quand il était un gosse. A la caserne, le Pote fut le type accompli du mauvais soldat, irréductiblement indiscipliné. Certes, il manœuvrait avec vigueur, on ne pouvait nier que son arme fût brillante; mais il n'en terrorisait pas moins Tap-Tap, son adjudant, lequel, au cours de sa longue carrière, n'avait jamais rencontré un soldat pareillement narquois et révolutionnaire. A la guerre, le Pote participa à toutes les batailles. Infatigable, il accomplissait les travaux les plus durs, abattant les arbres, creusant la terre avec acharnement, portant les sacs des camarades éclopés. Il gardait son âme de gamin des Buttes-Chaumont, son amour du travail et cette allure indépendante qui faisait, au quartier, la douleur de Tap-Tap. Il devint un exemple de force et de conscience et les événements en firent un chef, à la fois chéri et redouté, sorte de guide implacable qui savait entraîner les plus hésitants parmi les pires dangers. Sergent, adjudant, officier, le Pote demeura simple. On eût dit un enfant dont les yeux riaient à la lumière et qui admirait les spectacles de la vie, en amateur qu'un rien amuse. Autant, en ligne, le Pote s'imposait d'être grave, autant, au repos, il se révélait joyeux et fantaisiste. Buvant ferme, mangeant avec voracité et se livrant aux incongruités de table chères au truculent Rabelais: rots sonores et pets hardiment ponctués, il était la gaieté turbulente des popotes. L'accent traînard, le Pote avait un vocabulaire étrange et primesautier; il scandait chaque phrase d'un balancement d'épaules. Surprenait-il un de ses hommes au repos, alors qu'un travail pressé s'imposait, au fainéant il disait, sans douceur: --Si tu ne fais pas ton tapin, je te rentre dans le cassis. Témoignant de son désir de revenir à une vie simple, il disait encore à son fidèle compagnon Gustave, le Rempart de Calonne: --Si je te rencontre un jour à Panam, avec ton haut de forme, tandis que je baladerai mon attelage, je te gueulerai: «Oh! eh! Gustave...» Et tu ne te retourneras pas, vieille cloche de mon cœur. Dame, ça t'ennuiera de jacter avec un mec qui aura un falzard de velours. Un terme unique lui servait à flageller les lâches, les fainéants, les peureux, les faibles, les veilleurs qui dorment au créneau, les soldats qui n'ont pas l'amour absolu du devoir et le courage constant qu'il faut à la guerre: --C'est des ordures! Par un jeu cruel du hasard, le Pote mourut, obscurément, sous un bombardement formidable, à l'entrée d'une sape. Né pour les actions éclatantes, il fut enterré avec ses hommes, sans combattre. Et pourtant, lorsqu'il courait au danger, l'œil en feu, la tête haute et la jugulaire serrant son menton volontaire, on évoquait, à le voir, les fougueuses images de l'Empire où des cavaliers intrépides chevauchaient des boulets. De toute cette vie splendide anéantie, demeure un souvenir clair et consolateur; mais une amertume se mêle à sa beauté, si l'on songe à la mère du mort, à ce copain qui avait souffert, pleuré, besogné pour que vive et grandisse le fils qu'elle adorait, le gars travailleur, solide et gai, qui fut un des plus beaux soldats de France. TAP-TAP OU LA SERVITUDE MILITAIRE Dans les gourbis empuantis, afin de distraire leur attente, les fantassins se narrent de fortes histoires où vit, implacable et souriant, l'humour français. A la 304, sur la position conquise, ceux que la mort épargna évoquent avec joie les innombrables mésaventures de Tap-Tap, un de ces cœurs inférieurs dont le destin fut de ne connaître, de l'existence militaire, que la vile servitude. Gonflé comme une outre, l'œil rond, la trogne amarante, Tap-Tap était, avant la guerre, l'adjudant classique et redoutable, le Flick patibulaire immortalisé par Courteline, terreur du quartier, âme obscure et toujours irritée. En la période héroïque où nous vivons, il est demeuré l'éternel instructeur, le soliveau de l'arrière, régnant, au dépôt, sur un peuple effarouché d'auxiliaires et de bleuets. Néanmoins, Tap-Tap a mérité bien de l'honneur, car il égaya les escouades les plus affligées par le seul souvenir de ses exploits. Dans la sape, le conteur aimé des copains, prenant l'attitude brisée de Tap-Tap bredouillant des phrases ridicules, obtient un bruyant succès. Tap-Tap avait trois affections: les frites, son chien et sa femme; il les confondait dans une même ferveur. Il disait des frites: --Les frites, j'en suis fou. Quand c'est ma Renée qui les fait, elles sont toutes dorées et savoureuses. Ah! mon cher, dès qu'elles sont placées sur la table... à droite, par quatre... direction de ma gueule! Le chien de Tap-Tap était glorieux au quartier. Bichonné, la queue en trompette et la coiffure d'un lion, il suivait son maître à l'exercice, à la salle des rapports, en tous lieux. Peu respectée des troupes, cette bête fut, de tout temps, l'innocente victime sur qui s'appesantissait l'ire des soldats que l'adjudant avait persécutés. Mais il y avait, pour le quadrupède, des compensations heureuses. Un jour, la compagnie manœuvrait dans la vaste cour de la caserne; l'adjudant, désireux d'arrêter les hommes, afin d'éblouir le colonel, commanda impérieusement: --Compagnie! La troupe fit le mouvement préparatoire de tout arrêt brusque, sorte de tension unanime vers l'ordre attendu. Le chien fit: «Brrroupp!» A ce commandement, peu réglementaire, les hommes prirent une immobilité parfaite. Le colonel, satisfait, négligea néanmoins de proposer à l'avancement cet instructeur imprévu. N'importe, le chien, malgré l'ingratitude des supérieurs, connut des heures insignes. A la sentinelle discourtoise qui prétendait lui interdire l'entrée des casernements (les femmes, les chiens et les colporteurs étaient alors bannis des casernes), Tap-Tap commandait: --Rectifiez la position, imbécile, et laissez-le passer, mon chien! C'est un petit adjudant. La femme de Tap-Tap était une grosse mégère prétentieuse, admirant la haute situation de son époux, et qui, outre ses talents culinaires, avait toutes les vertus qui rendaient la Sulamite précieuse à Salomon. --Ma femme, certifiait Tap-Tap, ce n'est pas qu'elle soit belle, belle, belle, mais elle aime bien. Encore remplaçait-il le verbe «aimer» par un autre, plus expressif. Mme Tap-Tap reçut, un soir, la visite d'un aimable soldat: figure aimable, mise soignée, attitude respectueuse; il semblait être le plus correct des troupiers français. --C'est bien ici, monsieur Tap-Tap? --Mais z'oui! Entrez donc. Jules est en train de fabriquer un violon avec une boîte à cigares; il sera content de vous voir... --Ne le dérangez pas, je vous prie. C'est une simple communication. --De la part de qui? --De la part de ses hommes. Vous lui direz que c'est un c... Le gentil messager n'attendit pas la réponse. Mais, la considération du commun importe peu, si l'on s'estime soi-même, et Mme Tap-Tap ne manque pas à cet orgueilleux devoir. Entre deux lampées de gniole, les nouveaux venus au bataillon, évoquant la gloire de Tap-Tap, disent que l'heureux homme est maintenant sous-lieutenant; sa femme en est toute rubescente. Chez les commerçants, elle exulte. Les dames des officiers sont réunies chez la bouchère. Il y a là une commandante arrogante, la capitaine, la trésorière, des lieutenantes. Mme la capitaine est une Parisienne distinguée, fine, élégante; elle accepte, sans trop de dédain, la fréquentation de l'épouse Tap-Tap. Ce ne sont que plaintes sur la hausse du sucre, le manque de beurre et l'imperfection des camemberts. Enfin, pour couronner cet édifice de récriminations, Mme Tap-Tap, croyant réunir les suffrages de ces dames, de conclure: --Heureusement que nous autres, femmes d'officiers, on se dém... La guerre fit de Tap-Tap un instructeur hors ligne. Nul mieux que lui ne sait conduire une patrouille d'avant-garde et organiser un secteur, en Bretagne. Il dispose ses forces dans les estaminets du voisinage et, lorsque le parti uhlan apparaît, si les Français, ivres de calvados, sortent en titubant, il s'écrie: --Bravo! C'est une feinte. Ayez l'air d'être saouls pour mieux les surprendre. Mieux encore: à l'aide d'un vieux cadre de bicyclette, d'une boîte à sardine emplie d'essence et d'un manche à balai, Tap-Tap recrée le plus exact des aéroplanes. L'infanterie approche silencieusement; l'aviateur met le feu à la boîte à sardines, les fantassins s'emparent du pilote. Que si les bleus sourient de ces étranges manœuvres et les trouvent puériles, il leur en cuirait de le montrer, l'instructeur ne laissant pas que d'avoir la dent dure; à quelque godelureau qui, le voyant venir, se permit de crier: «Vingt-deux!» il répondit, fort habilement: --Vingt-deux et vingt-deux font quarante-quatre. J'en prends quarante pour moi; il vous en reste quatre... et vous les passerez à la salle de police. Pauvre Tap-Tap! C'est peut-être, au demeurant, un bon garçon sous une rude écorce. Victime d'une hostilité de par trop rigoureuse, il a, sans doute, des beautés morales ignorées. Alors que ceux qui se jouent de son souvenir partagent la gloire du métier militaire et ses douleurs sans en connaître jamais la basse amertume, qui sait s'il n'a pas, songeant à ses anciens bleus, murmuré: --Ce sont de braves, d'admirables garçons! Il est vrai que, juste réciprocité, une voix de la cote 304, qui semble être celle de la reconnaissance, a dit, en forme de conclusion: --Le père Tap-Tap, c'est grâce à des types comme ça qu'on reprendra l'Alsace et la Lozère! EXÉGÈSE DE CERTAINES PHRASES MILITAIRES Voici des mots plaisants et cruels, ceux que l'on jette dans la mêlée, avec violence, afin qu'ils rebondissent, de vallons en vallons, jusqu'à l'arrière, et qu'ils y éclatent grenades insolentes, à la face du profiteur de la guerre et du bourgeois suralimenté. D'un métal étincelant et sonore, ils ne perdent, à l'usage, aucune de leurs qualités vigoureuses. «On les aura... les pieds gelés!» exprime à la fois la certitude d'être vainqueur et celle de ne recueillir du noble effort généreusement accompli que des misères et des souffrances. Qu'on les ait, celui qui lutte n'en peut douter. Pourquoi se battrait-il, s'il n'avait la certitude du succès? Il est assuré d'y avoir, également, les pieds gelés. «On les aura... les pieds gelés!» est un défi à ceux qui invoquent la victoire, les pieds au chaud, le ventre à table. Juste leçon de choses, cette phrase apprend aux égoïstes que les conquêtes ne se font pas en portant des toasts et que tel discours pompeux ne saurait être comparé à une heure de veillée nocturne, dans l'angoisse et la boue de l'hiver. Mots où se révèle l'abstraction absolue de tout amour de la gloire, combien vous êtes durs à l'égard de ceux qui ne connurent de la guerre que les honneurs et les profits! Certaines phrases du soldat masquent des sentiments hésitants et troubles; ce sont des miroirs mensongers où l'inquiétude ne veut pas se manifester, car il faut toujours avoir la pudeur de sa crainte. Ainsi: «Qu'ouest-ce que c'ouest? Il y a une fusée dans le secteur?» Sereine ironie où le combattant se joue de sa misère et crainte inavouée! Comment? On jouit ici d'un bien-être parfait, l'ennemi est invisible et silencieux, et voici qu'une fusée atteste sa présence et sa vigilance. Il est vraiment ridicule que des adversaires indélicats veuillent troubler la paix d'un secteur et nuire au bien-être inconstant du soldat. «Qu'ouest-ce que c'ouest?» Question gouailleuse, qui témoigne à la fois du désir d'être renseigné et de l'indifférence relative où l'on est de savoir exactement ce qui se passe. «Versailles! Tout le monde descend!» est d'une parfaite abnégation. Si les obus s'écrasent dans le boyau où les fantassins, aplatis sur le sol, attendent d'être pulvérisés, une voix s'élève, attestant ainsi que la mort est égale pour tous: officiers et soldats. Toute cette joyeuse bande de jeunes voyageurs, jadis partis vers les paysages heureux de la fortune et de l'amour, descend dans les gares obscures de la mort. Tout le monde abandonne le voyage. Est-il si dur de s'arrêter ainsi? Que non! Tout au moins, on aura la fierté de le taire. La vie était une promenade agréable, courte et souriante; voici qu'il faut descendre du train bruyant; descendons en chœur, avec l'harmonieux ensemble des troupes bien dressées. Certes, le noir laurier n'est pas sans amertume. «On n'a pas idée de ça à Clignancourt» est le reflet d'un regret attristé. Clignancourt ou tel autre quartier affectionné, phare illuminant la misère du monde, prisme de souvenirs dont chaque rayon réchauffe le cœur du soldat, c'est le pays où l'on est né. En cet heureux secteur, l'homme vivant en paix n'a pas idée de ce que peut être la souffrance. Il n'a pas idée de ça. «Ça», ce sont les poux qui vous rongent, la charogne dont l'odeur entête, la boue où l'on s'enlise et qui vous oppresse. «Ça», ce sont les corvées serviles, la nuit, dans les ravins marécageux, où traîne un gaz écœurant. «Ça», c'est la perspective de n'être bientôt qu'un amas informe de vers et d'étoffes que rejettera sur le parapet la pelle indifférente des pionniers. A Clignancourt, lorsque les bars sont ruisselants de lumière et que le peuple s'enivre de liqueurs multicolores, il fait bon errer à l'aventure dans les rues animées. On ne pense pas alors à la nécessité qu'il y a de quitter les belles dont la grâce est un enchantement et d'aller mourir, déchiré par une aveugle mitraille. Certes, à Clignancourt, on ne saurait songer à ces choses. Mais c'est en la plus chère des affections humaines que le soldat, aux heures d'angoisse, cherche un réconfort: «Pleure pas! Tu la reverras, ta mère!» C'est, malgré sa vulgarité foncière, une parole de foi vivace et d'amour. Qu'importent les périls encourus, l'atroce soif et le sang versé, si le combattant revoit sa mère, la sainte femme qui calmait les fièvres d'autrefois en posant au front de l'enfant ses mains fines. Tant que tu as une mère, fantassin, pourquoi verser des larmes? N'est-elle pas la consolatrice, celle qui guérit de toute peine et fait oublier l'horreur des explosions et des enlisements. La revoir, leur mère, ce fut le suprême espoir de ceux qui sont couchés, à jamais, dans les entonnoirs, la poitrine ouverte. Le soldat est un pauvre qui se nourrit d'espérances. «Vivement demain soir, qu'on se couche!» C'est l'espoir-type. Le coucher, fût-ce dans la fange, c'est dormir et «mourir un peu», mourir à la solitude sentimentale, à la fatigue, oublier. Etre au lendemain soir, c'est avoir vécu deux jours de plus, c'est avoir deux jours de moins à souffrir. «Vivement le mois de mai, qu'on voie les fleurs!» Autre espérance: voir les fleurs! C'est une modeste joie permise, en mai, à ceux qui savent garder un cœur champêtre. Les citadins sont particulièrement sensibles à cette résurrection des roses. En outre, depuis le prince de Ligne, les soldats ont toujours eu le sentiment de la nature: ils aiment en elle la protection que ses forêts leur donnent, la fraîcheur de ses eaux et la caresse du soleil. «Vivement le mois de mai» est une joyeuse sonnerie de trompette qui nargue l'hiver. Espérer en l'avenir est une manière de se satisfaire d'illusoire et de rêve qui n'empêche aucunement les combattants d'aspirer à des joies immédiates. «Y a-t-il du rab de rab?» Question précise exigeant une réponse satisfaisante. Il faut qu'il y ait toujours du rab de rab dans la répartition des aliments. L'art du parfait caporal est de savoir diviser une boîte de sardines en quinze rations égales et de faire en sorte qu'il y ait du rab. Le rab de rab s'impose; il donne la sensation de l'infini; il est nécessaire au moral des armées. Avant que de manger et pour bien se battre, le soldat doit boire. Le quart est nuisible en ce qu'il rationne le vin; seul, le bidon permet que l'on satisfasse entièrement sa soif, surtout depuis qu'une autorité bienveillante a imposé le bidon de deux litres. Le soldat lève son bidon, boit à la régalade et dit: «Un coup de clairon pour la classe.» Il faut être prévenant envers les camarades, d'où le mot connu de tous ceux qui tournèrent dans les boyaux à la recherche d'une position de première ligne: «Attention au fil!» Sacré fil téléphonique, toujours présent, et qui vous coupe la face ou s'attache à vos pieds! Par lui, néanmoins, on est relié à l'arrière; il est une sorte de dieu favorable et taquin qui protège et persécute, à la fois, ses fidèles. Si la tranchée a ses mots, errant de la mer aux Alpes, les boyaux ont les leurs: «Faites passer qu'on ne suit pas» est le plus répandu. On ne suit jamais d'assez près, et la file est coupée par de multiples accidents. Mais les hommes ont assez de philosophie pour savoir que leurs camarades ne les abandonnent pas. On ne meurt pas les uns sans les autres, n'est-ce pas? C'est pour cela que ceux qui ne suivent pas prient qu'on les attende; ils veulent leur part de malheur. Il est aussi des mots nés mystérieusement de la souffrance, éclos en d'obscures cervelles et qui sont une merveille de sagesse et de vérité. Ainsi: «Près du front, loin du cœur!», formule clairvoyante, cristallisant fort bien l'indifférence du civil, le mépris inexprimé mais certain de l'embusqué, la légèreté sentimentale de nombre de femmes; toutes pauvretés de nos temps qui suffisent à justifier cette autre parole vengeresse du front: «Y a un civil dans le secteur et il ne tombe même pas d'obus!» LES PARADIS ARTIFICIELS Il est des heures d'amertume où le soldat n'a plus cette âme réjouie qui le fait pareil aux enfants. Un Tel se sent alors isolé, parmi le peuple des camarades, ironisé de ceux qui l'entourent, abandonné de ses amis, l'âme en dérive. Ne pouvant avoir les réalités somptueuses de son désir, il rêve de bonheurs inconnus, il aspire à d'impossibles joies. Vivant en de magnifiques mirages où le viennent bercer les ombres des plaisirs disparus, enivré par la magie de sa vie antérieure, il sent alors le bouquet des vins de sa jeunesse revenir à sa lèvre. De simples lectures lui sont une occasion d'oublier sa misère. Hélas! Combien peu d'écrivains peuvent consoler et réjouir les cœurs taciturnes. Il est difficile d'aimer avec la foi des simples lorsque l'on a une âme compliquée, habituée aux mystères des idées, aux passions agitées, à la frénésie de la chair. Pourtant, le bonheur n'est réel que s'il naît d'une affection pure, et la joie la plus vive est encore celle qui jaillit, sans fièvre, de notre cœur. Cette rare joie est fuyante, et vainement l'homme tente de la retenir. Les paradis artificiels du soldat, les rêveries qui l'enchantent sont d'une matière éphémère et fragile; il faut, pour entretenir leurs doux feux, y mettre un soin d'artiste qui n'est guère compatible avec la brutalité des choses militaires. L'idée d'un Dieu affable et protecteur, conçu dans l'imagination d'Un Tel, ne suffit pas à son rêve; il lui voudrait une forme sensible, des couleurs et des lignes déterminées. Un Tel aime les femmes, et celle qui les incarne toutes, sa femme, parce qu'elles sont de chair, avant que d'avoir les vertus et les beautés de l'esprit. N'en aurait-il jamais eu qu'une image, il la chérirait peut-être, cette femme élue, pour la splendeur inconnue et désirable que les lumières et les ombres lui révéleraient. Un Tel ne peut aimer Dieu de cette sorte. Au temps où croire en la religion du Christ était sacrifier sa vie, il eût été le plus ardent des martyrs. Le catholicisme n'étant plus qu'une organisation sociale, puissante et parfaitement policée, Un Tel n'y découvre point ce feu où l'homme rêve de réchauffer son cœur glacé. Aussi, ne pouvant avoir une religion fortifiante et las de chercher au ciel l'impossible bonheur, tente-t-il de réaliser ici-bas, par des artifices humains, des paradis consolateurs. Les émotions littéraires, musicales ou plastiques, la lecture d'un beau livre, l'audition d'une musique chère, la vue d'un paysage harmonieux sont des moyens immédiats de recréer le mirage. A lire _Laurette ou le Cachet rouge_, d'Alfred de Vigny, dans une mince édition aux jolis caractères, Un Tel évoque à la fois toutes les lectures qu'il fit et ses amours, dont certaines eurent la simplicité de ce conte; il y prend une leçon de tenue et de grandeur, admirant le style grave et volontairement châtié de cet écrivain magnifique qui, délaissant le vain falbalas des phrases, ne voulut, pour son œuvre, d'autres pompes que celles austères et rares de la noblesse d'esprit. C'est ainsi qu'Un Tel oublie, dans un livre, l'égoïsme de certains, la vilenie des autres et toute cette gadoue sanglante qui l'entoure. Dans un petit village bombardé, les musiciens du régiment, en rond, exécutent avec un art inégal les morceaux de leur répertoire. Les cuivres sonnent, entre les murs croulants, comme s'ils voulaient renverser, à leur tour, les fermes que les obus négligèrent. Allègre ou mélancolique, la musique est douce à l'ouïe du soldat; elle ajoute à la douceur illuminée du soleil un rayon d'or sonore et communique à tous une sainte ivresse, à laquelle Un Tel ne peut échapper. Le public est rare, qui cherche l'émotion sacrée auprès des cuivres. Quelques fantassins baladeurs viennent écouter les airs mille fois entendus; des automobilistes américains, graves, vêtus avec soin, méticuleusement rasés, ont tenu à assister à cette manifestation d'art; ils y ont mis la solennité qui jamais ne les quitte, honorant ainsi, par leur maintien correct, le pays qu'ils représentent et celui qu'ils viennent visiter. Un enfant, sale et dépenaillé, sorte de Poil de Carotte meusien que l'éclatement des bombes ne trouble pas, suit avec une fièvre visible le rythme de l'orchestre; il se balance, tout son petit être enlevé par les mesures alternées des marches ou des berceuses; on dirait une de ces danseuses ingénues des Indes qui, sur des airs barbares, miment les passions des hommes. Le gosse est possédé d'un esprit de flamme, car voici que retentissent, volupteuses et lentes, les premières mesures de _Lakmé_. La fraîcheur des forêts lointaines, la douceur de s'aimer dans les temples, il n'est rien qui échappe à la sensibilité d'Un Tel. Pareil à l'enfant enivré, il suit les mouvements de la vague sonore. Mais il évoque encore des sensations plus fines. Il revoit les belles soirées d'opéra-comique où _Lakmé_ l'enchantait. Il était prostré dans un coin ombreux de ce poulailler célèbre où tous les bohèmes et les midinettes de Paris viennent oublier leur misère. Il avait, auprès de lui, une maîtresse à la gorge frémissante et nue, qui portait, avec une grâce perfide, de petites robes de liberty parsemées de fleurs. Un Tel, alors, se sentait une âme d'empire, des désirs conquérants, un orgueil illimité, tout cet azur avait été chassé du ciel. Mais, voici que la musique rendait, divin artifice, les joies perdues, qu'elle apportait sur ses ailes invisibles les parfums de l'amour, le frôlement des chairs, la féerie des spectacles, le plaisir infini de Paris. Un Tel, mieux encore que les émotions créées par la musique, le livre et les spectacles changeants de la nature, aime la griserie qui lui vient de ses propres idées. Précieux artifice que l'idée, nimbant d'une apparente beauté les réalités les plus dures. C'est par elle que l'on croit à la nécessité du sacrifice. Elle permet de mourir avec abnégation, de subir les pires maux, de vivre dans la fiente, de se nourrir de viande pourrie, d'être un soldat. Il est évident que trois années de guerre ont transformé les idées d'Un Tel. Il avait rêvé d'actions triomphales; il se voyait fortuné, admiré de tous. La guerre lui apprit à être heureux dans la simplicité, comme d'autres, mécaniquement, de comptables qu'ils étaient avant la mobilisation, sont devenus d'estimables cuisiniers. Nombre d'idées ont été renouvelées par les événements tragiques de ces temps; mais, de toutes celles dont la pensée d'Un Tel est occupée, les idées de guerre, nées de la grande épreuve, priment impérieusement. Un Tel, au cours de multiples conversations, dans les cantonnements et les sapes, se fait l'apôtre d'un droit nouveau, aux règles dures et inflexibles. Certains ignorants de l'arrière, esprits incompréhensifs, osent prétendre que les soldats, au retour, se précipiteront égoïstement sur les joies de ce monde et qu'ils se hâteront de jouir en compensation de toutes les privations subies. Le droit nouveau, né dans la tranchée, s'oppose absolument à cette conception basse de la vie future des soldats victorieux. Un Tel a décidé de faire survivre, chez les citoyens, l'esprit de fraternité et de dévouement qui anime les soldats. Il défendra, au nom de ceux qui se sont battus, au nom des morts, le droit des combattants au bien-être, à la vie équilibrée. Grouper les soldats de la guerre, ceux qui vraiment l'ont faite; être une force raisonnable et puissante et imposer aux pouvoirs publics la volonté des hommes qui firent la France victorieuse, telle est l'intention d'Un Tel. Son programme social est simple. Il veut secourir les victimes de la guerre en mettant à contribution les fortunes des munitionnaires, commerçants enrichis au cours de la tourmente, qui se doivent de faire vivre les enfants et les veuves des héros. Il faut à tout prix, une révolution fût-elle nécessaire, extérieurement à toute idée politique ou confessionnelle, exiger qu'une place honorable soit accordée aux combattants dont les sacrifices et les efforts surent assurer la continuation de notre vie nationale. Ces idées consolent Un Tel et lui font une auréole de joie et d'espérance. Ceci n'est pas un précieux artifice, certes; les idées sont des maîtresses dont Un Tel a connu, sans jamais leur en tenir rancune, l'implacable infidélité. Néanmoins, il advient que celles-ci, nées dans le plus formidable des orages, défiant les vents contraires, ont une particulière vigueur. Ce ne sont plus de tendres musiques faites pour bercer l'ennui et la rancœur des soldats; elles ont la souplesse et la vigueur des choses vivantes; elles s'imposeront, animant les discussions sociales, soulevant les foules obscures et réaliseront le miracle d'avoir fait naître et mourir, en un siècle ingrat, pour les simples et les pauvres glorieux, les raisins de la Terre promise. LE PEUPLE ET LE ROI Il est juste que les combattants, ayant subi les pires peines, reçoivent des honneurs. Certes, les honneurs ne sont pas toujours répartis avec justice; néanmoins, l'intérêt que l'on porte aux soldats, de quelque façon qu'il se manifeste, leur est très sensible. Aussi, Un Tel fut-il ravi d'avoir été désigné pour escorter le drapeau de son régiment quand les rois alliés vinrent passer en revue les troupes dont l'audace reconquit les hauteurs de Verdun. Ce lui fut, au surplus, une occasion inespérée de boire, de manger chaud et de se dépouiller de toute sa vermine. Quand il n'est pas déployé dans la lumière, entouré d'ovations et de fanfares, le drapeau, protégé par une gaine de toile cirée, attend de nouvelles gloires, couché dans un fourgon de ravitaillement. On a sorti le drapeau de son ombre. Sur les routes poudreuses, un autobus dont les flancs sont ornés de lettres énigmatiques: R. V. F. (ravitaillement en viande fraîche, disent les soldats) emporte l'escorte du drapeau vers un champ d'aviation où grondent cent moteurs. Les drapeaux de Verdun sont déployés. En voici quarante aux franges dédorées, à l'étoffe en lambeaux, muets symboles de maux effroyables. Le vent soulève leur écarlate. On dirait, à les voir, un parterre de géraniums. Les hommes qui les entourent ont des faces viriles et des yeux où, malgré eux, et en dépit de leur volontaire ironie, se voit l'âme de la patrie. Le peuple en armes est rangé derrière ses drapeaux. Ce sont des paysans, des ouvriers. La force vit en eux de ceux qui, ayant guillotiné leur maître et brûlé les demeures aristocratiques, renversèrent tous les empires du monde. Un Tel, immobile, et qui sentit jadis gronder en lui des colères de régicide, se sent pris d'une grande émotion. Un roi, le plus miséreux des rois de ce temps, chassé de ses terres pour avoir refusé de trahir sa parole, passe en revue, aux accents débonnaires de la _Brabançonne_, les troupes françaises. Il est grand et distingué. Il semble, discrètement, essuyer une larme en saluant les drapeaux. Le peuple de soldats lui trouve fière allure; il l'estime pour sa simplicité, certes, mais il aime surtout en lui cet air taciturne qui sied aux grands capitaines. Magnifique et réservé, triste et cordial, c'est ainsi que lui apparaît, nimbé de l'auréole du martyr, le roi, celui qu'après boire et dans la fièvre des meetings, il nommait le tyran, le ploutocrate, et qui n'est qu'un pauvre grand homme, chargé de toutes les misères d'un peuple. Les avions font dans le ciel d'aventureuses courbes, ils se laissent choir en «feuille morte», ils descendent vertigineusement vers les baïonnettes lumineuses et, soudain, se redressent. L'aviation danse, au ciel limpide, toute une fantasia de métal et de flammes. Les drapeaux, où souffle l'esprit le plus révolutionnaire du globe, s'inclinent en présence d'une majesté. Il se fait une fusion, entre le prince et la foule, comme si, se prêtant un mutuel appui, ces deux forces comprenaient enfin la nécessité de leurs rôles réciproques. Il y aurait quelque vanité à tirer de ce groupement sentimental imposé par les circonstances, une conclusion sociale immédiate. Un Tel sait trop bien, pour en avoir souffert, que, dans leurs imperfections multiples, les vérités supposées les plus absolues sont sujettes à transformation; néanmoins, il croit, en présence de tant de générosité simple incarnée dans un homme, à la nécessité où nous sommes, actuellement, de faire tenir le symbole de tout ce que nous aimons sur une tête, fût-elle couronnée du bonnet phrygien ou d'un laurier d'or. Les musiques jouent une fois encore la _Brabançonne_. Le roi s'éloigne, cependant que les soldats, assis sur la pelouse, devant leurs faisceaux, font une orgie de sardines et de confitures. LA DÉGRADATION Le vent tourne en rafales, dans le village, secouant les auvents des maisons désertes. Le ruissellement de la pluie et les mille bruits de l'orage ajoutent à l'angoisse de minuit. L'homme, attaqué par des puissances invisibles, surgies de l'ombre et venues du ciel, se terre, convaincu, en présence des éléments courroucés, de sa faiblesse éternelle. Parfois, un cheval errant, couvert de boue, traverse furieusement la place de l'Eglise. Dans une maison, rongée de lèpres, deux soldats prisonniers, à la veille d'être dégradés, reposent, gardés par la maréchaussée. Si leur corps est étendu sur le fumier, leur âme est en route. Ils ne dorment pas, et leurs yeux, ouverts dans la nuit, contemplent les paysages de leur enfance. Amère rêverie que celle d'un soldat rejeté de l'armée par ses compagnons, comme indigne de porter les armes. Le «hors la loi» civil, ce voleur cynique qu'une justice nécessaire condamne, nargue souvent son juge; le mystique assassin sourit parfois à la guillotine; jamais le soldat, à la veille d'être dégradé, n'a cette morgue des grands criminels. Ne plus être ce matricule vivant, ce rouage symbolique, ce postulant à la mort qu'est un modeste soldat, combien de ceux qui partirent vers d'impossibles gloires, à la mobilisation, se résoudraient à cette indignité? La réelle force de l'existence militaire, c'est de cimenter à jamais les esprits et les corps des soldats et de savoir leur imposer les généreux sacrifices de vivre et de mourir ensemble. Jean et Paul, les deux prisonniers, n'ont pas échappé à la douce tyrannie du devoir militaire. Ils sont attristés de leur sort, comme s'ils n'étaient en rien responsables du délit qui les fait condamner. Jean est un paysan brutal. Enfant, il gardait les vaches dans les pâturages paternels; un obscur instinct le forçait alors à frapper ses bêtes. Garnement redoutable, il devint, à seize ans, la terreur des bals champêtres, le champion de toutes les rixes sanglantes. Paul, fluet et distingué, rêveur dont l'idéal malingre est de courir, sans cesse, après d'insaisissables amours, fut la proie de toutes les belles infidèles de la capitale. Jean, au cours d'une attaque, coupa le doigt d'un camarade éventré, afin de lui ravir son anneau d'or; Paul, poursuivant une amoureuse, déserta. Tous deux furent condamnés à cinq ans de prison. En cette nuit orageuse où il semble que doit errer l'âme immortelle et courroucée du roi Lear, les deux hommes attendent leur dégradation. L'aube est venue. La tempête s'est apaisée. Dans un vaste champ, le bataillon est assemblé. Le soleil fait aux troupes l'aumône d'une caresse. Jean et Paul sont amenés au centre des soldats. Ils sont là, les frères de combats et de festins, les joyeux buveurs, les compagnons au cœur loyal, ceux avec qui furent partagés la misère et le vin; ils vont assister à l'humiliation des deux condamnés. Les justiciers sont au garde à vous, leurs baïonnettes luisent, inflexibles comme la loi, droites ainsi que des consciences de soldats. Le commandant, vêtu de kaki, présente le sabre. Un sergent, fébrilement, jette à terre le calot des deux misérables; il leur arrache leurs boutons qui roulent dans l'herbe luisante. Jean oscille, comme souffleté par un vent de mer; il voudrait frapper, il lui semble que tout le sang de son corps afflue en ses poings noueux. Paul est pâle et sombre, diminué par son regret et sa honte, tel un vieillard qui regarde mourir son dernier amour. Un commandement bref, un choc d'armes, et les deux hommes s'en vont. Jean, rouge de rage contenue, songe qu'il va pouvoir boire enfin le café matinal; Paul pleure doucement. L'armée des camarades s'éloigne, cependant que certains regrettent de devoir rester dans le rang, alors qu'il y a à ramasser, sur le lieu de la dégradation, de si jolis boutons de capote. UN TEL A TRÉBIZONDE Vers ce pluvieux automne, le quatrième de la guerre, Un Tel eut la joie, longtemps espérée, de revenir en permission. Quatre saisons semblables, quatre manières différentes de combattre. Le premier automne fut mouvementé, imprévu; on y connut des périls et des triomphes miraculeux; le second, illuminé par les soirs victorieux de Tahure, sut redonner l'espérance aux cœurs les plus désabusés; le troisième nous fit perfectionner nos méthodes scientifiques de guerre: la Somme nous valut, en effet, des succès parfaitement organisés, d'où le hasard était banni; enfin, le quatrième automne, terminant avec honneur la bataille de Verdun, affirma la puissance de notre machinisme, de notre chimie et de nos armements. Si l'art de la guerre se transformait, mûri, perfectionné par les événements et le temps, Un Tel put juger que l'esprit de l'arrière subissait des transformations plus radicales encore. Lors de sa convalescence, le soldat avait connu quel égoïsme inavoué se cachait sous les sympathies apparentes du civil; il avait jugé, sans en tirer rancœur, la faiblesse et l'outrecuidance des faux soldats qui pavoisaient la ville d'un azur menteur. Sa permission lui fit connaître tout un peuple nouveau, né de la guerre et vivant de ses profits, vermine dorée grouillant dans le Paris libre et fier de jadis. Combien, hélas! d'esprits frivoles et désœuvrés se joignirent à cette horde mercantile, croyant être suprêmement élégants en affichant la sorte d'indifférence souriante qui prend, chez le civil, le nom immérité de persévérance patriotique. L'art de tenir devint rapidement une mode criminelle, masquant les appétits féroces et les mille lâchetés endormies au cœur des hommes. Un Tel avait lu, dans sa jeunesse, un roman qui l'avait séduit étrangement, tel un poison magique ou un maléficieux opium. La mère d'Un Tel lui offrait tous les jeudis un magazine illustré écrit pour l'enfance. Le gamin y découvrit _Les Vautours du Bosphore_, sorte de récit romanesque des derniers jours de Trébizonde. On y voyait de beaux cavaliers venus des mers mortes pour adorer des vierges esclaves. De jeunes femmes d'Anatolie jouaient de la guzla, le soir, dans les jardins où chantaient des fontaines. L'empereur se prélassait parmi les tentures et les soies écarlates. Les courtisans se livraient à des chasses magnifiques, précédés d'une meute hurlante. Des processions traversaient la ville; les soldats inclinaient leur large glaive lorsque passaient, adorés des foules, entourés d'enfants extasiés, les ostensoirs d'or. Toute cette foule pieuse, amoureuse, artiste, ne voyait pas venir vers elle, traversant l'orageuse poussière du désert, les janissaires de Mahomet II, les troupes cruelles et innombrables, montées sur des éléphants blancs. Les savants, les théologiens, les musiciens tentèrent trop tard de conjurer l'orage qui les menaçait; ils cherchèrent alors des formules prestigieuses, des rythmes harmonieux, des parfums raffinés dont le pouvoir arrêterait les légions ottomanes. Les étendards furent hissés sur les remparts, les aristocrates se couvrirent de cuirasses où rutilaient des diamants et des fleurs. Mais tant de splendeur déployée sous le soleil n'attendrit pas le mammouhd; il renversa les remparts pavoisés, fit enfermer les belles Trébizondines en des sacs que les janissaires précipitèrent dans le Bosphore; il brisa les ostensoirs, les calices, déchira les précieuses draperies; il fit abattre les derniers enfants des Comnènes, empereurs de Trébizonde. La reine dut défendre, contre les vautours du Bosphore, les cadavres ensanglantés des sept princes, cependant que la fille aînée des Comnènes, Anna, apostate, épousait le sultan. Les vaincus de Trébizonde, sans honte, organisèrent des festins, confiants en l'immortalité de leur race; leurs femmes dansèrent nues devant le conquérant. Les porte-lyres, les déclamateurs, les choristes, délaissant l'orthodoxie chrétienne vaincue, entonnèrent des hymnes vibrants à la gloire du Coran. Des juifs se répandirent dans les harems, vendant les colliers et les bracelets qu'ils avaient arrachés aux vierges noyées dont les corps avaient échoué sur les rives. Un Tel s'était enivré de ces images où les combats, la volupté, la fortune et la mort se heurtaient mystérieusement. Il avait relu cent fois le naïf roman, lui donnant une portée symbolique. Permissionnaire, le soldat eut la sensation directe de tenir en sa main durcie la clef d'or qui lui permettrait de pénétrer le mystère de toute chose. A la lumière de ce roman dérisoire, que son imagination de poète avait réenfanté, le soldat comprit parfaitement les situations de son temps, les idées de ceux qui l'entouraient. Il crut, au cours de sa permission, faire, après tant de voyages sur l'Yser, la Marne et la Meuse, une promenade étrange sur les rives perfides du Bosphore. Quand il quitta la gare enfumée où toute une foule curieuse se pressait, désireuse de voir les soldats boueux, les vrais, les revenants du front, il ne lui sembla pas, dès l'abord, que la grande capitale orientale était si différente de Paris. Les rues étaient animées. On y remarquait des soldats de toutes les nations. Des hommes, vêtus de complets dont la coupe s'apparentait à la tenue militaire, erraient, fumant de prétentieux cigares. Un Tel sut que ces beaux spécimens de l'espèce masculine, fortement musclés et doués d'une incomparable vigueur, étaient des indispensables sans lesquels on ne saurait assurer la vie des ministères et sous-secrétariats qui sont, en Orient, comme en France, l'âme même de la nation. Un Tel désira connaître les quartiers centraux de la cité. Il s'en fut aux boulevards, où régnait une vive allégresse. Tout un peuple de courtisanes aux toilettes provocantes se laissaient lutiner par des Espagnols petits et bruns. Des Suisses, de nobles citoyens de tous les Etats neutres du monde buvaient force chopes, aux terrasses, en devisant. Leurs idiomes mélangés composaient, sans doute, le plus splendide des éloges en faveur de la nation guerrière qui, malgré sa douleur cachée, les recevait dans ses brasseries accueillantes. Certes, on aurait eu quelque difficulté à croire, en voyant cette grande kermesse, à la présence proche des troupes mahométanes. Pourtant, un certain communiqué militaire annonçait que des combats acharnés avaient eu lieu à quatre-vingts kilomètres de Trébizonde. Pour connaître l'esprit d'un peuple, il n'est tel que de lire ses gazettes. Les feuilles importantes, celles à fort tirage, représentent un esprit commun, assez éloigné du caractère réel de la nation. C'est dans les petites revuettes que l'on découvre les pensées cachées, les désirs vrais, les colères de la foule. Un Tel acheta de multiples hebdomadaires. Il y vit avec plaisir que l'amour demeurait, en Orient, l'occupation primordiale de tous. Il s'agissait là d'un amour frivole et sans portée sérieuse, d'une joie légère, d'un aimable échange de bons procédés entre gens de sexes différents. Des aviateurs y quémandaient l'amour de femmes généralement blondes et fortunées; des secrétaires aux armées ambitionnaient à gagner un cœur, grâce à une formule magique; il suffisait de prononcer ces mots énigmatiques: Secteur postal tant. Certains hebdomadaires politiques reflétaient des âmes d'une incomparable énergie; on y luttait, sans crainte, contre le cléricalisme ou la démocratie, adversaires dont la force doit être formidable, puisque, malgré des siècles de polémique, nul ne parvint à les abattre. Un Tel se rendit compte, également, que les modes importaient à Trébizonde. Il admira que l'on pût se passionner, en temps de guerre, pour la coupe d'un manteau, le style d'une robe. Cela prouvait un calme dans la souffrance, une possession de soi-même, une maîtrise des nerfs dont les Parisiennes eussent été certainement incapables. Qu'il y ait une littérature de modes, n'est-ce pas la preuve irréfutable que la vie nationale est équilibrée, que les Barbares ne sont pas arrivés à ébranler le moral des citadins? Fallait-il aussi qu'à Trébizonde on poussât jusqu'à l'excessif l'amour de l'armée, pour que des hommes n'ayant jamais été aux tranchées consentissent à se chausser d'immenses bottes, à revêtir de lourds manteaux, à s'habiller avec la rudesse et la simplicité du soldat. Les quotidiens ravirent Un Tel. A les lire, il retrouva l'Orient merveilleux des «vautours du Bosphore». Ce n'étaient qu'assassinats mystérieux, vols de documents, disparitions énigmatiques. Un jeune voyou, devenu une personnalité trébizondine, avait été étranglé en prison avec un lacet de soie. Des juifs qui, jadis, eussent porté, peinte à leur dos, la croix jaune infamante, avaient fondé des agences chargées d'injurier les honnêtes citoyens, de les accuser des pires crimes. Un pacha, riche comme un conte des _Mille et Une Nuits_, entouré de femmes empanachées et ruisselantes de pierreries, avait acheté des consciences de proconsuls et tissé avec des fils d'or, contre sa patrie, la trame la plus infâme. Une danseuse qui se disait Hindoue et se peignait au brou de noix, belle comme la Vénus Aphrodite, après avoir charmé de sa danse voluptueuse Trébizonde en émoi, avait vendu les plans du grand état-major. On ne pouvait imaginer un tel romanesque, et les «Vautours du Bosphore» eux-mêmes étaient surpassés. Pauvres vautours, acharnés sur des cadavres d'enfants impériaux, la nouvelle Trébizonde a des vautours d'une autre envergure, des carnassiers à tête de citoyens qui déchiquettent de la chair vivante, de la bonne chair de soldat! Celui-ci, désireux de s'offrir des danseuses et des automobiles, à peine sorti d'une prison d'enfants, rentra dans une cellule de grande personne, ayant planté son bec acéré dans le dos de ses compatriotes en armes. Cet autre brassait des affaires de trahison, par milliers, avec un sourire débonnaire, se nourrissant de mets exquis, buvant les plus fines liqueurs. Combien de vierges d'Anatolie et d'ailleurs avaient, pour un peu d'or étranger, subi les caresses de ce pacha? Heureusement, toutes les nations cultivées subissent une tyrannie puérile et charmante, celle des petites revues littéraires. L'esprit du lecteur en sort rasséréné. Trébizonde se devait d'avoir des poètes abstraits chez qui l'amour de l'obscurité compensait celui des belles-lettres. A la terrasse d'un café célèbre pour sa clientèle littéraire et théâtrale et qui porte le nom d'une ville où l'on aspire à mourir de l'avoir contemplée, Un Tel eut la joie de se mêler, anonymement, à une foule glorieuse. Les plus spirituels d'entre les critiques trébizondins, des hommes de théâtre, des managers, des actrices, le monde cinématographique, tous ceux que l'on admire et qui s'admirent encore mieux, discutaient en buvant du porto. Ces gens eussent pu, comme le vulgaire, disserter à perte de vue sur les opérations des armées. Ils tenaient à montrer que les pires maux ne sauraient troubler en rien une forte race. Le jeune premier exprimait en termes mesurés son opinion sur la récente générale du Théâtre Impérial et le jeu ridicule d'un autre jeune premier, son concurrent. Les cinématographistes vilipendaient les firmes nouvelles, reprochant aux éditeurs de déformer, par malice, la souplesse de leur jeu et leurs traits sympathiques. En souvenir, les imprésarios déshabillaient les actrices. Mais, agités par la fièvre du soir et les vapeurs des vins, c'est lorsqu'ils expliquaient leur rôle national qu'il fallait les voir. Ils se retrouvaient une âme semblable, une même manière d'observer les événements, un égal désir de ne pas y participer. Jouer des rôles enthousiastes ou gais, appelés à soutenir le moral du soldat; écrire des pages émouvantes sur les combats, tels devaient être leurs rôles en temps de guerre. Un Tel se souvint d'avoir entendu, à Paris, lors de sa convalescence, cette aimable romance sur la conservation des élites; ce n'était alors qu'une théorie, timidement exposée. A Trébizonde, le droit de préserver sa vie pour le bien-être de tous et la perpétuation de la race était accordé à toute une phalange de jeunes seigneurs du théâtre et de la presse qui, par leurs attitudes conquérantes et leur crâne élégance, donnèrent à Un Tel le sens exact de son infériorité. Combien les vulgaires soldats, retenus au désert et qui se font écraser par les éléphants sacrés du mammouhd, sont de médiocres défenseurs de la patrie, comparés à cette génération fleurie de fils d'académiciens et de jeunes premiers, amants des plus célèbres hétaïres de la cité ou pâles androgynes qui poussent l'amour des hommes jusqu'au plus raffiné des orientalismes. Un Tel fut confus de n'être qu'un rustre. Il sentit que ses mœurs normales, sa brutale santé étaient un défi à l'élégance et à la grâce de ces enfançons vers qui montait l'encens des élites trébizondines. A Paris, il est des gens qui pensent encore que tout honneur et toute joie doivent revenir à ceux qui se battent dans la fange, se noient dans les ravins inondés ou meurent d'épuisement, par les nuits de tempête, comme des loups. A Trébizonde, on estime au contraire qu'une précieuse jeunesse, conservée prudemment dans un service d'intendance ou de photographie, est autrement utile à la vie nationale. Elle entretient l'élégance et le bon ton dans les rues de la cité; il est bien qu'on la voie s'amuser, aimer et boire; elle permet de dire aux étrangers: «Malgré les flèches qui nous viennent des lointains archers du sultan, nous sommes un peuple aimable et joyeux!» Les Trébizondins sont gens d'esprit. Ils ont cette forme d'esprit supérieure: la rosserie. Dans les pâtisseries où patrouillent les sectionnaires des administrations, ceux qui portent des abeilles brodées sur leur pourpoint, le combattant est gentiment nommé le P. B. D. F., autrement dit le Pauvre Ballot du Front. Certes, on le considère à sa juste valeur. Il est un rouage nécessaire, une utilité, comme les œufs dans l'omelette. On l'aime aussi pour sa tenue pittoresque; mais, toutes considérations sentimentales écartées, qui donc oserait soutenir, à Trébizonde, qu'un soldat ayant l'audace de demeurer dans la boue ou la poussière, durant plusieurs années, n'est pas cette chose sympathique en somme et naïve que les gens spirituels ont appelé le P. B. D. F. Le roman ridicule et somptueux où Un Tel berça son désir d'aventures n'avait pas exagéré, qui montrait les Trébizondins, à la veille d'être égorgés, chantant sur leurs remparts. Les descendants des invertis et des apostates de l'ancienne ville impériale n'avaient pas démérité de leurs ancêtres. Ce peuple de marchands, de poètes, d'amoureuses et de comédiens était le même que celui qui laissa mourir les enfants des Comnènes et permit que leurs jeunes corps fussent la proie des vautours. Irrité, mais heureux quand même de s'être mêlé à toute cette vie prestigieuse et clinquante, Un Tel désira quelque repos. Il erra en de paisibles quartiers où des artisans travaillaient le fer et le bois. De vieilles femmes usaient leurs pauvres yeux à tricoter pour les soldats. Il vit de maigres femmes plier sous de lourds fardeaux, avec une abnégation, une ténacité qui faisaient d'elles les obscures amazones d'une guerre misérable. Il connut la peine du peuple, les courses infinies qu'il faut qu'une ménagère fasse pour nourrir son enfant. Il rencontra des bambins, dont les pères étaient tous morts en défendant la patrie, qui revenaient de l'école, une petite serviette sous le bras, en jouant comme des moineaux. Une jeune fille les accompagnait, grave de toute cette maternité charitable qui la poussait à soigner les orphelins. Un Tel apprit avec joie qu'à Trébizonde des infirmières bénévoles veillaient au chevet des soldats mourants. Il sut d'admirables dévouements, des générosités splendides. Il pouvait, maintenant, retourner vers les gares d'embarquement, loin du Bosphore chanteur et lumineux, rejoindre les grandes concentrations militaires, suivre son régiment dans l'hiver et la nuit. Un Tel avait la conviction qu'à l'arrière un peuple de vieillards, de femmes et d'enfants s'associerait, la paix revenue, aux aspirations des soldats; il devinait que, sous les ors menteurs et les voiles fastueux de la Trébizonde moderne, vivait une humanité charitable. Peut-être faudrait-il chasser des rues de la cité quelque pacha attardé ou quelque inverti trop lyrique; mais, cette besogne sanitaire accomplie, Trébizonde n'en serait pas moins la plus belle, la plus harmonieuse et la plus libre des capitales du monde. LES NOUVEAUX SOUVENIRS DE LA MAISON DES MORTS Un Tel, au cours de sa permission, rendit visite au Salon littéraire le plus estimé de la guerre. Toujours il exista un cercle, choisi entre mille, où se groupèrent les beaux esprits et les caractères originaux de l'époque. Une agréable loi a voulu qu'une femme fût la reine de ces cénacles où s'organisèrent des révolutions, où se créèrent des renommées. La femme est, de par sa grâce innée, un aimant. Elle attire, sans violence, les êtres les plus divers. L'art des femmes est de savoir se rendre à la fois toutes-puissantes et impersonnelles; elles président leur salon et, pourtant, il semblerait qu'elles s'effacent et disparaissent pour laisser place à leurs invités, à la manière de ces vieux pastels dont les couleurs évanouies gardent, quand même, leur souveraine lumière. Tel le ver méprisable s'insinue au cœur des roses, de vils personnages hantèrent, eux aussi, ces endroits privilégiés. Celui-ci n'échappait à aucune des lois qui font les grands salons littéraires. Une femme le présidait. D'une beauté assez froide, vêtue avec une recherche grave, elle n'inspirait pas le désir, mais on aimait à l'admirer pour sa noblesse de Tanagra immobile et jolie. De jeunes écrivains et des maîtres du verbe, des espoirs et des regrets, les sommités de l'art et ses apprentis se groupaient autour d'elle. Enfin, pour que ce salon ressemblât parfaitement à ses devanciers, quelques canailles prétentieuses y encombraient les fauteuils. La chronique méchante assurait que d'aucuns y venaient uniquement pour y savourer des gâteaux, de cinq à sept, une fois par semaine. Né de la guerre, ce salon ne vivait que d'elle, mais avec noblesse et sans profit. Une pensée pieuse avait présidé à sa création. La prêtresse de cette tendre chapelle rêvait, rien moins, que d'honorer les écrivains morts à la guerre, blessés ou prisonniers, de les aimer dans leurs œuvres. Quelques paroles étaient offertes au disparu; de belles voix disaient les pages les plus éloquentes de son œuvre, et l'on se séparait en communiant dans le souvenir du cher absent, dont le corps avait été broyé par un obus implacable, mais qui, néanmoins, grâce à son génie naissant, laissait une âme immortelle. Hélas! le beau rêve de la plus belle des femmes de lettres ne se réalisait qu'imparfaitement. La faute en était aux personnages frivoles dont l'indifférence narguait la tendresse des convaincus. Il est dommage que le monde littéraire soit peuplé de mufles, car il y éclôt de nobles idées. La honte de ce nouveau salon fut d'y admettre certaines gens du boulevard, dont un pseudo-poète qui se permit, déchet humain immobilisé, d'exalter en vers patriotiques le courage des soldats. Ce versificateur à monocle, une tête de Baudelaire pour cantiniers, célèbre pour ses invectives à l'égard de Racine, créait une sorte d'amertume dans un lieu où ne devait régner que l'admiration la plus affectueuse; il était la lie du plus pur des vins. Des femmes bavardes troublaient de leurs confidences irritantes l'émotion des plus chers instants. Certaines petites cabotines se paraient, selon le rite du jour, de robes aux couleurs diverses, rouges en l'honneur des blessés, noires pour les deuils; elles eussent aimé en arborer de tricolores. De faux héros parfumés, le torse moulé en un dolman soyeux, décorés d'ordres inconnus, osaient se joindre aux vrais soldats sur qui subsistait, malgré les soins décents, la boue tenace de Verdun. On y fêta de jeunes écrivains admirables, dont la mort fut un exemple; des mutilés qui, de leurs mains broyées, ne pourront plus écrire; des prisonniers, dont le rêve est enclos en des fils barbelés, quelque part, dans un camp silésien. Certaines heures y furent poignantes, témoin celle où un vieillard vint exprimer sa douleur sur la mémoire d'un jeune, regrettant de vivre en un temps où les anciens se voyaient obligés d'orner de couronnes les tombes où reposent des poètes de vingt ans. Un Tel fut heureux d'avoir connu, au cours d'une brève permission, le seul lieu où se pratiquait, en des rites nouveaux, la religion du souvenir. On peut revenir au front avec une âme moins irritée contre l'indifférence du civil quand le hasard vous fit rencontrer, chez lui, un peu de cette fraternité souriante et de cet esprit de corps qui reste l'apanage du combattant. LE MARIAGE DE LULUSSE Permissionnaire, Un Tel reprit ses courses pittoresques dans le vieux Paris. Il voulait revoir la ville, sous tous ses aspects, les seuls salons littéraires ne suffisant pas à satisfaire sa curiosité de soldat. C'est alors qu'il rencontra Lulusse de Charonne, un vieux compagnon d'armes. Le maître-coq de l'escouade, aux jours glacés d'Argonne, le boute-en-train de la compagnie, avait été frappé cruellement, un soir, près d'un carrefour, en distribuant le rata, dans l'exercice de ses fonctions culinaires. Un éclat d'obus lui avait emporté la jambe. Dès l'abord, Lulusse en eut un évanouissement de sa personnalité. Avoir été le mâle vigoureux qui séduit et mate, à la fois, un quartier, l'homme satisfait de sa force et de sa souplesse, et n'être plus qu'un infirme pitoyable, ne suscitant qu'une éphémère admiration, ce fut le pire tourment. Mais, le désir d'être aimé et redouté l'emporta sur l'amertume et la faiblesse. A Charonne, Lulusse redevint le conquérant des beaux soirs; il retrouva les accents éteints de sa verve, traquant l'embusqué sans répit et se reconstituant, dans une vie moins noble que celle des armes, une gloire solide et incontestée. Même, il en vint à jouer de son malheur, à plaisanter de son infirmité. Dans les cabarets où le peuple s'enivre de discours, d'un geste vif, levant son pilon, il frappait sur les tables de marbre, commandant d'une voix impérieuse un nombre illimité de bouteilles. Un printemps vint, messager d'allégresse. Les rues étaient illuminées et le chœur des oiseaux peuplait les jardins de pures chansons où rien n'apparaissait de la colère des hommes, Lulusse sentit une tendresse infinie lui caresser l'âme. Il perdit son apparente brutalité et, négligeant de persécuter les embusqués, il devint rêveur. La crapule que Lulusse émerveillait par son insolence ne voulait pas reconnaître en lui le lion de Charonne, turbulent et grossier, qu'elle aimait. Une jeune couturière au visage triste et doux, à la chevelure noire, était la cause involontaire de ce changement rapide, Lulusse l'avait rencontrée dans le faubourg. Elle passait, les yeux perdus, l'attitude modeste. Elle plut à l'infirme, parce qu'elle semblait être une opposition céleste à toutes les femmes capiteuses qu'il avait possédées. Elle n'avait pas les yeux de fièvre et la lèvre écarlate des amoureuses; elle ne se parait pas d'étoffes éclatantes et ne portait pas à sa gorge la trace des morsures du dernier amant. C'était une femme simple et douce, appelée à devenir, l'amour aidant, une mère de famille exemplaire, la plus fidèle des compagnes. Simple idylle? Lulusse avait promis d'être bon, de travailler, de déserter les bars; la jeune couturière, effrayée mais admirative, en présence de cet homme redoutable, s'était abandonnée à la joie de l'amour. Ils allaient se marier. --Tu viendras à mon mariage, demain, vieille canaille, dit Lulusse à Un Tel. J'enterre ma vie de gouape. Je veux devenir un citoyen patenté, un comme les autres. On restera bon vivant, et la bourgeoise ne s'ennuiera pas avec moi. Pour ce qui est de la rigolade, on sera toujours là pour un coup. Satisfait de s'être fait une vie régulière, Lulusse retrouvait sa gouaille et ses allures orgueilleuses. Un Tel, le lendemain, se rendit au mariage. La cérémonie fut dénuée d'inutile pompe, le maire officia avec simplicité. C'est alors que la noce commença. Chez un traiteur bourguignon, la famille et les amis étaient assemblés. La table, chargée de bouteilles et de fleurs, ressemblait à l'autel de quelque divinité païenne; l'or et le rubis des vins miroitaient au soleil. Lulusse rayonnait, comme le vin. Il narrait des histoires de guerre, il enluminait avec joie des aventures qui ne laissaient pas que d'être gaies en elles-mêmes; il évoquait, parmi les compagnons de jadis, les innocents, ceux dont les malheurs bêtes ou la peur instinctive font le bonheur d'un bataillon. Il y avait Masclet, qui tombait dans les trous d'eau et qu'il fallait repêcher avec une crosse de fusil; il y avait l'ordonnance du capitaine, celui qui préparait à son officier des choux-fleurs à la mayonnaise; il y en avait d'autres, bons drilles en somme, et si délicieusement niais! Puis, du plaisant à l'héroïque, Lulusse contait ses anciens exploits. Un Tel abondait dans ce sens, aimant à revoir ainsi toutes les figures heureuses ou tourmentées qu'ils connurent. Deux vieux parents, des ouvriers du faubourg, admiraient cette jeunesse qui n'avait pas tremblé dans la tempête. Les femmes riaient ou s'apitoyaient, selon la couleur des récits, cependant que le fils d'une voisine, indifférent à ce tumulte humain, dévorait avec une ferveur animale les gâteaux délaissés. La petite mariée contemplait son homme. Comme il était beau, et quelle émotion elle avait ressentie quand, selon une plaisanterie classique, il lui avait enlevé sa jarretière. --C'est pas tout ça, les amis, on va danser! invita Lulusse. Les servantes écartèrent la table. Une vieille demoiselle, pianiste attitrée des noces, dont le concours avait été sollicité, se mit au piano, et l'on dansa. Lulusse qui, pour fêter un tel jour et par orgueil d'homme, portait une jambe mécanique, enleva sa femme et se mit à tourner follement. Soudain, il pâlit et s'affaissa. Il sentit une honte infinie l'envahir. Sa jambe s'était brisée; l'appareil gisait à terre, ridicule avec sa carapace de cuir et de nickel. Les danseurs, emportés par leur élan, bousculaient l'objet, sans y prendre attention. Tandis que la pianiste continuait à marteler ses rondes entraînantes, la petite mariée, compatissante, posa sa fine main sur le front de l'infirme, qui se mit à pleurer. LA KERMESSE Un Tel rejoignit son bataillon au repos dans un de ces aimables villages de la Marne, entourés de croix de bois et qui reverdissent et prospèrent malgré les incendies qui les ont ravagés. Des maisons de briques ont été reconstruites, et les anciens habitants, qui ne purent se recréer le foyer disparu, se sont aménagé, dans les caves, des abris protecteurs. L'église romane, son clocher abattu, sa nef ouverte, atteste du malheur qui s'abattit sur la région. Le soir où revint le permissionnaire, il régnait dans le village une particulière allégresse. Les soldats se promenaient, en quête de secrètes beuveries, l'accès des cafés leur étant interdit. Au seuil des granges, des lascars, leur gamelle de soupe fumante en mains, interpellaient les filles de ferme, sorte de héros pantagruéliques qui en appelaient joyeusement aux plaisirs conjugués de la table et de l'amour. Un clairon lointain sonnait des fanfares heureuses. Le bataillon donnait, sous de grands arbres centenaires, à l'entrée du village, un concert. Quand la nuit fine descendit sur la campagne, des lampions bleus, suspendus aux ramures, illuminèrent sa scène improvisée. La foule des soldats se pressait sur des gradins de fortune: chaises, bancs ou charrettes dus à la générosité de l'habitant. Le général de brigade, un petit homme débonnaire, sorte de roi galant, ami de la poule au pot et des belles, prit place, entouré de l'auréole d'azur que lui faisaient, harmonieusement, les soldats. Les enfants des écoles, assis à terre, admiraient en silence les lampions que le vent balançait dans les arbres. L'orchestre joua une marche boulevardière qui souleva un formidable enthousiasme. Parsingaux, le chef de musique, caressait de son bâton sa noble barbe. Il conduisait, d'un air méprisant, les cuivres et les bois. Les soldats, en chœur, reprenaient au refrain, témoignant de la joie qu'ils avaient de sentir leur cœur bondir au rythme des fanfares et du mépris qu'ils ressentaient à l'égard du chef d'orchestre. Ils chantaient: _Pan! Pan! Pan! Pan! Il a tout du ballot, Il s'appelle Parsingaux_. Il faut dire que Parsingaux avait une mauvaise presse. On l'accusait d'avoir donné jadis, alors qu'il était simple brancardier, de l'argent pour que d'autres fissent, en ligne, sa charitable besogne. Il n'en avait pas moins la croix de guerre. --Joue-nous la valse des croix de guerre! hurlait la foule. Insoucieux de l'injure et méprisant l'opinion publique, le chef d'orchestre, enlevant sa troupe, reprenait le refrain. C'était le plus indescriptible des charivaris. On pouvait y retrouver des bravos, des exclamations, des appels, un murmure de voix pareil au mouvement des mers. Un comique excentrique, au visage glabre, entra en scène. Sa voix aigre avait quelque chose d'hostile et de plaisant à la fois. Ses gestes de pantin enchantaient par leur brusquerie comique. Malgré la niaiserie de son répertoire, il y avait quelque chose de subtil dans son jeu, une sorte d'ironie à l'égard de soi-même, comme si, interprète convaincu de la stupidité de ses rôles, il s'en moquait intérieurement. La joie du soldat est facile et communicative: une pirouette, un mot drôle, une ritournelle lui donnent l'illusion d'un spectacle riche en couleurs; il se croit au music-hall, il évoque les chansons arsouilles de Gaby Montbreuse, les défilés multicolores des revues, les danses voluptueuses au miroitement illimité des lumières, toute la folie des samedis soir au faubourg. La salle embaume l'orange, le musc et le tabac. L'orchestre exalte les fièvres endormies au cœur de la foule: désir d'aventures sentimentales et guerrières, rouges folies des révolutions. Un Tel partageait cette prestigieuse illusion; il se croyait à la Riviera du Montparnasse; il revoyait les femmes aux yeux profonds, à la gorge frémissante, dont le mystère l'attirait; il reconstituait ainsi les éléments brisés de son bonheur. Le soldat est frondeur. Il lui faut des refrains symboliques où s'expriment ses colères à l'égard du civil: _Vivent les poilus qui z'ont la fourragère._ Cette chanson, née dans une nuit de veille, dit l'orgueil que l'on a d'être fort, valeureux, conscient de son devoir, la splendeur des ovations parisiennes à la revue des drapeaux, la joie imprévue que l'on eut de voir tant d'avions dessiner, sur le ciel, des courbes élégantes, alors que l'on en vit si peu à 304. Critiques violentes et justifiées, ces chansons-là sonneront, un jour, durement, à l'oreille des profiteurs. Il en est qui feraient trembler de peur les indifférents s'ils pouvaient les entendre. Mais le soldat est bon garçon, et sa colère est brève. Le bataillon, ce soir-là, voulait s'amuser. La représentation de _L'Anglais tel qu'on le parle_ lui fut une occasion de s'esbaudir à l'aise. Le jeune secrétaire du colonel, paré d'une robe de la générale, incarnait à ravir la jeune miss amoureuse. Le maire avait prêté au père courroucé sa redingote. Ce fut une création. Tristan Bernard lui-même n'aurait pas reconnu son enfant en cette fantaisie burlesque. A minuit, les groupes joyeux repartirent, en chantant, au clair de lune, vers leurs cantonnements. Il y avait dans l'air irisé de la nuit des parfums d'amour, et les hommes, soulagés du poids de leur ennui, retrouvaient, d'avoir été bercés par des musiques et des refrains, l'allégresse et la bonté de leur jeunesse. Il semblait que la paix était revenue sur le monde. MONSEIGNEUR CHEZ LES DOUBLARDS Doublard est le nom vulgaire donné par les soldats irrespectueux au sergent-major, cet être supérieur et absolu qui tient en ses mains tachées d'encre la destinée d'une compagnie. Les doublards, en temps de guerre, ont un raffinement que leurs devanciers, «fils de labourateurs, labourateurs eux-mêmes» n'avaient pas, ce sont des comptables, des notaires, tous gens de bureau consciencieux, sinon dévoués, et parfois aimables. Les doublards du 5e bataillon, celui d'Un Tel, forment un groupe original et sympathique. Ils suivent, d'assez loin, le mouvement des armées et ne connaissent des combats actuels que les états de pertes, l'élaboration des citations, les rapports de patrouille, les situations administratives; néanmoins, ils ont les qualités et les défauts du soldat, ayant jadis, dans les tranchées d'Argonne, peiné et combattu, ce qui les fait mieux estimer de tous. Scribes inférieurs, ils retrouvent dans leur encrier toute la poussière d'une gloire éclatante et si l'ange de la victoire vient un jour, lilial et doré, ainsi que le révèlent les images d'Epinal, planer sur le bataillon, nul doute que son aile ne frôle au passage le front soucieux des doublards. Les doublards du 5e bataillon sont bruyants. Ils aiment la bonne chère, les vins de marque, les cigares craquant au toucher et le jeu qui met un peu d'imprévu dans la bureaucratie. Ils sont quatre, ainsi que tous les groupes valeureux dont s'honore l'histoire. Etre quatre: serait-ce la condition imposée à l'héroïsme en commun? La baraque où s'élabore leur méticuleuse besogne, battue des vents, au faîte d'une côte, leur tient lieu de dortoir, de salle à manger et de cabaret. Ils travaillent, mangent, discutent, chopinent et dorment fraternellement. Jadis, l'harmonie était impossible, entre gens de grattoir et de règle; la guerre, terrible fée qui transforme le monde, a civilisé les «ronds-de-cuir». Lempêtré est le sergent-major type. On s'étonne que cet homme ait été notaire quelque part. On l'imagine, aisément, naissant, à la stupéfaction de sa nourrice, avec un double galon d'or sur ses petits bras. Grand, sec, le geste brusque, Lempêtré ne laisse pas que d'être prétentieux. Il n'ignore rien des choses de la vie, et sa tête carrée contient toutes les lumières. S'agit-il d'organiser un repas, d'estimer un romancier, d'interpréter une circulaire? Lempêtré impose violemment sa manière de voir. Il devient vif et tranchant comme une paire de ciseaux qui grinceraient, à vrai dire, étant donnée la perpétuelle irritation du bonhomme et sa voix agressive. Lempêtré ne peut admettre que l'on ait une idée généreuse, un dévouement désintéressé, un enthousiasme réel, ces choses étant contraires à sa nature. Le doublard de la compagnie de mitrailleuses, Lanneau, est un esprit narquois; à la gravité de Lempêtré, il ajoute l'éternel sourire de son ironie facile. Delile, autre doublard, se contente de bien vivre, d'écouter ses compagnons et de les mépriser un peu pour toutes leurs paroles inutiles. Il travaille, sans autre ambition que de faire avec exactitude ce qui doit être fait. Enfin, voici Monseigneur! C'est un doublard honoraire, un ci-devant prêtre, ainsi que le baptisèrent les camarades, Monseigneur enfin, curé d'Aubervilliers en des temps paisibles; homme doux et cultivé, pénétré de la grandeur de son ministère; évêque, par proclamation, de tous les villages anéantis; nonce des tranchées. De nombreux invités, descendus des lignes ou revenus de permission, assistent avec joie aux joutes oratoires qui ont lieu au cours des repas et qui mettent aux prises Lempêtré et Monseigneur. Ce dernier subit avec une évangélique bonté les persécutions des doublards, ses confrères. Lempêtré se révèle fougueux anticlérical; il accuse, en roulant des yeux féroces, les prêtres de mille crimes, en général, et particulièrement Monseigneur de ravir le vin de la popote pour en faire un vin de messe. Le prêtre, à son tour, lance quelque flèche fine, acérée, délicate à son adversaire, au grand amusement de la galerie. La sympathie des soldats est acquise à Monseigneur; néanmoins, ils aiment à dire en sa présence des énormités où les mots déguisent à peine la pornographie des idées. Justes et clairvoyants, les simples, les braves, les «deuxième classe» exècrent Lempêtré, malgré ses discours démagogiques, et parce qu'il se montre le maître, le dispensateur des faveurs; ils ne lui pardonnent pas de se croire un chef, au sens magnifique du mot, alors qu'il n'est qu'un doublard. Un chef! Monseigneur l'est, à la perfection! Il est le tendre pasteur de l'Ecriture qui porte ses brebis sur ses épaules afin de leur épargner les pierres des routes. Il a pour ses hommes une condescendance infinie: --Je les admire, dit-il, pour leur abnégation et la vertu qu'ils montrent à souffrir en silence. Je comprends leurs excès au repos. Voire, j'aime s'ils sont ivres. Quand le vin les guide, ils sont joyeux, ils chantent; leur oubli de toute chose leur interdisant de penser à mal, ils connaissent une heureuse et saine irresponsabilité. Cet état de grâce, né de l'ivresse, est imprévu de l'Eglise et manque un peu d'orthodoxie; il n'en révèle pas moins chez le prêtre qui le loue une bonté parfaitement chrétienne. Un Tel devint l'ami de Monseigneur. Tous deux, jeunes adolescents épris d'idéal, avaient eu un même désir de connaître. Ces voyageurs de l'idée, ayant pris des routes différentes, s'étaient croisés sans doute en certains carrefours. Ils avaient eu des lectures communés: Villiers de l'Isle-Adam, tragique et mystique; Léon Bloy, au style douloureux et tourmenté. Ils eussent pu se rencontrer chez le fougueux polémiste à tête de dogue, car certains séminaristes, ainsi que nombre d'esthètes, connurent le chemin du taudis où vociférait le mendiant ingrat. Il est des feux qui attirent, dans la nuit, les errants. On les quitte rapidement, après s'être frôlé à leur flamme, et l'on garde un souvenir ému de leur chaleur. Il en est de même des livres qui sont de purs foyers où les hommes se retrouvent. Un Tel avait lu certains mystiques; il découvrait en eux des lyriques fervents et naïfs. C'était l'époque où les pires décadents, habitués des brasseries littéraires, convertis à une sorte de foi brumeuse, venaient à l'Eglise par la voie impraticable des symboles. L'un d'eux, fils de tribun républicain, après avoir erré parmi tous les marécages et pratiqué les débauches latines, créa _Les Echos du Silence_, revuette mystique où l'on exaltait l'amour du martyr, la croyance en une vie supérieure étrange et désordonnée et la peur des puissances infernales. Un ami de Monseigneur collaborait également à cette revue. L'invisible lien des Lettres réunissait ainsi le curé d'Aubervilliers au plus aventureux des poètes. Par Huysmans, nombre de lettrés connurent l'Eglise. Cet écrivain les conduisit en de graves chapelles où de nobles cérémonies les émurent. Les départs des missionnaires, les prises de voiles séduisirent les artistes. Ils apprirent le charme des vêpres, la splendeur des saluts où l'âme est enlevée par le rythme des chœurs palestriens. Un Tel et Monseigneur aimaient Huysmans. Quand ils discutaient sur leurs affections littéraires, précisant leurs raisons d'estime, Lempêtré se sentait exilé d'eux, relégué par un destin cruel dans une zone inférieure. Certes, parfois, il risquait un mot déplacé, une ironie grossière, mais il ne parvenait pas à troubler le bonheur que les deux rêveurs avaient de comparer leurs chimères. Outre les nécessités du service: comptabilités diverses, rééquipement des hommes, Monseigneur s'intéressait particulièrement aux étoiles, ce qui, pour un prêtre, est une manière fort jolie d'aimer le ciel. Aux belles nuits d'automne, toutes ruisselantes de diamants, il étudiait les groupements de lumières, les chars, les carrés, les doubles lettres inscrites à la voûte d'azur et qui sont autant de dessins merveilleux dus à quelque main divine. Un Tel ignorait tout de la vie céleste. Il apprit à reconnaître la beauté violette et tremblante de Wega de la Lyre qu'il aima pour son nom précieux. Au reste, les noms d'Orient dont se parent les étoiles lui furent un ravissement. Monseigneur chérissait sa cure. Il évoquait la population turbulente de sa paroisse et les soirs où il lui fallait défendre sa soutane contre l'injure des voyous; il allait vers eux et, par les moyens d'une rhétorique savante, il tentait de leur prouver qu'un prêtre est un homme simple, utile à la vie sociale, honnête comme les autres hommes. Il ne lui déplaisait pas de narrer les persécutions que lui valut la passion d'une vieille bigote, laquelle lui écrivit en forme d'adieu, lors de son départ aux armées: «Nos âmes sans sexe se rejoindront au ciel pour l'éternité!» Les soirs de liesse, autour de la table branlante où les doublards et leurs unités étaient assemblés, fort écouté, Monseigneur dissertait sur les Pères de l'Eglise. Plus d'un soldat apprit ainsi la bonté de saint Augustin et l'obscur courage des stylites qui restaient fixés sur leurs colonnes, pareils au combattant demeurant dans la tranchée malgré la boue et les explosions. Tel farceur louait les charmes abondants d'une épicière du parage; il insistait sur sa croupe imposante et ses seins où pourraient reposer les têtes amies de toute une escouade. Monseigneur se comparait alors au saint Antoine de Flaubert, tenté par les mille démons de la chair et de la table. Il ne manquait rien à sa tentation, pas même les belles pommes de terre ovales et dorées dont le fumet lui caressait agréablement la narine. Un Tel poursuivait alors une discussion, dès longtemps commencée: --Certes, disait-il, en présence de notre monde merveilleux et compliqué, devant ce mécanisme savant, je crois à l'existence d'une force supérieure régissant nos destinées. Dieu existe, mais j'en reviendrai toujours à l'idée d'un maître conciliant et débonnaire qui présiderait nos agapes et bénirait nos amours. Monseigneur ne pouvait admettre une conception semblable. Il importait d'être absolument avec l'Eglise. On ne pouvait, à son choix, croire ou ne pas croire, admettre telles vérités et se permettre de récuser les autres. --J'aime trop, ajoutait Un Tel, l'amour, non pas cette passion amoindrie qui vous fait œuvrer charnellement avec honte et tristesse, mais un amour joyeux qui se livre à toutes les fantaisies de la chair. Il y a, dans la volupté, trop de beauté frémissante et d'humanité profonde pour n'être pas une chose sacrée, protégée des dieux, s'il en est au ciel. Monseigneur avait l'art d'être discret. Il ne se heurtait pas aux idées arrêtées; il savait tourner les positions, désireux avant tout de sympathiser avec tous, d'adoucir la brutalité des hommes, de préparer, dans les cœurs les plus frustes, un terrain fertile où pourraient fleurir les sentiments chrétiens. Si toutefois cet apostolat demeurait vain, Monseigneur n'en recueillait pas moins l'affection de tous. On lui était reconnaissant de sa bonhomie; il était estimé pour les services innombrables rendus à la troupe. Aussi, par une condescendance fraternelle, les soldats, au dessert, chantaient-ils des cantiques, mêlant ainsi les hymnes sacrés aux paroles luxurieuses. Le prêtre était heureux d'entendre les mâles voix de ses compagnons louer les trois anges généreux qui vinrent porter au monde, un soir, _De bien belles choses._ Les hommes étaient émus d'évoquer la magie de Noël. Tous communiaient dans une sorte de religion irraisonnée qui, pour n'être pas orthodoxe, avait un charme particulier, pénétrée qu'elle était d'humanité réelle et de sereine joie. Ce soir-là, Monseigneur offrait une bouteille de vin bouché aux doublards et absolvait, dans son cœur, Lempêtré, demandant pour lui, au Seigneur, un peu d'intelligence et de bonté, prière qui jamais, hélas! ne fut exaucée, le notaire gardant une âme revêche, hostile à la douceur, insensible et bête comme un papier timbré. Enfin, toutes bouteilles bues, sous la conduite du prêtre, la troupe allait admirer les astres, dont la paix harmonieuse devrait être un exemple, incitant les hommes à calmer leurs agitations meurtrières. LA RENCONTRE Etre du même village ou de la même rue crée entre deux soldats un lien indissoluble. Fût-il le plus avili des buveurs, le compagnon qui naquit dans la maison où l'on vécut mérite une affection particulière. Combien, par reconnaissance, offrirent à celui qui leur évoqua leur cher clocher et les joies qui l'entourent les meilleures délices. --Tu es un frère. A notre prochaine permission, je te présenterai à ma sœur! Sans pousser aussi loin la générosité, Un Tel estima fort le brave ivrogne qu'il rencontra un certain soir et qui lui parla du pays. Le village d'Un Tel, c'est la rue des Canettes! Rue étroite et haute, durement pavée, où de vieilles femmes attendent, en priant, la mort qui les sauvera de la noire misère; rue bruyante, participant aux fièvres populaires; rue où l'on chante, où l'on se bat, où l'on aime, et qui garde, en dépit des transformations imposées par des esprits vulgaires, un aspect archaïque: telle est la rue des Canettes. De ces rues vibrantes, pareilles à des chaudières prêtes à éclater, surgissent aux heures troubles des guerres et des révolutions des énergies imprévues, des forces redoutables. Nombre de ceux qui jouaient dans les ruisseaux et poursuivaient de leurs quolibets les étrangers des quartiers adjacents, assez audacieux pour s'aventurer en une zone aussi barbare, moururent en braves, cherchant de leurs yeux angoissés les tours inégales et sonores de l'église Saint-Sulpice. Etre de ce quartier pieux, artiste et prolétaire, confère à l'enfant un caractère particulier. On ne courut pas en vain dans le plus magnifique des jardins du monde--le Luxembourg--sans en garder un désir éternel de beauté. Les lignes nobles des terrasses, la courbe des parterres et l'ordonnance des allées vous font une âme équilibrée. Le jardin devient ainsi une école d'élégance et de sérénité. Apprendre de la nature le secret d'être artiste est l'apanage de tous. Le gamin loqueteux qui, las de tourner dans la cour empuantie de sa maison, comme une hirondelle, est venu lancer un frêle bateau sur l'eau du bassin, sentira peut-être naître en lui une vocation imprévue. D'avoir erré sous les voûtes ombreuses des marronniers, il sera poète. Néanmoins, son âme s'obstinerait-elle à ne vouloir être qu'une pauvre chose obscure, le style de son quartier la marquerait d'un signe éternel. Il sera toujours le voisin du Luxembourg, le paroissien de Saint-Sulpice, le natif de la rue des Canettes. L'ivrogne tenait des propos inconséquents sur la guerre. Il avait une trogne bourgeonnante, des yeux chavirés, mais Un Tel reconnut en lui, à travers la démence de ses discours, un pays. Cet homme avait le cher accent du terroir. Il semblerait que les idées des habitants de la rue des Canettes n'aient jamais d'amertume; leurs rêves gardent un arrière-parfum de verdure et d'encens. L'ivrogne était optimiste et loquace; ses paroles révélaient un cœur tendre et chimérique: --Si je te reconnais! Tu habites la maison dans le renfoncement, celle où le juif qui a de si jolies filles tient un bazar de peaux de lapin. J'étais cordonnier; ta mère se servait chez nous. On faisait les ressemelages et nous avions toute la clientèle du quartier. On les reverra, la rue des Canettes et le bal-musette où l'on se battait le samedi soir. Tu parles d'une noce, si l'on revient! Toutes les filles du quartier mettront leurs chapeaux de printemps et leurs robes de la Samaritaine pour nous acclamer. On dressera des tables, avec les caisses de l'emballeur, dans les cours, et je jouerai de l'accordéon toute la nuit. Il coulera du vin dans les ruisseaux. On embrassera les femmes des autres sur les lèvres. «Le vieux de la boucherie chevaline, celui qui a des idées révolutionnaires, l'ancien ami du père Vaillant, s'il n'est pas mort gelé dans sa boutique peinte en rouge, au retour, je lui paie une muffée étonnante. Je lui dois une grande reconnaissance, à cet homme; il a vendu des rognures pour mon chien, un terre-neuve rouge comme des briques, même les jours sans viande. «Il y a aussi le fils de la mère Verdot, qui s'est embusqué dans les états-majors; que je le revoie, celui-là, avec sa raie et son faux col, après la guerre, je ferai sûrement un malheur! «Ce pauvre Anatole, le patron du petit bar où on se lavait la gorge le matin avec du vin blanc, il est prisonnier. S'il en revient, il trouvera toujours, chez moi, chaussure à son pied. «Des copains du quartier, quel «hécatacombe»! Il en est mort, Seigneur! que c'est à croire qu'il n'y a que nous de sacrifiés. «On rira, aux prochaines élections. Pour mon compte, je balancerai tous les meubles de la mairie dans la fontaine Saint-Sulpice. Je dis cela sans méchanceté, je sais bien qu'il faut être humanitaire. On s'entr'aidera, après la guerre, parce qu'il y aura de la misère. On sera charitable, communiste; ce sera la sociale avec, en moins, les discours.» Inlassablement, l'ivrogne faisait l'historique de la rue. Il disait les fêtes de jadis: retraites aux flambeaux du 14 Juillet, Fêtes-Dieu sur la place printanière, où les plus rudes lurons du quartier se courbaient devant la majesté de l'ostensoir. Il y avait une poésie délicieuse en ces mots vulgaires, parce qu'ils étaient évocateurs de jours heureux. Un Tel avait connu les mêmes joies. Il aimait d'une ferveur égale sa rue frémissante aux odeurs de gargote. Parent éloigné de ce cordonnier bavard, Un Tel l'écoutait avec ravissement. Ce lui fut une occasion inespérée de ne plus entendre l'éternel grondement de l'artillerie; il en oublia la nuit, la vermine et la boue. A l'heure angoissante où l'on sentait venir, à travers les vallons glacés, le grand hiver taciturne, il eut devant ses yeux l'image exacte et bien-aimée de la petite patrie, ce grouillement de maisons pittoresques où l'homme enclôt tout ce qu'il aime, vieux murs animés dont le soldat n'oubliera jamais l'accueil fraternel. L'ivrogne disparu, Un Tel s'assit dans un trou d'obus, afin de rêver en attendant la nuit. Une fine pluie se mit à tomber, qui le chassa de la plaine. Le soldat s'en fut, à l'aventure, sur des pistes glissantes, giflé par un vent rapide. Il marchait vers l'inconnu pour dissiper la tristesse qui s'emparait de lui et réchauffer ses membres transis. Parfois, son pied glissait sur des étoffes sanglantes, il heurtait quelque cadavre ossifié. Il allait, pris d'un désir de marche interminable, perdant tout sens d'orientation, satisfait de souffrir, d'errer sur la terre retournée, dans la douleur universelle. Bientôt, il franchit les lignes, sans se rendre compte du danger, descendant vers un vaste marécage où se miraient les derniers rayons du soleil. Une voix lointaine se fit entendre, qui attestait la présence de l'adversaire. Des coups de feu partirent; ils claquèrent sinistrement dans le ravin. Un Tel se crut perdu. Un sûr instinct lui fit prendre une piste où demeurait la trace de pas anciens; une force le poussait aux épaules; il n'aurait su résister au vent qui l'emportait; il marchait instinctivement, les yeux fermés, le corps brisé, en dépit des feux de mitrailleuses et de la nuit perfide survenue, dans la direction de la rue des Canettes, vers la féerie des jets d'eau et les ombrages embaumés du Luxembourg. SIMPLE IDYLLE Jolicœur appartenait à la classe 17, qui mérita d'être nommée la classe aimable pour sa jeunesse souriante et sa tendresse. Il était né à Tours, parmi la verdure, et ses yeux bleus gardaient la franchise et la lumière de la Loire. Il avait une physionomie de page aux traits fins et réguliers. Paris lui était apparu dans toute sa séduction et l'avait captivé, sans le perdre, malgré ses passions perfides, ses plaisirs pervers et sa frivolité. Devenu soldat, l'éphèbe gardait la douceur de son enfance et des sentiments puérils qui le rendaient charmant. Soldat! Il ne l'était guère. Trop frêle pour triompher de l'hiver et des bourrasques, trop indiscipliné pour admettre le joug absolu de la vie militaire, il ne pouvait pas oublier, sans regret, les bonheurs naïfs et si proches de sa jeunesse, toute la fantaisie brutalement interrompue de son printemps. Il y pensait constamment, et cela lui formait une mélancolie dont ses heures s'embellissaient, tant il y a de grâce à voir une amertume parer de ses légères épines une tête vouée à l'insouciance. Un Tel avait eu de ces tendresses délicates, il avait connu de ces amours rêveuses. Adorateur de la femme, il l'avait été religieusement. Mais des heures de fièvre et de regret, des colères et des trahisons lui avaient appris que l'amour dépose parfois sur nos lèvres une odeur de cendre et qu'il est souvent, si l'on ne se garde, une décevante servitude. Jolicœur n'avait pas eu le temps de ressentir et d'apprécier les douleurs amoureuses. Curieuse sensibilité que celle de ces gamins arrachés à leur joie et jetés dans l'immense tuerie. Ils n'eurent que d'éphémères liaisons, ils ne connurent que l'échange ému de tendres paroles, le soir, en des parcs déserts, où l'ombre s'accumulait. Serrements de mains rapides, baisers ravis dans la nuit à des lèvres ignorantes, mensonges délicieux du premier amour, combien vous êtes éloignés de la passion réelle! Toutes les fleurs dont se pare la statue du jeune dieu au cruel carquois sont vite desséchées et, trop souvent, naissent de leur poussière le doute, l'incroyance ou le plus insolent des libertinages. Au cours de la guerre, de jeunes couples, indifférents au tumulte du siècle, esquissèrent le geste d'amour. Jolicœur, ainsi que tous ses camarades de la classe aimable, avait dû, un matin bruyant sur le quai d'une gare fumeuse, embrasser une fois dernière la vierge qui le regardait partir, ne sentant pas encore brûler en elle les fièvres de la chair. Ce départ était doux et triste. Quel Dieu méchant enlevait ainsi à ces deux enfants leurs chers plaisirs? La saison des jeux du cœur semblait terminée; on ne cueillerait plus de pâquerettes au jardin; on ne se ferait plus de puérils serments; on ne suivrait plus, en se tenant la main, parmi les nuages mobiles ou transparents, le vol concentrique des oiseaux; on ne lirait plus dans un livre choisi l'histoire féerique et douloureuse des amants immortels: Paul et Virginie, le chevalier Tristan, le grave Chatterton. Un tourment troublerait-il, désormais, le cœur de ces enfants? La séparation leur rendrait-elle sensible la vanité de leurs amours incomplètes? Il n'y paraissait guère chez Jolicœur, qui gardait de sa petite amie le même souvenir tendre. Il l'avait rencontrée au jardin. Elle brodait gravement, assise sur un petit pliant, dans l'ombre bleue d'un marronnier. Elle était brune et portait une robe blanche. Ils s'aimèrent deux ans, sans oser se l'avouer; ils le firent auprès d'un parterre aux fleurs éclatantes et qui embaumaient comme une cassolette où brûleraient des parfums d'Arabie; ils jouaient la comédie de la passion avec une grâce infinie. Les vieillards les contemplaient, non sans envie et regret, quand ils se promenaient, en se confiant leurs pensées. Il y avait en eux la beauté matinale des roses, alors que le soleil ne les a pas encore énervées. Ils aimaient parcourir les avenues élégantes et silencieuses; s'ils voyaient un papillon blanc caché sous la verdure, ils se disaient: --Plus tard, nous aurons une maison semblable. Une seule fois, Jolicœur avait été saisi d'un trouble étrange. En embrassant les joues de son amie, le matin de son départ, il avait senti frémir sur sa poitrine les deux seins ronds comme des pommes de la vierge. Depuis, il la désirait moins douce et moins réservée; voire, à de certaines heures, il la rêvait perverse. Néanmoins, Jolicœur n'était pas un homme vil, passionné, égoïste ou sublime comme le sont les hommes; c'était un enfant qui faisait la guerre. Un Tel l'estimait pour sa candeur et son insouciance; il gardait, lui-même, trop de jeunesse pour ne pas affectionner ce petit soldat imprévu qu'un destin, pour le moins ironique, avait affublé de rudes vêtements et coiffé d'un casque deux fois trop gros pour sa tête menue; Jolicœur portait, en outre, un fusil plus haut que lui. Ignorer le danger n'est pas de la bravoure, et souvent ceux qui ne connurent pas de grands périls ont les apparences de l'héroïsme. Au sortir des camps d'instruction et dans sa première période de tranchée, la classe 17 fut particulièrement insouciante. Il fallut, un soir, que des patrouilleurs reconnussent les positions de l'ennemi, dans un terrain inconnu où des embuscades pouvaient être tendues. Des volontaires furent demandés; il y en eut une vingtaine: Donquixotte, l'infatigable, qui se souvenait à peine d'avoir été jadis un homme doux et conciliant, et d'autres que la lassitude n'avait pas encore aveulis. Jolicœur sollicita de participer à cette opération. On partit à l'heure où la lune se levait; il était convenu que l'on ne se reposerait pas, que l'on observerait tous les replis du terrain, que l'on visiterait les gourbis abandonnés, les sapes défoncées où l'adversaire pourrait se dissimuler. Jolicœur ne ressentait aucun effroi. Certes, la nuit était troublante, et plus d'un piquet, au loin, prenait une silhouette hostile. Qu'importe! N'était-il pas en compagnie de camarades aguerris, et ne voyait-il pas se refléter dans les eaux des marécages, auréolé de lune, le visage de sa petite femme, subitement devenu grave et diaphane, telle l'image noyée d'une lointaine et mélancolique Ophélie. Un Tel, uniquement préoccupé du but à atteindre, guidé par son instinct de chasseur, ne devinait pas le rêve du jeune soldat. D'excavations en excavations, la troupe atteignit un ravin où de hautes herbes odorantes se balançaient au vent. A genoux, les patrouilleurs observaient la nuit; mille bruits se faisaient entendre, confus, indéterminés; des travailleurs devaient, au loin, enfoncer des piquets. Qui donc, à droite, avait sifflé? Il fallait retenir sa respiration, se confondre avec l'ombre, être une chose immobile et prête à bondir. Jolicœur se mit debout; on ne pouvait le voir, il était si petit! Trois flammes jaillirent d'un buisson; Un Tel vit s'affaisser le bleuet; touché au cœur, il mourait, sans murmure, inclinant la tête sur sa poitrine, gentiment, comme il avait vécu. Ils revinrent, cortège affligé, portant l'enfant mort vers la tranchée française. Un Tel recueillit les objets que Jolicœur tenait de sa fiancée: une bague où était gravé un nom de fleur, un petit couteau, une chaîne avec un trèfle à quatre feuilles en vermeil et la photographie qu'elle lui avait envoyée pour fêter son anniversaire, puis il écrivit la terrible nouvelle. Pauvres beaux yeux, que vous allez pleurer! Un Tel chercha à atténuer la brutalité du fait; il tenta de laisser une illusion à celle qui jamais ne devait voir revenir l'absent qu'elle attendait; il assura que, peut-être, Jolicœur, blessé grièvement, enlevé dans une embuscade, n'était que prisonnier. Cette fiancée est trop jeune pour souffrir, pensait-il; elle ne supporterait pas un tel coup au cœur! Pour savoir être malheureux, il y faut une accoutumance. Le soldat s'attendait à recevoir une lettre pleine de cris et de lamentations. La louve à qui l'on abat les siens hurle dans le bois et se déchire la chair, en témoignage de son désespoir; les grandes amantes qui virent partir à jamais l'homme qu'elles serraient jadis sur leurs seins frémissants, en des nuits chaudes, mirent un crêpe éternel à leur cœur désolé. Qu'allait-il advenir? La petite vierge fut bien différente de ce qu'Un Tel avait imaginé; elle sut trouver des mots résignés où sonnaient, malgré tout, les carillons d'une nouvelle espérance; elle eut une tristesse de bon ton. La balle qui avait abattu Jolicœur ne l'avait pas, elle-même, blessée mortellement. Aussi, répugnant à poursuivre une correspondance inutile, Un Tel fit un petit paquet des chers souvenirs du défunt et le mit sur la tombe fraîche où flambait une cocarde tricolore. A quoi bon retourner à la fiancée du bleuet des objets dont la présence lui eût été indifférente ou désagréable? La cruelle petite amoureuse de l'amour était déjà consolée. CHEF DE BANDE Un Tel était un des rares survivants parmi ceux dont les exploits faisaient la gloire de son bataillon. Morts, blessés, disparus, repartis à l'arrière, las de la lutte incessante et des misères de l'infanterie, toute une phalange de braves s'était dispersée. C'était à peine si les noms de ceux qui s'illustrèrent particulièrement en des faits d'armes connus de tous demeuraient dans la mémoire oublieuse des camarades. Néanmoins, sortis vainqueurs de toutes les épreuves, unis à jamais dans la plus étroite des fraternités, quelques soldats perpétuaient les traditions de vaillance, de fidélité et de bonne humeur. Ils étaient le dernier carré d'une armée magnifique et disséminée. Sans que cela se fît ouvertement, Un Tel, parmi ses camarades, devint un chef. Les circonstances l'y aidèrent; une chance inouïe lui permit de ne jamais défaillir, de dompter toutes les difficultés. Chef, ce rôle impérieux exige des vertus exemplaires; mais, l'homme ne pouvant être parfait, souvent le hasard collabore à son mérite. Un Tel était de ceux que le hasard avait favorisé. Il ne s'illusionnait pas sur sa propre valeur; il savait dans quelle exacte mesure la fortune avait aidé son réel courage; sa notoriété lui venait de son esprit combatif. Entraîné aux luttes d'idées, ami des conflits et des bagarres politiques, il avait été naturellement disposé à faire la guerre. Il était un soldat à la manière de ces partisans qui se faisaient tuer sur les marches d'un trône, non par amour d'une majesté, mais pour le plaisir sportif de se battre. Avant la guerre, Un Tel affectait un certain mépris de citadin à l'égard du paysan; l'attitude des gens de la terre sous la mitraille, leur ténacité dans l'effort les lui fit admirer; il comprit tous les hommes et voulut les aimer; il se sentit le frère de ses compagnons. Ceux-ci, par réciprocité, chassèrent de leur cœur la haine jalouse qu'ils portaient jadis à l'intellectuel. Un contact de sympathie s'était établi entre tous les combattants; ils furent disposés à se découvrir des qualités et choisirent pour chefs les plus habiles et les plus courageux. Les caractères opposés se rapprochèrent, et l'on vit le terrible Citoillien, révolutionnaire intransigeant, partager son vin avec Donquixotte, un infâme capitaliste. Lulusse, qui était de Charonne, ainsi que nul n'en ignore, avait admis, au temps où la mitraille ne l'avait pas encore diminué, que les gars du Nord étaient de bons bougres, et les mineurs de Lille aux figures terreuses, les Roubaisiens trapus et violents, les tisseurs de Douai, longs comme des perches, le lui rendaient généreusement. Monseigneur, au temps où il cultivait les belles-lettres et soignait les âmes en sa cure d'Aubervilliers, n'avait pas imaginé qu'il saurait conquérir un jour l'affection des gouapes qui le poursuivaient de coassements ironiques. Les aspirants délicats et raffinés apprirent à la guerre à admirer un charretier argotique et rude qui mourut, face à l'ennemi, immobile, stoïque, comme le chevalier Bayard. Ils avaient, dans une barbarie savante, organisée, fait refleurir la cordialité des âges d'or; les uns et les autres consentaient à s'unir devant un danger qui les menaçait tous. Ainsi, ce que la prospérité n'avait point fait, la douleur le réalisait. Les officiers aimaient Un Tel parce qu'il incarnait le type parfait de la fidélité. Les problèmes obscurs, enfantés à l'arrière, dans les états-majors, Un Tel les solutionnait à coups de pistolet, sans vaine forfanterie, y trouvant un plaisir particulier, en artisan que le fait même d'avoir facilement travaillé suffit à satisfaire. Il est aisé, au demeurant, de combattre sur des cartes, le centimètre en main, de prendre des petits postes, en les encerclant d'un trait bleu: il est plus difficile d'agir. Un Tel était un homme d'action, venu à l'instant du monde où l'action était souveraine, ce qui lui conférait une indiscutable autorité. Des milliers d'hommes se révélèrent ainsi des chefs; ils se battirent et, ce qui est mieux, entraînèrent au combat les indécis et les pleutres. Combien furent-ils, ces agitateurs sublimes? Il serait dérisoire de prétendre à les connaître tous, et des milliers de tombes gardent le secret de leur témérité. On peut dire, sans outrepasser la vérité, que ceux-là seuls firent la guerre. Ils furent dix mille, vingt mille Un Tel, issus de vieilles familles roturières ou nés dans les châteaux armoriés, qui affirmèrent devant l'histoire le désir de vivre de la race. Ce furent de glorieuses bandes fraternelles qui, sur la terre meurtrie, se dressèrent comme aux premiers âges, le fer en main, afin de défendre les foyers attaqués. L'esprit de bande fit des miracles; il entretint la confiance et la bonne humeur des armées; il suscita l'émulation chez les braves. Certes, cet esprit de corps est redoutable pour l'avenir; il a déplacé l'organisation des partis et des classes, et nulle puissance humaine ne pourrait, maintenant, lutter contre. Les bandes sont constituées; elles ont des chefs, puissants parce qu'ils sont aimés de ceux qui les suivent; redoutables, car ils ont triomphé des pires dangers, vaincu la mort en d'innombrables combats. Ces bandes militaires déséquipées, revenues à la vie sociale, garderont leur esprit communiste, leur amour du danger, leur besoin d'être fortes; elles auront, peut-être, un peu moins d'apparente brutalité. Envers elles, les Etats n'exerceront aucun moyen répressif. Elles se différencieront des groupes, sans honneur, qui régnaient avant la guerre sur la République: financiers véreux, démagogues assoiffés, rhéteurs ventrus qui pillaient leurs compatriotes, en ce qu'elles auront été créées, pour des buts nobles, dans l'épreuve et sans autre ambition que de partager des souffrances. En vérité, une nouvelle féodalité se lève sur le monde! Les patrouilleurs traversant les réseaux de fils de fer par les nuits sans lune; le groupe franc qui saute à la gorge de l'adversaire et le terrasse; les hommes déterminés qui demeurent à leur poste, sous un bombardement, formeront l'aristocratie de demain. Elle sera juste, forte, implacable. Que si les combattants négligeaient d'exiger leurs droits et de les imposer à la foule oublieuse, les chefs de bande, les compagnons au geste prompt, au verbe facile, se dresseraient, sentinelles obstinées, et clameraient au monde épouvanté un nouveau code social où chaque soldat, payé des services rendus, sera considéré dans la mesure de ses anciens sacrifices. LE BANQUET DU CAMP B OU LES DIALOGUES SÉVÈRES Ouvriers, paysans, bureaucrates, Un Tel sait grouper autour de lui une bande intrépide et joyeuse. Combattre est bien; savoir vivre au repos et s'organiser son bien-être est mieux encore. Une bande heureusement conduite doit s'intéresser aux questions de ravitaillement et de cuisine, qui sont primordiales. Les festins des soldats ont une gaieté franche; ils sont une occasion de se revoir, de boire un vin qui chante au cœur et porte à l'amitié; ils exigent surtout un génie grandiose d'organisation. Découvrir des œufs, des vins et des desserts participe souvent de la magie; les plats ont alors une saveur spéciale d'être rares et coûteux; n'estime-t-on pas les choses pour la peine que l'on eut à se les procurer? L'heure des repas est la seule où la pensée du soldat est débridée: c'est alors qu'elle s'exprime sans feinte, violemment. Ces agapes fraternelles permettent à chacun d'exprimer son être intime, de résumer les impressions ressenties au cours des derniers combats. Au reste, l'échange de vues en présence des bouteilles, la communion de pensée autour d'une table improvisée sont dans la pure tradition des banquets. Et puis, le soldat l'affirme: --Il vaut mieux boire en compagnie que de mourir dans un coin, tout seul. On buvait ferme au camp B. Les troupes s'y reposaient, quelques jours, au sortir des tranchées; elles y manifestaient leur âpre désir d'être heureuses; elles se lavaient, chantaient, goûtaient à nouveau des plaisirs humains. Des sapes obscures et fraîches abritaient les hommes; ils y dormaient avec une volupté profonde, en compagnie des rats. Dormir, après de longues veillées nocturnes, est un plaisir de dieu. Sous la protection des arbres, assis à des tables vacillantes, les hommes discutaient, attendant impatiemment que les ravitailleurs en vins, chargés de bidons, revinssent des villages environnants, porteurs d'espoirs et de soleil. Certains s'isolaient en des toilettes compliquées, chassant les poux ignominieux sur leur manteau d'azur. Face au camp, sur la grâce illuminée d'un coteau, un cimetière aux tombes parallèles, où reposaient les morts du bataillon, flamboyait de toutes ses cocardes, de ses croix et de ses couronnes. Les vivants songeaient aux morts; ils allaient parer les tombes, mais sans y mettre cette douleur superficielle dont le rite funèbre se pare. Nous vivons en des âges virils où l'anéantissement est accepté. Certains soirs, le camp B retentissait de clameurs et de chansons; on eût dit un vaste navire où des marins ivres et proches de la terre, revenus d'une traversée périlleuse, fêtaient le retour dans les ports que l'on aime. Ce soir-là, le secteur était heureux! Les cuisiniers, ayant fait rôtir les viandes dans une sauce rousse et parfumée d'oignons, composaient avec des gestes de prêtre un gâteau mystérieux où les pâtes, la cassonade et les raisins de Corinthe se joignaient, pour la joie des convives. A la lueur chaude des bougies, le couvert fut placé: gamelles bosselées, assiettes en aluminium, quarts rouges et dorés par le vin, fourchettes brisées. Des bouteilles, aux cachets de cire verte ou vermeille, de calibres divers, alignées en un ordre parfait semblaient attendre, victimes expiatoires, l'heure du gai sacrifice. Les compagnons d'Un Tel étaient groupés autour de cette table, à peine décrassés, ornés encore d'une barbe sauvage. La bande fêtait son immortalité. Malgré les assauts, les bombardements, les sournoises maladies et l'effroi des saisons contraires, ces hommes sentaient un sang riche couler à leur peau. Donquixotte, plus maigre qu'un fakir, grave autant qu'il l'était jadis à son comptoir, alors qu'il débitait l'andouillette et le porc et qu'il se passionnait aux aventures de d'Artagnan et aux évasions de Monte-Cristo, exigeait qu'on se mît à table. Le rêve héroïque ne suffit pas à substanter un soldat; il y faut ajouter force plats consistants. Gustave, le Rempart de Calonne, revenu après maintes blessures, n'avait plus sa beauté de ruffian, son œil altier; il semblait adouci, comme affiné par l'âge et la souffrance. Citoillien, gras et jovial, allait de l'un à l'autre, oubliant les révoltes anciennes, évoquant des souvenirs bachiques, citant les noms glorieux des villages où tout le bataillon était ivre. Monseigneur présidait, donnant une tenue à la conversation, évitant avec habileté que les conteurs ne se livrent aux récits paillards dont la troupe est friande. Il rompait le pain avec douceur, comme à l'office, veillant à ce que chacun ait sa part de bien-être, de lumière, de vin et de sauce odorante. Un brave cœur, sous une rude charpente, le sergent Massacré, prit la parole: --Je suis un sanglier des Ardennes; bon pied, bon œil, et dix litres de vin ne me font pas reculer. Chacun a ses idées, ici-bas; mon rêve, à la descente des tranchées, c'est d'aller aux douches tout habillé. Ensuite, tu te mets au soleil pour te sécher, tu fumes ta pipe, tu regardes passer les ambulances, au loin, sur la route, et te voilà tout neuf. La vie est déjà bien assez compliquée; pourquoi l'embarrasser de théories inutiles? Les types qui m'abrutissent de phrases et de conseils, je leur réponds: «Cause à l'autre.» Sans autre raison que d'être bruyant, un camarade se mit à chanter: _Tout le long, le long du corridor On faisait des rêves d'o-o-or._ Un autre se remémora les beaux jours d'hôpital, où de jolies femmes lui offraient des oranges, des cigares et des confiseries. Quelles jolies fêtes les infirmières organisaient dans le jardin, sous les pommiers fleuris! Marthe Chenal y vint chanter autre chose que _Tout le long, le long du corridor..._ C'était peut-être la _Marseillaise_! La conversation devint générale; les quarts s'entre-choquaient avec un bruit d'armes, les bouchons volaient; à l'aide d'un poignard scintillant, un jeune grenadier découpait habilement le rôti. On but à la croix de guerre du cuisinier, on but à la paix, à la prochaine permission, à l'amour; on but pour le plaisir de boire, et les convives ne sentaient pas sur eux tomber la fraîcheur de la nuit. Sans perdre rien de leur vibrante gaieté, les convives délaissèrent les propos futiles ou grossiers; le vin, au lieu que de troubler leur raison, l'aiguisait sans doute et la rendait clairvoyante. Chacun exposa sa conception de la guerre et ses motifs de colère à l'égard du civil. Pour tous, l'âme du combattant est une énigme, et nul ne peut deviner le secret de la grande muette. Ce soir-là, pour elle seule, dans la zone inviolée du civil, l'armée fit entendre sa redoutable voix. Monseigneur, orateur éloquent, oubliant sa douceur coutumière, établit un réquisitoire contre le civil. En mots simples, compris de tous, le prêtre s'associa au courroux unanime. --Combien d'hommes, dit-il, qui parlaient d'humanité, négligeant les tendres leçons du seul maître que je reconnaisse, se montrèrent, en ces événements, des égoïstes? Combien ne partagèrent pas leur pain avec l'affamé? Combien se refusèrent à tendre une main charitable, quand l'émigré et l'orphelin imploraient d'eux un secours? La vertu de charité fut trop souvent l'apanage du soldat, le grand misérable de notre époque. Il en fut qui chassèrent au loin de leurs terres les familles errantes; il en fut qui abusèrent du malheureux et qui firent argent de sa pauvreté; ceux-là, civils notoires et respectés, seront bannis de la communion des hommes, parce qu'ils ne pratiquèrent pas la plus jolie des vertus chrétiennes. Ces paroles eurent un écho irrité: Citoillien parla. --Le propriétaire est demeuré le vautour; l'homme est toujours un loup pour l'homme. Des usiniers ont intensifié le travail des femmes, afin de rétribuer leur personnel à des tarifs inférieurs; une femme, n'est-ce pas une esclave taillable et corvéable à merci? On a spéculé sur le besoin de défense de la nation. Il nous fallait des armes et des munitions: on nous a vendu des grenades qui n'éclataient pas et des pistolets qui sautaient dans nos mains. Quand nous pataugions dans la boue d'Argonne ou de Champagne, des mercantis nous fabriquaient des semelles en carton-pâte. Le civil, avec notre peau, s'est fait de riches portefeuilles. Gustave s'associa à ce concert imprécatoire. Don Juan des jours paisibles, il gardait rancune à celles qu'il avait adorées d'avoir été volages; il en voulait plus encore aux amants embusqués, aux financiers luxurieux, à la horde infâme de ces mâles qui, loin de la foudre et des vents, à la faveur de leur or victorieux, faisaient la conquête des femmes infidèles du soldat. Massacré, dit «Cause à l'autre», se leva. Fermement, il exposa ses furieuses revendications: --Il y a des tas de types qui sont venus se soulager sur notre fumier; on aurait dû leur fiche des coups de fourche. Nous sommes trop bons! Le civil nous endort avec ses histoires sympathiques: le poilu par-ci, le poilu par-là! Moi, je leur dis: «Cause à l'autre.» La première fois que je suis allé à Paris, je vis le métro arriver, j'ignorais qu'il repartait si vite, je ne me pressais pas. Coin!... Voilà la voiture qui repart. Je reste là, sur le quai, comme une andouille. Une autre voiture arrive, je saute dedans en bousculant une grosse dame. On m'injurie, on m'appelle voyou, moi, un sanglier des Ardennes, titulaire de quatre citations... Et ils appellent cela, les civils, avoir de l'affection pour le poilu! Les buveurs communièrent dans le même courroux à l'égard de ceux qui, selon la parole du petit Breton qui mourut un soir dans les bras d'Un Tel, vivent de la guerre alors que les autres en crèvent. Le vent de la nuit emportait au loin leurs imprécations et peut-être dans les villes éblouissantes de lumières, auprès des tables fleuries où courtisanes et munitionnaires s'enivraient de champagnes étoilés, entendit-on la sourde menace venue des champs, des forêts et des plaines où toute une jeunesse armée attend le formidable retour. POLLUX LE CHEVALIER DU CINÉMA En temps de paix, Pollux inquiétait ses voisins par ses allures excentriques; son accoutrement lui valait l'estime des gamins. Une tête de clown sous un sombrero, des épaules roulantes de lutteur, un pantalon à larges carreaux blancs et noirs, tel il se présentait à la foule. Celle-ci le redoutait parce qu'il était fort et l'admirait pour son rôle social; n'était-il pas un roi de la cinématographie, un de ces hommes dont les pitreries s'inscrivent en lignes de lumière sur tous les écrans du monde et qui font rêver au delà des mers, de belles inconnues? Certes, il n'avait pas le geste tendre et svelte d'un jeune premier, la beauté sombre de l'amant éconduit; ce joyeux camarade était grotesque et disloqué. En société, sa turbulence était recherchée. Nul comme lui ne rotait en cadence, rythmant de ses hoquets la plus sensible des romances, et c'est quand il lançait en l'air les bouteilles débouchées qu'il le fallait admirer; parfois, un consommateur se voyait éclaboussé de bière ou de champagne; ce sont là de petits incidents qui n'enlèvent rien au talent du jongleur. Pollux était le prince de la cascade. Tomber d'un échafaudage et passer de la rude main d'un policier sous le jet d'eau de l'arroseur municipal forment les premiers éléments de la cascade. Nageur intrépide, l'habile cascadeur se jetait dans la Seine, remontait hâtivement sur le quai, roulait sous les roues d'un fiacre, se heurtait à la vitrine d'un antiquaire, entrait la tête la première dans un service en porcelaine, recevait quarante in-folio sur la nuque, le sourire et le cigare aux lèvres. Il animait de son jeu rapide et joyeux les plus invraisemblables des scénarios. Couvert de suie et de cirage, il devenait le roi vorace et redouté de quelque tribu nègre inconnue; roulé dans la farine, il se transformait en mitron qu'une femme déshonore; cinglant un cheval rapide, les bras liés à l'encolure, on eût dit un aventurier du Far West. Il incarna mille rôles et ce fut, au dire de ses pairs, dans celui d'un singe qu'il triompha. Certains de ceux dont la mission est d'amuser la foule et de lui donner les plus imprévues, les plus troublantes des sensations, sont, au demeurant, de très paisibles bourgeois, menant une vie normale, exempte de perturbations et parfaitement équilibrée. Ils se dépouillent, au sortir de la scène, de leurs tourments et de leurs passions; ils quittent le pourpoint du guerrier, la robe du monsignor ou la sombre cape du traître pour n'être plus, loin de l'opérateur de prise de vues, que des pères de famille, de bons époux, fidèles à leur foyer, amis de la quiétude et du bien-être. Pollux aimait le cinéma de toute son âme. En toute circonstance, il se croyait en scène, paradait, jouant un rôle éternel, avec des grimaces et des contorsions inouïes. Soulevant les chaises, les tables, les pianos, équilibriste paradoxal, il jouait avec les phrases et les meubles, ajoutant des gauloiseries brutales à ses exercices, hurlant des refrains idiots. Sa vie était une intéressante et pittoresque création; elle avait la fantaisie d'un film comique et donnait cette impression brillante et saccadée d'une projection lumineuse au cours de la nuit. Pollux était le chef de la bande des Pi-Ouit. Ceux-ci, clowns intrépides, comiques anglais, gardant sous une morgue extérieure la plus fébrile des fantaisies, formaient une phalange de travailleurs acharnés de l'art cinématographique. Il y a une manière élégante de prendre, entre le pouce et l'index, une boule de billard; il y a une façon risible de tomber à terre en faisant un grand écart; on peut, avec esprit, fumer un cigare des deux bouts, telles étaient les savantes occupations de la bande des Pi-Ouit. Ces artistes, du plus moderne des arts, étaient des êtres particulièrement tourmentés; ils recherchaient, par des procédés nouveaux, à donner l'illusion du vrai dans le miraculeux, à dessiner les formes excessives de la joie et de la douleur, et leur jeu était une caricature. Au reste, leur physique se prêtait à la réalisation du comique; ils étaient d'une maigreur extrême. On eût dit, à les voir défiler, la pipe au bec et le canotier sur l'oreille, une combinaison d'angles. Un petit monde de bonisseurs, de photographes, de coloristes, de danseurs et d'artistes gardaient à Pollux une affection vraie. En son art, n'est-il pas un maître incontesté? Le premier des Pi-Ouit était audacieux, il avait l'orgueil de ne point truquer ses acrobaties; il sautait, nageait et se faisait écraser en conscience, ce qui ne laissait pas que de le parer d'un juste laurier. Brutal, grossier, excentrique, Pollux n'en était pas moins, en un siècle vulgaire, un être chevaleresque. Quand il pliait ses jambes élastiques, afin de mieux bondir, ainsi que le scénario le lui imposait, loin d'un mari jaloux, par une fenêtre ouverte sur le vide, on eût dit qu'il allait, pareil au clown de Banville, «crever le plafond de toile» et rouler dans les lampes à arc qui sont, elles aussi, «des étoiles». Equilibriste et poète, ce sont des vocations qui sympathisent, et rien ne s'oppose à ce qu'un clown ait une âme et des mœurs de rimeur. François Villon fut paillard et grand dépendeur d'andouilles; Pollux n'ignorait rien du vol à la tire et des plus viles luxures! Le Chevalier du Cinéma eut une belle qui lui permit de devenir un grand premier en amour. La muse de la bande des Pi-Ouit, artiste habile et fêtée en sa jeunesse, prit avec la maturité une ampleur excessive. Elle avait une perruque oxygénée, des yeux rieurs et lumineux; elle savait tirer la langue à ravir, elle était espiègle et bedonnante, ce qui la faisait ressembler à quelque marmot grotesque et bariolé, fabriqué à Nuremberg par un artisan en délire. La môme Citrouille triomphait à l'écran en femme-cocher, en concierge; elle était, quand elle interprétait les jeunes filles, joignant ses courtes mains sur son triple ventre, une caricature atroce de Claudine. Son apparition faisait naître un rire formidable. Pollux la soulevait avec aisance, la portait à bras tendus, la laissant retomber sur le sol, où elle rebondissait comme un ballon. Un jour, sous cette charpente burlesque, il sentit que battait une pulsation frêle et régulière; découverte inouïe: la môme Citrouille avait un cœur! Pollux aima sa compagne sincèrement, mais il lui préférait encore son art; aussi s'amusait-il à exagérer les manifestations de sa tendresse; dans son inconscience, il ridiculisait la plus douce des traditions païennes, le geste universel et gracieux par excellence: le baiser sur les lèvres. C'était un couple dont l'extravagance suscitait, quotidiennement, des stupéfactions, des rires et des batailles; la foule les poursuivait de quolibets, les acclamait; parfois, le peuple est inconstant: des gouapes les injuriaient sans mesure, ce qui permettait à Pollux de faire une prompte et parfaite démonstration de boxe française accompagnée de sauts périlleux. La guerre surprit le Chevalier du Cinéma en plein triomphe; certaines de ses créations avaient remporté un succès mondial. Les marchands de bœufs de l'Amérique du Sud, les nervis marseillais aux foulards coloriés, les petits nains ivoirés du Japon, les enfants rieurs de la Martinique, les obscurs paysans des campagnes mystiques où l'icône est vénérée, toutes les foules désireuses de voir un peu d'irréel et de mensonge parer leurs existences avaient suivi, avec une passion commune, les invraisemblables aventures, en douze parties, de «Pollux, roi des mines d'or», à qui de sinistres bandes veulent arracher la fortune et l'honneur. Le héros, ayant juré de garder le secret du filon d'or jadis découvert par des chercheurs obstinés et de le remettre à la reine des mines quand elle aurait vingt ans, gardait le plan sur son cœur; des traîtres, vainement, tentaient de le lui ravir; ne pouvant s'emparer du précieux talisman qui leur eût assuré la richesse, ils emprisonnaient la petite orpheline. Pollux, échappé miraculeusement à une dizaine d'explosions et de chutes vertigineuses, délivrait la douce jeune fille. Soudoyé par les bandits, le peuple des mineurs se révoltait; Pollux le réduisait au silence, après un combat magnifique où cinq cents cavaliers, qu'on eût dit descendus des fresques de Michel-Ange, traversaient au galop l'écran vingt fois de suite. Un matin doux et frais, où le vent animait de sa caresse légère les roses des jardins, Pollux et sa gentille protégée s'épousaient; les mineurs jetaient des fleurs sous leurs pas heureux, tandis que le traître s'étranglait dans une maisonnette où, poursuivi par le remords et des cavaliers mystérieux, il croyait voir apparaître, invincibles et menaçantes, les ombres de ses victimes. Il avait conquis la célébrité et le cœur des petites ouvrières de toutes les vastes cités du monde. Il délaissait la môme Citrouille, s'étant épris de la jeune Américaine aux yeux limpides qui interprétait, à ses côtés, avec une ingénuité délicieuse, l'héritière aux 500 millions. Il n'était pas un faubourg usinier où l'image du chevalier Pollux, aux traits fortement accusés, ne se dessinât ostensiblement; elle fut recouverte par les affiches de la mobilisation; cette ombre s'évanouit dans la tragédie naissante; seuls, quelques portraits demeurèrent, sales et décolorés, sur des murailles de banlieue, attestant la valeur de toute gloire humaine. La guerre fit de Pollux un soldat imprévu, peu discipliné, mais d'une élasticité surprenante, apte à toutes les besognes, prêt à tous les coups de main, Fregoli de la bataille, à la fois éclaireur, grenadier, homme de liaison, souvent heureux et toujours assoiffé. Pollux se devait de se joindre à la bande vigoureuse des défenseurs de Calonne et des conquérants de 304; il suivit Un Tel dans toutes ses aventures; chose étrange, il ne se signala pas en des combats singuliers; il n'eut pas à son actif un fait d'armes exemplaire. Ce familier de la gloire semblait la délaisser; il se battait dans l'ombre, avec obstination, simplement, durement, comme les camarades, souffrant de l'hiver et des bourrasques, couvert de vermine et de terre. Néanmoins, il eut son rôle dans le formidable mécanisme de la guerre; il soutint, à sa manière, le moral de ses camarades; il contribua à leur donner une âme égale et forte par sa verve endiablée. Les pirouettes dont il ornait ses discours valaient certes, aux yeux des soldats, en des saisons de particulière amertume, les plus fiévreux des encouragements. Alors que les obus creusaient dans la tranchée de vastes entonnoirs, tandis que les escouades effrayées se terraient, Pollux, une cigarette aux lèvres, demeurait à son poste, avec forfanterie. N'avait-il pas encouru de plus redoutables périls au cours de sa vie cinématographique, quand il combattait dans un imaginaire Alaska contre de modestes figurants transformés en de féeriques chercheurs d'or? Ainsi, cette transposition de l'irréel en son existence courante lui était une magnifique occasion de bonheur; il se croyait toujours devant l'objectif, prêt à inscrire sur la pellicule immortelle un geste héroïque. Pollux avait le cœur et l'esprit d'un gavroche: --Où tombent actuellement les obus? faisait demander le capitaine que le bombardement inquiétait. Et l'infatigable farceur de répondre: --Dis-lui qu'ils tombent par terre. Pauvre clown! Il cachait une tristesse vraie et délicate sous les scintillements de sa joie. Las des amours faciles et grotesques qu'il avait connues, délaissant la «môme Citrouille» et ses tendresses de cirque, il rêvait de vivre un jour, dans le luxe et la fantaisie, auprès de l'Américaine ingénue qu'une jolie fiction lui avait fait épouser à l'écran. Elle s'appelait Mary; elle avait des poignets d'enfant, des mains fines et transparentes, un rire frais et chanteur comme de l'eau. Quand Pollux, l'arrachant à ses ravisseurs, la portait en ses bras, il la sentait trembler sur sa poitrine, comme une colombe. Une nuit silencieuse, Un Tel et sa bande partirent en reconnaissance. Les hommes traversaient, en rampant, la forêt; Pollux les précédait, leur cherchant un chemin parmi la broussaille. Il marchait fièrement, au clair de lune, inconscient du danger. N'était-il pas l'invincible roi des mines d'or, le Chevalier sans peur et sans reproche du Cinéma? Il ne songeait pas à l'adversaire qu'il pourrait rencontrer et qui l'abattrait; il ne voyait pas l'œil de feu des mitrailleuses qui le guettait dans l'ombre bleue; il ajoutait une nouvelle aventure à la série des films qui lui valurent sa renommée. Celle-ci, comme les autres, se terminerait par une pirouette, un sourire et des bravos. Ce fut, hélas! une pirouette sanglante! De la gauche à la droite, subitement, une fusillade éclata. Les balles brisaient les branches, s'aplatissaient sur les cailloux et trouaient les arbres; les grenades s'ouvraient en gerbes sonores et flamboyantes; la reconnaissance se dispersa comme un vol de moineaux. Un Tel, en s'enfuyant, entendit Pollux, blessé, qui criait en son délire: --A moi, mes fidèles mineurs! Le silence se fit entre les lignes. La nuit suivante, les camarades de Pollux sortirent, afin de retrouver son corps. Auprès d'une source, ils découvrirent une croix. Une main ennemie, un instant fraternelle, y avait écrit ces simples mots où ne se devinait pas le mystère de toute une vie: «Ici repose un brave mort pour la France.» LAZARE CARNOT OU LES MOUSQUETAIRES DU F. M. «Les tireurs du fusil-mitrailleur prendront le nom de mousquetaires.» (_Instructions sur l'Infanterie_.) Par un jeu du hasard, Un Tel, ami du pittoresque, avait la propriété de grouper des êtres d'exception, venus de tous les points du monde, attirés à lui par une force inconnue. Il sut se créer de ferventes affections. Certains l'aimèrent d'une passion irraisonnée pour sa nature indépendante, ils lui vouèrent leur existence; d'autres, afin de le suivre, abandonnant leurs craintes instinctives, devinrent téméraires; d'autres le haïrent violemment, ainsi que l'exécraient jadis les trublions des chapelles littéraires. Lulusse, revenu à la vie civile, écrivait à Un Tel. Tous ceux qui avaient eu l'honneur d'appartenir à sa bande en gardaient un souvenir ému. Il y a des êtres d'attraction, sorte de pôles magnétiques vers qui les hommes se dirigent. Un Tel avait toujours guidé la destinée de ses camarades, et nombre de mères inquiètes ou de femmes jalouses lui reprochaient son emprise sur la volonté des leurs. Le soldat qui aimait le plus Un Tel fut un simple: Lazare Carnot, nègre athlétique, né aux îles, parmi des végétations magnifiques. Il ne se parait pas, aux jours de fête, de hochets d'ivoire, et c'eût été l'injurier que de croire que ses ancêtres avaient dansé, le scalp en main, autour du poteau coloré où rôtissait, à petit feu, un Européen infortuné. --Je suis, disait-il, un homme libe, un citoïen de la épublique de Jean-Jacques Ousseau et de Icto Hugo. Cet homme libre était l'esclave de son affection. Susceptible à l'excès, il eût toléré d'Un Tel les plus cruelles plaisanteries, tant il était asservi. Dans la bande des patrouilleurs, Lazare était fusilier-mitrailleur; il était appelé à défendre, par un feu juste et rapide, ses camarades, en cas de combat imprévu ou d'embuscade. A l'exercice, il était souple; il suivait strictement les instructions reçues. Il y avait quelque chose de puéril dans cette discipline de nègre qui ne cherchait pas à comprendre les raisons du combat, s'abstenait de discuter la valeur de son arme, tirant parce qu'il fallait tirer. A de certaines heures, Lazare Carnot était mélancolique; Un Tel sollicitait alors ses confidences. Le nègre évoquait la splendeur de son île: il y avait un port aux eaux lumineuses; le chef du port était coiffé d'une casquette à huit galons, c'était un amiral appelé à recevoir les navires étrangers, à leur entrée dans la rade; il en venait deux ou trois par an. Des femmes en pagnes miroitants, portant de larges ombrelles en toutes saisons, se promenaient dans l'avenue sablée qui montait au «Moulin Rouge», petite maison sur pilotis, ainsi nommée par des marins de passage; des couples y dansaient jusqu'à l'aube. Quelques kilos de pois secs, secoués dans un tambour, formaient l'orchestre de ce bal cosmopolite où s'enlaçaient des êtres de toutes couleurs: noirs aux sourires épanouis, mulâtres fins et graves, matelots anglais chaloupant comme des bateaux à voiles, Chinoises échouées en cette île à la suite de marchés honteux. --On s'amusait, mon cer; un soi, nous dansions au pemier étage; le plancé s'est écoulé; nous sommes tombés su la tête des autes danseu; on a bien i! Lazare Carnot habitait une maison en carrés de plâtre, recouverte de chaume; il y faisait une délicieuse fraîcheur. C'est là qu'il reçut une nuit la visite d'une petite danseuse à la chair ferme et dorée qui vint frapper à sa porte, toute nue, des fleurs en ses bras. --Qui est là? --C'est l'Amour! dit une voix musicale. Pour n'être pas aussi simples, nos amours sont-elles aussi jolies? La guerre étant venue, Lazare Carnot s'engagea. Il gardait une grande discrétion relativement à ses conceptions sociales. Il avait une opinion déterminée sur la guerre: --Moi, mon cer, je suis citoïen libe de la épublique fançaise. La Fance se battait, je suis venu de suite servi son dapeau. Un Tel songeait que ce nègre eût donné une leçon à nombre d'intellectuels et de snobs qui, Français, n'en oublièrent pas moins leurs devoirs les plus impérieux. Lazare Carnot ne dédaignait pas la politique. Il aimait à se remémorer certaines élections où l'on se battait à coups de bâton, afin que fussent affirmés dans l'île les principes «émocatiques» et «anticléicaux» que toutes les civilisations nègres envient à la métropole. Confusément, le mousquetaire noir admettait, lui aussi, l'union sacrée. Lazare Carnot avait l'étoffe d'un bon citoyen et d'un parfait soldat. Son arme était luisante, propre, méticuleusement entretenue; jamais un gravier n'eût risqué d'en entraver le précieux mécanisme. C'est avec de semblables soldats que l'on peut soutenir la plus dure des guerres. Un Tel pensait à ces écrivains humanitaires qui se virent froissés en leurs nobles sentiments, parce que des noirs collaboraient à notre œuvre guerrière; il lui apparaissait que le bon, le naïf Lazare Carnot était autrement utile à la cause française que ces folliculaires partis se terrer en Suisse, où ne grondait pas la tempête, afin de nous donner des leçons de dignité humaine. Un Tel admirait qu'un fusilier-mitrailleur nègre, esclave hier encore, fût venu apprendre à des apôtres férus des principes de nos grands ancêtres comment on défendait la liberté; il se proposait, la paix venue, de le conduire dans notre capitale, de lui montrer nos amours, nos passions politiques, nos divertissements, nos arts et nos femmes, et de lui demander humblement de nous apprendre la franchise et la simplicité. L'AVION ABATTU Le lieutenant chef-pilote partit du camp aux baraques camouflées en rasant le gazon. Son appareil roula quelques secondes et s'enleva légèrement; l'hélice faisait un vent forcené, le moteur ronflait avec un rythme égal et continu. Une petite poupée japonaise, fétiche offert par une danseuse, attachée à un fil, semblait ouvrir sur le vide des yeux épouvantés. Le ciel était orageux, sillonné de nuages, peuplé d'obus errants. L'avion, secoué par les explosions, cherchait dans la lumière une route heureuse. Il lui fallait traverser les barrages d'artillerie, survoler les lignes ennemies, en dépit des mitrailleuses, et deviner où se terraient, en leurs nids mystérieux, les terribles «maxim». Le pilote, indifférent à sa direction, songeait à sa belle vie sportive d'autrefois; il revoyait les jeux harmonieux et forts de son adolescence et la chère maison où l'attendaient, anxieusement, ses amours. Les hameaux brûlés, les bois abattus, les cimetières immenses, les campagnes infécondes défilaient à ses yeux vertigineusement. Des groupes traversaient les routes, minuscules et héroïques; ce petit peuple d'azur se préparait à mourir! L'attaque devait bientôt se déclencher et l'avion, bel oiseau précurseur, préparait la route aux vagues assaillantes. Sur sa bête de bois, de tôle et d'acier, le pilote se sentait maître de lui; il observait avec calme les replis du terrain, les cours d'eau, les terres remuées, les pistes foulées, tout ce qui révélait une présence humaine. Parfois, un fusant dessinait son panache dans le ciel, comme si l'adversaire, désireux d'honorer son visiteur, lui offrait un bouquet de lumière. Le moteur s'irritait; ses flancs métalliques étaient secoués de convulsions; on eût cru entendre gronder un dragon apocalyptique. Des oiseaux au vol triangulaire fuyaient devant le corsaire du ciel, cet errant inattendu des célestes jardins. L'avion survolait les lignes françaises. La terre soulevée pour des fins guerrières, les armes dissimulées, toute cette œuvre automatique de feu et de destruction, vues de haut, paraissaient dérisoires. Se pouvait-il qu'une humanité stupide se crût fortement défendue derrière ces buttes qui, du ciel, n'étaient que des pâtés de sable, presque invisibles, enveloppés d'une immense brume? Le pilote cherchait à repérer exactement les tranchées de l'adversaire et leurs bouleversements: il importait, avant tout, de savoir si la position pouvait être enlevée, de haute lutte, par l'infanterie. Il arrêta son moteur, afin de surprendre les bruits qui pourraient monter du ravin. Soudain, une ombre gigantesque cacha la terre à l'observateur; une odeur irritante de poudre le prit à la gorge; d'invisibles canons, avec leurs obus rapides, lui barraient son chemin de lumière. Il se sentait secoué par un vent forcené, prêt à être jeté hors de sa carlingue; il lui semblait que son appareil craquait sous lui, sinistrement. Un mince éclat de fonte vint trouer le moteur, une flamme jaillit et, dans un tourbillon de feu, de métal en fusion et de toile arrachée, l'oiseau s'abattit au centre du ravin, les ailes mortes. Au loin, les fantassins virent tomber du ciel un globe de lumière. Le pilote gisait, écrasé, parmi les débris de son appareil. Ainsi, éclaireur avancé de nos troupes, le jeune lieutenant, les reins brisés, les bras en croix, attend l'impossible relève. Puisse un assaut glorieux mener jusqu'à lui nos vagues triomphantes! Combien de morts, mêlés à la terre immortelle, attendent eux aussi d'être vengés; combien, dont les os demeurent sur le sol, qui semblent exiger qu'on les vienne secourir? Ceux qui ne combattirent pas, ceux qui vécurent joyeusement, entendront-ils la voix des morts couchés entre les lignes? Elle vient, avec le vent de l'hiver. A l'aube, lorsque le civil s'éveille dans sa chambre tiède et qu'il s'apprête à jouir encore d'un jour heureux, n'entend-il pas des doigts glacés qui frappent à ses carreaux? S'il ouvrait sa porte au vent qui passe, peut-être comprendrait-il la plainte immense de tous les soldats qui n'ont pas été, qui ne seront jamais relevés. Verrons-nous les ombres des héros s'insurger contre les cités et revenir, implacables, au milieu des festins, renverser sur le sein des femmes volages les vins fins dont leurs courtisans s'abreuvent? Sportifs du quartier de l'Etoile, braves muscadins de l'arrière, clients énervés des bars secrets où l'on tangue, prenez garde qu'un soir les pilotes morts au champ d'honneur ne viennent se joindre à vos farandoles! LA RELÈVE Telle une étoile unique dans un ciel tourmenté, il est une chose que les soldats, au cœur de la tranchée, contemplent avec espérance: la relève. L'image de cet instant les console et les fortifie; elle leur donne le courage qu'il faut pour supporter sans défaillance les misères de la guerre et triompher de ses périls. --Ce soir! C'est la relève! Mots heureux qui se chuchotent de poste en poste, qui courent la première ligne, portés sur une aile invisible, vous avez ranimé le soldat glacé, redonné du cœur au veilleur abattu! Etre relevé, c'est pour quelques jours quitter la zone de mort, avoir le droit de marcher sur les routes et de revoir des maisons. Les relèves sont dures, elles se compliquent de bombardements imprévus; parfois, le guide erre à la recherche de sa route, la troupe se perd dans la nuit; n'importe, le fantassin accepte sans trop murmurer les marches inutiles, la pluie qui lui cingle la face, le vent qui le terrasse, car il entrevoit au bout de la route le radieux repos dans une grange, les beuveries et les jeux. Il faut patauger en des boyaux fangeux ou longer des pistes périlleuses; c'est à peine s'il est possible de voir, aux nuits profondes, les trous d'obus et les excavations creusés sous les pas du soldat. Les étoffes et les équipements mouillés pèsent aux épaules, la boue colle aux mains; il faut avancer sans répit ou perdre la colonne. Aussi les relèves ont-elles un caractère individuel. L'homme attend qu'un autre homme vienne et lui dise: --C'est moi, camarade, je suis ton remplaçant! Sauve-toi! Il charge son barda et, s'appuyant sur un gourdin noueux, il s'en va. Où va-t-il? Un vague instinct lui dicte sa route; il suit la foule sombre qui, elle aussi, se dirige vers l'arrière; il rejoindrait les routes et les camps les yeux fermés s'il le fallait, tant il désire le repos de l'esprit et du corps; sans doute se tromperait-il parfois quelques instants, mais sa volonté d'être heureux lui ferait toujours retrouver la bonne piste. Dès que l'on échappe à l'oppression des boyaux et que le pas sonne librement, sans contrainte, sur la route, les voix s'élèvent, les cigarettes s'allument; les hommes, séparés de leur unité, se groupent. On dirait que tout un peuple de morts, surgi de la terre, envahit les carrefours et marche vers les villes, désireux de participer à nouveau au festin de la vie. La relève, c'est une résurrection. Quel peintre génial et douloureux inscrira pour toujours, sur un immortel panneau, ces retours pittoresques par les routes camouflées avec des toiles pendantes, ce qui les fait ressembler à des voies triomphales. Il en est de ces pèlerins armés qui n'ont plus la silhouette du soldat moderne; ils ont l'air de s'être battus sous Vercingétorix, couverts de peaux ou de caoutchoucs, ficelés en d'étranges capotes, vêtus de sacs à terre, perdus dans la bourrasque; ils ressemblent à des pêcheurs islandais. Leurs voix sonnent dans la nuit, glorieuses de pouvoir réveiller les échos. Certains, vaincus par la fatigue, titubent comme s'ils étaient ivres. On dirait le retour d'une kermesse, tant il y a d'allégresse difficilement contenue dans le cœur de ces ressuscités. A la faveur de l'aube, les unités se reconstituent, le désordre s'organise. Ces hommes en loques forment, néanmoins, une armée. Les uns boitent. Les autres traînent sur la route, porteurs de bouteillons qui leur battent aux flancs; ils ont, pourtant, une allure martiale, ils donnent une impression de force et de sécurité. Tant que des gamins de vingt ans et des hommes, à peine leurs aînés, consentiront à n'être que des paquets de boue errant sur les routes, la France vivra. Consentiront-ils toujours à une telle souffrance? Ils l'ont supportée, ils la supporteront encore parce qu'ils croient à la justice de leur cause, à l'inéluctable nécessité où ils sont de se battre. Les voici qui s'installent dans une immense sape où tout un bataillon pourrait dormir; ils s'étendent sur des couchettes étagées; l'humidité suinte aux parois de leur demeure; l'air est irrespirable, mais il est si doux de retrouver un peu de quiétude, l'apparence du bien-être, que ce lieu infect les enchante. Un Tel, soldat comme eux et qui sent vivre en lui les aspirations et les pensées de tous, partage cette joie enfantine; il se joint aux conversations des camarades. Confuses dans la tranchée, les idées, sous le coup de fouet de la relève, se raniment et retrouvent leur primitive vigueur. Une rumeur d'océan monte dans ce purgatoire des braves; les idées y sont en fusion. A la lueur incertaine des bougies, il semblerait qu'un avenir se crée, turbulent et magnifique. Les tailleurs de pierre qui élevèrent les cathédrales devaient avoir cette foi invincible! Les compagnons d'Un Tel bâtissent, eux aussi, aux heures de liberté et de repos, leur œuvre qu'ils espèrent immortelle: la paix. Ils la savent lointaine, parce qu'ils la veulent parfaite. La grande relève! Un Tel l'entrevoit avec son imagination de poète; il la pare de splendeurs qu'elle n'aura pas. De vils poètes, perroquets arriérés, attachés à leur perchoir, ont chanté, sur un rythme facile, ce retour des héros par les Champs-Elysées. Ceux-là, profiteurs masqués en troubadours, consentiront à fêter Un Tel un jour par an, ainsi que jadis les Césars permettaient à la canaille d'être reine. Quand les lampions seront brûlés, ils croiront avoir témoigné suffisamment de reconnaissance à leurs défenseurs. La grande relève, aucun de ceux qui ont le droit d'y songer, aucun des combattants ne la veut faire avant que soient établies la gloire et la sécurité de la race. Certes, tous les soldats ne sauraient fixer exactement les raisons de leur constance; mais ceux qui, dans les armées, pensent pour les autres, les entraîneurs d'hommes dont Un Tel est le type, n'auront cure des changements politiques, des influences sentimentales, des raisons économiques qui pourraient orienter la guerre dans une direction différente de celle qu'ils se sont imposée. Avant que ne se fasse la grande relève, il faudra besogner encore, se battre âprement, regagner le terrain pied à pied. La lassitude arrête parfois le bras du soldat, le froid le tue, les obus lui arrachent les membres. Un Tel a vu mourir ainsi les meilleurs de ses compagnons, et pourtant, malgré cette diminution des forces, il a décidé de lutter. L'instant est venu où tous les chanteurs, les pitres de la bravoure, vont devoir renforcer nos bataillons. Il y a, entre les lignes, des mourants qui demandent du secours; il y a des morts qui tendent leurs bras décharnés vers la patrie impuissante. Si les francs-fileurs de l'arrière refusent de se joindre à cette armée dont ils louent la vaillance, il est à craindre qu'à la grande relève elle ne les chasse de leurs positions, de leurs intérieurs fleuris, si toutefois elle consent à leur laisser une vie qu'ils ne voulurent pas sacrifier à l'heure où tous les paysans, les ouvriers et les intellectuels de France acceptaient de mourir. «Vivement la relève!» C'est le cri unanime des soldats. Cette aspiration au bonheur est humaine, mais elle se complète d'une acceptation émouvante de la souffrance: «Vivement qu'on remonte!», ce qui se traduit ainsi: La vie ne vaut pas qu'on la vive tant que les soldats de l'armée française seront loin de tout ce qui leur est cher, la femme qu'ils aiment et le faubourg où ils naquirent. Ces choses acquises, la France libre, l'honneur sauf, Un Tel et ses compagnons feront la grande relève, qu'ils désirent heureuse, cordiale, ensoleillée, car rien ne leur serait douloureux comme d'être obligés, la guerre étant finie, de devoir la recommencer contre les jouisseurs et les ploutocrates de l'arrière. UNE CHAUMIÈRE, UN CŒUR ET L'INDÉPENDANCE Un Tel, que le sort toujours favorisa, connaîtra sans doute l'heure heureuse où, délaissant les armes, il lui sera loisible de reprendre le cours de sa vie civile. Il sera de ces prédestinés qui verront la grande relève, terre promise à tous les soldats et que nombre d'errants immortels ne pourront, hélas! rejoindre. La guerre n'aura pas employé toute l'énergie des jeunes hommes qui la firent et qui en reviendront. Pour quelques-uns, devant en garder une lassitude infinie, combien, au contraire, verront s'accroître leur amour de la lutte et de l'aventure. Les combattants, laboureurs revenus à leurs charrues brisées, ouvriers retrouvant l'usine si longtemps désertée, auront un but unique: être heureux! Les souffrances subies avec fermeté portent en elles un stimulant particulier: elles préparent à la joie et la font plus vivement désirer. Ceux qui connurent la soif, la faim, le froid, et qui furent meurtris dans leur chair, jouiront d'un bonheur facilement accessible. La possession de ce qui leur faisait défaut, le retour au foyer, la compagnie d'une femme leur assureront des joies immédiates et précieuses. Tous, humbles ou puissants, restreindront leurs désirs; il leur suffira, pour s'estimer heureux, de posséder une chaumière, un cœur les aimant et l'indépendance. Une chaumière! Fût-elle pauvre, démeublée; n'y brûlerait-il, à Noël, que des branches mortes, ramassées dans les bois du voisinage, il faudra que les anciens combattants aient ce nid. Trop longtemps, ils vécurent en oiseaux migrateurs, pour devoir continuer, aux jours paisibles, leur course vagabonde. Chacun aura droit à sa demeure, qu'il parera selon sa fantaisie; il l'embellira de la féerie qui chante en son cœur; il y mettra les fleurs à jamais épanouies de son rêve. Que ce soit la ferme où l'on écoute avec mélancolie pleurer la pluie d'automne et gémir les vents; que ce soit le somptueux appartement aux meubles de bois laqué, odorant et rare, tous les intérieurs auront une même douceur; on y connaîtra des joies pareilles, un divin repos. Un Tel, peu désireux de vivre en un luxe sans art, gardera son studio d'avant-guerre, demeure étrange où les livres, les armes et les étoffes tenaient lieu d'objets utiles et pratiques; un sabre congolais, à la lame large, droite et flamboyante, vaut certes un buffet. Le poète y veillera sous la même lampe, retrouvant les papiers jaunis où jadis il inscrivait ses pensées intimes. Niché sous le toit, dominant son vieux quartier, éveillé dès l'aube par les angélus de Saint-Sulpice dont les tours semblent transparentes en la brume et prêtes à s'évaporer, Un Tel ne saurait quitter sa demeure; elle lui ressemble en trop de points, à la fois proche du ciel merveilleux et reliée à la rue où s'invectivent les marchandes, où les chiens aboient, où le peuple chante. Les nuits d'été, quand la fraîcheur des arbres du Luxembourg et leur parfum enchantent les rues désertes, ses fenêtres ouvertes sur l'azur illimité du ciel, Un Tel cherchera les étoiles familières dont Monseigneur lui apprit la vie mystérieuse: Orion, brillant comme une armure, et la modeste Wega de la Lyre. Mais il faut ajouter à toute demeure ce parfum, cette musique et cette clarté que seule une femme peut y apporter avec sa voix caressante et sa chair lumineuse. Un Tel, avant que de courir aux combats, avait lié sa vie; rien ne lui sera aussi doux que de renouer les chers liens. La bohème amoureuse, ses passions éphémères nées au cours d'une nuit d'orgie et dès l'aube évanouies ne furent que de frêles plaisirs qui ne suffiront pas à peupler la vie sentimentale des anciens combattants. Assurés d'un amour durable, ils réaliseront tous cette union définitive de deux êtres partageant, avec une âme fervente, espérance, fortune et adversité. Ils feront sauter sur leurs genoux un enfant aux yeux rieurs, à la chair ferme, aux fesses bien rondes, qui sera la petite image, l'ombre affinée de leur compagne. En cet enfant, ils auront plaisir à se retrouver, eux-mêmes, avec leurs défauts mignons d'autrefois, leur gourmandise, leur naïveté et tout cet enchantement qu'ils avaient au temps où leurs parents mettaient de l'aloès au bout de leur porte-plume, trop aisément transformé en sucre d'orge: telle sera la consolation de leurs misères, le prix de leurs nuits angoissées, le laurier que mérite leur valeur. Si la société est ingrate à l'égard de son défenseur, si elle ne lui accorde pas des droits, en considération de ses sacrifices, il lui restera, au moins, de n'avoir pas lutté pour tous, vainement, puisqu'une femme et un enfant lui en garderont amour et reconnaissance. Les droits qu'exigeront ces combattants se réduiront à peu de chose, en somme. Ils ne permettront pas qu'après avoir défendu ce que les penseurs officiels et les politiciens de l'époque appelaient les libertés du monde on ne leur accordât pas les traditionnelles libertés françaises. Contre toute tyrannie s'opposant à leur bonheur, ils s'élèveront. Etre esclave de l'or est bien le pire des asservissements. Indifférent à l'égard du capital, Un Tel ne tolérera pas que se crée, néanmoins, contre lui ou sans lui, une aristocratie financière, injuste et méprisante; il se tiendra éloigné des partis et des sectes qui jugulent la pensée et lui imposent des modes inférieurs et communs; il revendiquera le principe absolu de la désunion sacrée, la liberté pour tous de penser et d'exprimer des idées sans les faire entrer dans le cadre d'un parti, le droit de n'avoir d'autre lien que ses affections. Il y aura alors une sainte fusion entre ceux que le feu groupa sous son terrible joug; ils se solidariseront contre l'infortune, indifférents aux systèmes politiques et sociaux. Pour eux, le régime acceptable sera celui qui leur donnera le droit et les moyens de se bâtir une chaumière, de pouvoir se créer une famille et des libertés. Ainsi, au petit poste, où sifflent les balles, d'heure en heure, afin de se distraire de la pluie, de l'ennui ou de la souffrance, les veilleurs établissent les principes d'une société nouvelle. Tel est, couvert de boue, attendant la grande relève, tel sera, à son retour, Un Tel, soldat dont l'âme est toute l'âme jeune, ardente et généreuse de l'armée française. TABLE DES MATIÈRES Pages. Une jeunesse 9 La foire aux idées 17 Ismes et crates 22 Le miracle de la Marne 26 En ligne 33 Patrouille 44 Gustave le Rempart de Calonne 47 Lulusse de Charonne 51 Bichromate ou la motocyclette infinie 56 Le vieux 62 Ceux de l'arrière 67 De l'amour 72 De l'idée de Dieu 77 Le Noël barbelé 82 Le sang versé 87 Azur! Azur! Azur 96 Le retour 101 La Riviera du Montparnasse 107 Le soldat perdu 113 L'ancien 118 En route 123 Ecole buissonnière 130 Histoire d'une fourragère 139 Le pote 150 Tap-Tap ou la servitude militaire 155 Exégèse de certaines phrases militaires 160 Les paradis artificiels 166 Le peuple et le roi 172 La dégradation 175 Un Tel à Trébizonde 178 Les nouveaux souvenirs de la maison des morts 190 Le mariage de Lulusse 194 La kermesse 198 Monseigneur chez les Doublards 202 La rencontre 211 Simple idylle 217 Chef de bande 224 Le banquet du camp B ou les dialogues sévères 229 Pollux le Chevalier du Cinéma 237 Lazare Carnot ou les Mousquetaires du F. M. 246 L'avion abattu 251 La relève 255 Une chaumière, un cœur et l'indépendance 261 Imprimerie E. DURAND. 18, rue Séguier CHOIX DE LIVRES PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE PAYOT & Cie 106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN PARIS [Logo de l'éditeur] _MM. PAYOT & Cie enverront leur catalogue et la liste de leurs prochaines publications à tout lecteur qui en fera la demande_. G. CLÉMENCEAU LA FRANCE DEVANT L'ALLEMAGNE In-8 6 fr. Lisez les trois cents pages de ce livre qui paraît court, qui donne la sensation d'une marche rapide, d'une montée à l'assaut. GUSTAVE GEFFROY. Tous les Français, quelles que soient leurs opinions, y verront le visage ardent de la Patrie, et les Alliés, combattant pour un même destin, les neutres, spectateurs lointains du duel farouche, y trouveront l'image de la France, réveillée brusquement de sa confiance d'hier, et plus belle que jamais aux grands jours de son Histoire. (_Le Temps_). Ce livre permet de juger en pleine connaissance de cause le rôle d'un des hommes politiques qui ont eu en ces dernières années la plus grande influence sur l'opinion française. (_La Revue de Paris_). Ce livre contient des pages tout à fait saisissantes. (_Daily Mail_). C'est toute la pensée française que M. G. Clemenceau exprime dans cet ouvrage, en homme d'Etat, en philosophe, en patriote. (_La Nouvelle Revue_). M. Clemenceau parle, dans ce livre, en patriote clairvoyant et attentif. (_Revue chrétienne_). Campant l'une devant l'autre les deux grandes personnalités morales de la France et de l'Allemagne, M. Clemenceau oppose magistralement les vertus surhumaines les plus pures, les plus hautes, de l'une, à l'appétit monstrueux de l'autre. (_Bordeaux-Colonial_). _La France devant l'Allemagne_, c'est le livre de l'époque la plus tragique que l'on ait connue, le tableau d'un conflit de civilisation tel que la terre n'en avait jamais vu. (_Commerce et Industrie_). On se souviendra, en France, de la voix prophétique dont l'écho nous arrive par _La France devant l'Allemagne_, de M. Clemenceau. Cet homme a sauvé son pays en l'avertissant. (_Gazette de Lausanne_). LIEUTENANT E. R. (Capitaine Tuffrau) CARNET D'UN COMBATTANT Avec 64 dessins à la plume de CARLÈGLE In-16 4 fr. 50 L'auteur conte avec une simplicité, une sincérité qui égalent l'art le plus consommé, qui sont de l'art et du meilleur... PIERRE MILLE (_Le Temps_). Un livre sincère et réconfortant, un livre qui montre par quoi l'on dure au front et comment on tient, un livre fait pour soutenir tous les courages. (_Le Journal_). Je recommande le _Carnet d'un Combattant_ à tous mes lecteurs militaires ou civils, car il est l'ouvrage d'un homme d'honneur, qui voit juste, et l'expression même de la réalité. C'est un admirable volume que tous les civils doivent lire. Capitaine Z... Cet ouvrage écrit avec mesure, vrai sans exagération, réaliste sans grossièreté, présente les choses comme elles sont et traduit le véritable état d'âme des soldats. On les voit vivre et agir pendant l'assaut, au repos, à l'arrière, en corvée, en marche. L'horreur d'un pareil enfer ne déforme ni leur volonté, ni leur imagination, ni leur courage. De jolis dessins illustrent ces pages héroïques et simples. A. ALBALAT (_Journal des Débats._) L'auteur du _Carnet d'un Combattant_ est un écrivain de bonne race et de bonne tradition. Il a la force, le goût et le charme. (_L'Action française_). C'est le seul volume de ce temps, avec _Le Feu_, qui nous fasse toucher l'âme même, boueuse et tragique, de la guerre aux tranchées... LOUIS DELLUC. Les récits du capitaine Tuffrau sont intéressants, bien venus, d'une langue souple et claire et donnent, en résumé, la physionomie des nôtres en présence de l'abominable guerre actuelle... CHARLES MERKI (_Le Mercure de France_). Beauté, noblesse, simplicité émanent de ces trente-deux esquisses, toutes vibrantes d'une émotion contenue, brossées avec un art discret... (_L'Union française_). Ce livre est un beau livre, un de ceux dont nous, Français, pouvons être fiers; non seulement pour la qualité de l'artiste nouveau qui s'y révèle, mais à cause de l'âme qui l'inspire. En un temps où les yeux de l'étranger sont fixés sur notre pays, on aime de penser que c'est un Français qui a écrit ces pages, et que l'on saura par elles la hauteur où peuvent atteindre sans jactance certaines âmes de chez nous. (_La France_). CAPITAINE Z... L'ARMÉE DE LA GUERRE Les officiers. -- Les soldats. -- Le chef de section. -- L'infanterie. -- Troupes d'élite. -- Engagés volontaires. -- Marsouins. -- Chasseurs. -- Zouaves. -- Cyclistes. -- Conseils de guerre. -- La discipline du front. -- La légende du poilu. -- La liaison au combat. In-16 4 fr. 50 L'ARMÉE DE 1917 Le chef de corps. -- Le troupier. -- Officiers de troupe. -- Le chef de bataillon. -- Le commandant de compagnie. -- Sous-officiers. -- Le caporal. -- Mitrailleurs. -- Téléphonistes. -- Joyeux. -- Crapouilloteurs. -- Infirmières. -- Le poète de la guerre. -- Les progrès de notre infanterie. -- Le poilu et les journaux. In-16 4 fr. 50 _L'Armée de la Guerre_ aura certainement de l'influence sur notre corps d'officiers et sur les générations nouvelles. C'est en quelque façon un chef-d'œuvre... Il faut lire et faire lire: _L'Armée de la Guerre_. LÉON DAUDET (_L'Action française_). C'est le livre le plus sincère qui, depuis le début des hostilités, ait été publié sur nos troupes... CHARLES CHENU, _ancien bâtonnier_ (_L'Intransigeant_). Le livre du capitaine Z... est le plus merveilleux antidote qu'un soldat de bonne trempe, bien racé--qu'importe qu'il soit de la carrière ou qu'il soit d'aventure!--ait fourni pour calmer l'énervement, l'impatience. JEAN NOREL (_Mercure de France_). Un livre d'une belle franchise, tout plein de santé, d'énergie guerrière, d'ironie lucide... ROBERT DE TRAZ (_Journal de Genève_). Un livre d'une martiale franchise, d'expressive sincérité, de vigoureux jugement, d'un bon sens souverain... Oui, certes, en ces pages, c'est notre armée qui vit, son cœur qui splendit et son âme qui fleurit... PAUL COURCOURAL (_Le Nouvelliste de Bordeaux_). D'un mot, voulez-vous mon opinion sur le vivant ouvrage du capitaine Z... C'est--ou du moins ce devrait être--le catéchisme des civils. J. TALLENDEAU (_Le Populaire_, Nantes). Ah! l'œuvre bien française que celle-là!... Ce qui en constitue l'originalité, c'est son caractère de bon sens critique... (_La Liberté du Sud-Ouest_, Bordeaux). C'est une œuvre forte, virile, musclée, qui vous empoigne et ne vous lâche plus... (_Annales africaines_). GEORGES BONNET L'AME DU SOLDAT In-16 4 fr. 50 L'intérêt de ce livre est profond. Tous les Français qui songent aux grands problèmes de demain liront _L'Ame du Soldat_. (_Le Gaulois_). Ces pages doivent être considérées comme les plus importantes, par leur signification et leur portée, entre tout ce qui a paru depuis le début de la guerre. (_Le Mercure de France_). _L'Ame du Soldat_ est un beau livre, sain et fort. HENRI CLOUARD (_L'Opinion_). Ce livre, écrit avec un rare souci de vérité, constitue un document unique. P. G. S. (_La Revue._) Ce livre touche à toutes les questions vivantes d'aujourd'hui. Il a le mérite d'être mesuré, équitable, sensé et d'avoir voulu être tel. ROGER MARTIN DU GARD. C'est là le livre qu'il faut lire, le seul jusqu'ici dans ce genre, le seul qui nous livre quelques sentiments secrets du poilu. (_Le Télégramme_, Boulogne-sur-Mer). L'auteur a essayé de montrer _le Poilu tel qu'il est_, avec ses qualités et ses défauts, ses hésitations et ses défaillances. Il a pénétré son cœur. (_Le Poilu_). Ce livre est une réaction contre la «littérature» de guerre. C'est l'âme d'un Français patriote à qui la guerre a beaucoup appris. (_Nouvelle Gazette de Zurich_). Je ne connais pas de livre plus fort, plus vrai, plus instructif que _L'Ame du Soldat_. ALBERT-FRANÇOIS PONCET (_La Revue._) L'emphase, voilà l'ennemi. Un auteur qui n'a point d'emphase, dans l'esprit ni dans le style, si de surcroît il voit juste, doit inspirer confiance. Il sied de croire, pour cette raison, M. Georges Bonnet et son livre _L'Ame du Soldat_. ABEL HERMANT (_Le Figaro._) M. Georges Bonnet parle en soldat, le langage d'un soldat, sans parti pris, sans intransigeance, surtout sans haine. MARC HENRY (_La France._) M. Georges Bonnet a entrepris de faire pénétrer jusque dans les coins les plus reculés de la zone de l'arrière quelques idées saines et quelques bonnes vérités touchant les sentiments et les pensées de nos héroïques défenseurs. GASTON DESCHAMPS (_Le Temps._) ANTOINE REDIER MÉDITATIONS DANS LA TRANCHÉE Ouvrage couronné par l'Académie française Le devoir. -- Terrassiers. -- La Liberté. -- Frères d'armes. -- La Gloire. -- Alouettes, Coquelicots, Souris. -- La Force. -- Le Dieu des Armées. -- La Bravoure. -- L'Ennemi. -- Intelligents. -- Les Lettres. -- L'Honneur. -- La Patrie. In-16 4 fr. 50 Ces réflexions généreuses, entremêlées d'anecdotes savoureuses, d'observations pittoresques, forment l'un des témoignages les plus intéressants et les plus vivants que nous ayons sur la guerre et sur l'état d'âme des combattants. (_La Revue des Deux-Mondes_). ... Livre de penseur et de soldat, de psychologue et de moraliste, franc et simple, profond et vrai... (_Le Gaulois_). ... Pages de bonne foi, directement inspirées de la réalité, simples de ton, franches d'accent, lumineuses d'espoir... (_Journal des Débats_). Un bon et fier livre, où il y a de la philosophie, de la poésie, et la plus noble littérature... (_L'Action française_). Un des livres les plus émouvants inspirés par la guerre. Les méditations sur le devoir, sur l'honneur, sur la gloire font songer aux plus belles pages de Vigny... (_L'Opinion_). M. Antoine Redier a écrit de bien jolies _Méditations dans la Tranchée_. Je dis jolies parce que la fraîcheur et la jeunesse, la modestie et la simplicité s'en dégagent, alors que l'esprit franc et réfléchi y découvre la profondeur et le don d'observation du poète qui a pensé la _Servitude et Grandeur Militaires_... (_La Presse_). Nous avons trouvé dans ce livre de la joie et de la lumière, une âme et une pensée française au plus haut point et, vraiment, c'est un beau livre, un livre puissant... (_Le Nouvelliste de Bordeaux_). C'est une étude de la psychologie du Français combattant, pénétrante, intelligente, variée, facile à lire, très agréable... (_L'Express de Lyon_). «Le beau, c'est le bon sens qui parle bon français.» Eut-on jamais l'occasion d'appliquer mieux cette pensée qu'au bel ouvrage intitulé: _Méditations dans la Tranchée_? (_Liberté du Sud-Ouest_, Bordeaux). ANTOINE REDIER PIERRETTE ROMAN _Aux jeunes filles pour qu'elles réfléchissent._ In-16 4 fr. 50 Situation émouvante, tragique, développée avec un art plein de séduction et une logique implacable, d'une force entraînante. (_Le Gaulois._) M. Redier reprend le grave problème de l'éducation des filles... Il apporte des solutions personnelles, souvent ingénieuses, souvent profondes, toujours nettes et courageuses. LOUIS DE MONDADON (_Les Etudes._) Les pensées de l'écrivain sont bienfaisantes et d'une urgente actualité. (_L'Express de Lyon._) Mettant en œuvre ses qualités de sensibilité et ses dons de style, Redier a donné un volume simple et émouvant, rempli d'âme et de vérité. (_Dépêche de Lille._) _Pierrette_ est un livre attrayant et utile. (_Le Populaire_, Nantes.) Toutes les jeunes filles, tous les Français, au front et à l'arrière, voudront connaître l'histoire de _Pierrette_. Tous aimeront ce livre entraînant, noble, gai: avec cela, si humain, qu'on ne le lira qu'en tremblant. JEAN MADIA (_Le Radical_, Marseille.) On éprouvera, à lire ces pages débordantes de vie, un véritable enchantement. (_Le Salut Public_, Lyon.) La plume de M. Redier est une plume bien française. PAUL COURCOURAL (_Le Nouvelliste_, Bordeaux.) Ces pages tenteront tous les Français. (_La Dépêche de Cherbourg._) La sensibilité de cet écrivain est d'une qualité extraordinaire. Comme d'autres, des poètes, aiment les fleurs qui embaument, il respire avec ivresse le parfum des âmes nobles et fraîches. (_Est Républicain_, Nancy.) Je souhaite que mes lecteurs lisent comme moi, et avec le même recueillement, ces pages d'analyse pénétrante et de profession courageuse. GASTON VALRAN (_Le Bulletin des Halles._) Il y a longtemps qu'on n'écrivait plus ainsi. _Pierrette_ est le livre que nous devait cette époque. (_Revue internationale de Médecine et de Chirurgie._) On lira avec fruit ce livre qui est un acte d'apostolat social. (_Revue du Front._) Lisez _Pierrette_, intrigue émouvante, tout à la fois, sentimentale, guerrière, traduite en un langage sobre, distingué, d'une parfaite tenue littéraire. (_Le Poilu._) LIEUTENANT PÉRICARD DEBOUT LES MORTS! SOUVENIRS ET IMPRESSIONS D'UN SOLDAT DE LA GRANDE GUERRE I--FACE A FACE Préface de M. MAURICE BARRÉS, de l'Académie française 35 dessins à la plume de M. PAUL THIRIAT et une couverture illustrée par JONAS II--PAQUES ROUGES 30 dessins à la plume de M. PAUL THIRIAT Chaque vol. in-16 4 fr. 50 (Ouvrage couronné par l'Académie française) CEUX DE VERDUN In-16 4 fr. 50 DEBOUT LES MORTS Aujourd'hui, dans le monde entier, chacun connaît cet épisode que d'innombrables articles, des gravures, des poésies, ont popularisé. Vous vous rappelez? Les Allemands ont envahi une tranchée et brisé toute résistance; nos soldats gisent à terre; mais, soudain, de cet amas de blessés et de cadavres, quelqu'un se soulève et, saisissant à portée de sa main un sac de grenades, s'écrie: «_Debout les morts!_...» Un élan balaye l'envahisseur. Le mot sublime avait fait une résurrection. J'ai désiré connaître le héros de ce fait immortel. Je me suis trouvé en présence d'un lieutenant aux cheveux blancs. MAURICE BARRÈS, de l'_Académie française_. _Face à Face_ décrit avec une belle franchise les souvenirs et les impressions de la grande guerre. _Louis Barthou._ _Face à Face_ est un livre qu'on sent être d'une absolue sincérité... RENÉ BAZIN, de l'_Académie française_. Livre admirable de simplicité et de sincérité... PIERRE L'ERMITE (_La Croix_). Le lieutenant Péricard peint sur le vif les grognons et les grognards de Verdun, les éternels mécontents qui finalement se battent comme des lions. Il faut lire de pareils livres et voir de près cette vie de tranchées, d'assauts, de fusillades pour comprendre réellement ce que c'est que cette prodigieuse race française, et de quels efforts surhumains elle est capable. Cet admirable récit devrait être entre toutes les mains. A. ALBALAT (_Journal des Débats_). _Face à Face_ semble avoir été écrit avec Rosalie comme porte-plume. Vivants, sincères, simples, émouvants, élevés, ce sont de vrais récits de soldats. _Ceux de Verdun_ se recommande par les mêmes qualités. (_La Liberté_). Ces souvenirs sont charmants d'humour, de bonhomie, de vivacité pittoresque et familière, de modeste simplicité. (_Revue des Deux Mondes_). ALBERT ERLANDE EN CAMPAGNE AVEC LA LÉGION ÉTRANGÈRE In-16 4 fr. 50 Avez-vous lu le récit d'Albert Erlande, _En campagne avec la Légion étrangère_, ce livre de résignation sublime dans la boue, dans la tragédie des tranchées? PAUL ADAM. En ces récits brefs et précis, l'auteur nous trace de curieuses silhouettes de légionnaires, de types de «poilus» parfois déconcertants... Ce livre est un acte de justice. ROLAND DE MARÈS. Quelle galerie d'hommes extraordinaires nous montre M. Albert Erlande! Ce récit, œuvre scrupuleusement historique, ne contient pas de digressions sur la guerre, mais des faits, des actes qui montrent des soldats. Et quelle galerie d'hommes extraordinaires. Des types de vieux soldats de carrière comme on n'en trouve plus qu'à la légion! Des figures inoubliables de chefs! Et toutes ces aventures écrites en un style de sang et de feu se développent dans une atmosphère de bonne humeur et d'héroïsme unique. (_La Croix._) Récit plein de fougue et de passion, livre de soldat, pensé et écrit par un soldat. (_L'Homme enchaîné._) L'auteur nous montre les légionnaires, hommes de tous les mondes et de toutes les conditions, que l'esprit de corps, l'ambiance et l'ascendant des officiers parviennent rapidement à fondre pour en faire une force d'élite. (_L'Intransigeant._) C'est une belle œuvre, vécue, fougueuse, alerte et simple. (_Le Siècle._) En affirmant que cet ouvrage est un chef-d'œuvre, nous exprimons l'avis de tous ceux qui l'ont déjà savouré. (_L'Illustré._) Comme toute épopée tient de la vie et du roman, le livre d'Erlande exprime la vérité d'existence de son bataillon, aussi puissant, plus soigné, plus délicat et peut-être plus exact encore, dans sa tenue et sa retenue, que celui de Henri Barbusse sur son escouade. ÉMILE ROUX-PARASSAC (_Le Feu._) On publie trop de «souvenirs» qui n'ont aucun intérêt pour ne pas reconnaître la réelle valeur littéraire du texte vivant et pittoresque de M. Albert Erlande. (_La Renaissance._) La simplicité, la vie, l'émotion aussi qui règnent dans tout cet ouvrage, le rendent d'autant plus intéressant et l'on sait gré à l'auteur d'avoir raconté seulement la vie des volontaires et des vieux légionnaires qui les encadraient et de ne s'être point laissé entraîner, comme tant d'autres, à disserter sur la guerre ou sur des états d'âmes. F. P. (_Le Petit Havre._) COMTE ALEXIS TOLSTOI LE LIEUTENANT DEMIANOF RÉCITS DE GUERRE 1914-1915 Traduction de SERGE PERSKY In-16 4 fr. 50 Ah! les beaux récits, nés sous les étoiles, écrits à la lueur d'un pauvre foyer de soldat. ÉDOUARD HERRIOT. Ces beaux récits sont autant d'aventures de guerre vécues, colorées, pittoresques, de forme originale et d'impression vraiment neuve... (_L'Echo de Paris_). Ceux qui veulent pénétrer «l'âme russe» et saisir sur le vif le caractère profondément patriotique de la révolution russe liront avec intérêt: _Le Lieutenant Demianof_, la dernière œuvre du comte Alexis Tolstoï, l'un des plus célèbres écrivains de la jeune Russie. Cet admirable livre est magistralement traduit par M. S. Persky. GEORGES BATAULT. Ce que je n'ai pu montrer de ces récits du comte Alexis Tolstoï, c'est la singulière et saisissante ambiance de mystère dans laquelle ils se meuvent. PIERRE MILLE (_Le Temps_). Le comte Alexis Tolstoï a suivi les armées russes et a noté, avec une grande puissance d'évocation, les impressions ressenties parmi les soldats sous forme de nouvelles qui égalent les meilleurs contes de guerre de Maupassant. (_Le Gaulois_). L'ouvrage est rempli de pages de vision nette et d'émotion profonde, écrite en pleine action... (_Liberté du Sud-Ouest_). Ces récits, d'un intérêt puissant, sont l'œuvre d'un observateur au coup d'œil prompt, à la notion rapide, qui s'attache à nous initier à ce milieu si différent du nôtre et nous ménage, à chaque pas, autant de poignantes sensations que de piquantes surprises. LOUIS BRES (_Le Sémaphore de Marseille_). JACQUES PIRENNE LES VAINQUEURS DE L'YSER Dessins de JAMES THIRIAR Préfaces de ÉMILE VERHAEREN et ÉMILE VANDERVELDE In-16 4 fr. 50 Le soldat belge, tant Wallon que Flamand, semble relever d'une psychologie purement occidentale. Il ne peut et ne pourra se plier jamais, comme le soldat teuton et turc, à une discipline inflexiblement servile et fataliste et asiatique. C'est ce que ce livre que j'ai la joie de préfacer démontre sinon à chaque page, du moins à chaque chapitre. 22 novembre 1916. ÉMILE VERHAEREN. Le volume de M. Jacques Pirenne est curieux à plus d'un titre; il contient beaucoup de choses; c'est un témoignage direct, des choses vues par un des acteurs du drame et consignées avec la fraîcheur des impressions immédiates. Aussi devra-t-il être gardé pour le témoignage précieux qu'il apporte concernant la première année de la grande guerre actuelle et qu'on devra consulter pour écrire l'histoire de la ruée sur Calais,--dont l'Allemagne n'avait nullement prévu le désagréable et mortifiant avortement dans les marécages de l'Yser. CHARLES MERKI (_Le Mercure de France._) De toutes les productions littéraires que fournit la guerre, le volume de Pirenne se distingue par un constant souci d'étude psychologique. MAURICE GAUCHEZ (_L'Opinion Wallonne._) M. Jacques Pirenne a entrepris de nous montrer le soldat belge tel qu'il est, et il a fait œuvre pieuse. Ces hommes, jeunes et vieux, qui combattent là-bas sur l'Yser, qui après la retraite d'Anvers ont «tenu» contre la formidable armée allemande et lui ont coupé la route vers Calais, sont des héros dignes de la légende antique. Depuis trois années, loin des leurs, demeurés dans les provinces occupées, ils défendent le dernier lambeau du sol natal avec un courage qui n'a jamais fléchi, une foi en la victoire qu'aucune déception n'a pu troubler. M. J. Pirenne nous dit leurs misères et leurs joies en des pages pittoresques, simples et touchantes. (_Annales politiques et littéraires._) L'ouvrage de M. Jacques Pirenne est certainement celui qui fait le mieux connaître le soldat belge, sa vie quotidienne, en sa réelle atmosphère, mêlée à des épisodes touchants, poignants ou glorieux. (_L'Indépendance Belge._) Ce livre est un livre de bonne foi, constate Émile Vandervelde qui en a écrit la deuxième préface. A ce titre-là et puis aussi, à cause de son absence de toute recherche de grands mots ou de grands effets, il restera comme un témoignage et comme un document. F. P. (_Le Havre._) Patiemment rassemblées au cours de longs mois de campagne, les notes se sont accumulées et ont fini par constituer un ensemble où le texte et les dessins concourent à recréer l'atmosphère, l'esprit, la vie même du front. Et c'est à ce point de vue que les auteurs ont créé une œuvre vraiment originale et nouvelle. (_Journal de Genève._) PIERRE MAC ORLAN LES POISSONS MORTS (LA LORRAINE. L'ARTOIS, VERDUN, LA SOMME) In-16 illustré par GUS BOFA 4 fr. 50 Ce volume, un des plus sincères de la littérature de guerre, est une suite de récits très simples, qui dégagent une émotion d'autant plus profonde qu'elle est exprimée au naturel. (_L'Intransigeant._) M. P. Mac Orlan sait voir, et peint simplement ce qu'il a vu. En lisant son livre on est frappé de l'exactitude de ses tableaux, de la vérité des conversations de soldats qu'il rapporte. (_L'Opinion._) Ce livre d'un des jeunes maîtres, avant la guerre, de l'humour français, est le carnet de route d'un soldat qui, même dans les pires moments où la fatigue annihile jusqu'à la force de penser, sait pourquoi il se bat. (_L'Illustration._) Je signale les _Poissons morts_ de Pierre Mac Orlan, un de nos meilleurs auteurs gais, à qui sa note habituelle n'interdit pas les impressions de guerre et qui sait les traduire avec une émouvante sobriété. PAUL SOUDAY (_Le Temps._) Une vision aiguë, objective et pittoresque de l'ambiance, un détachement parfait dans la plaisanterie et le sarcasme qui donne à l'effet une ampleur singulière, le goût du bien-dire, allant, souventes fois, jusqu'à l'afféterie, avec, sous tant de grâces, de recherches, de précautions pour n'être point taxé d'enthousiasme, une émotion vivante et chaleureuse, le _flebile nescio quid_, l'accent pitoyable qui porte au cœur, tels sont les attributs dont la bigarrure signale aux humanistes le récent volume de M. Pierre Mac Orlan: _Les Poissons Morts_. LAURENT TAILHADE (_L'Œuvre._) C'est un livre d'honnête homme. Saluons! Il est tragiquement illustré par M. Gus Bofa, grand blessé de guerre, dont le talent est probe et grand. (_Les Hommes du Jour._) Ce livre recèle des choses rares qui vous consolent et rafraîchissent après la lecture de tant de banalités. C'est un livre qu'il faut lire. Nous disons _lire_ et non _parcourir_, car, dans ce dernier cas, on risquerait de ne point goûter toutes les finesses, toute la saveur de cette œuvre délicate jusqu'en ses crudités et qui, par son art, nous donne des reflets saisissants et véridiques de la guerre de 1914-1915-1916-1917-19... G. FABRI (_Revue du Front et le Souvenir._) Ce livre est une contribution curieuse et précieuse à la psychologie du soldat de la très grande guerre. (_Le Nouvelliste_, Bordeaux.) Récits très émouvants, très pittoresques, d'un naturel extraordinaire, racontés avec une verve amusante. (_L'Eclair_, Montpellier.) Je n'entreprendrai ni d'analyser, ni de résumer ce livre. La besogne serait ingrate et le résultat ne pourrait à aucun point de vue donner une idée de la vie, de la bonne et simple humeur répandues dans cet ouvrage, écrit du meilleur des styles. FERNAND POLET (_Le Petit Havre._) COMMANDANT ÉMILE VEDEL NOS MARINS A LA GUERRE SUR MER ET SUR TERRE Ouvrage honoré d'une Souscription du Ministère de la Marine In-16 4 fr. 50 Ce livre-là, outre qu'il est admirable, est le plus émouvant qui ait été écrit sur nos marins _combattant à la mer_. PIERRE LOTI, de l'Académie Française (_Le Petit Parisien_). Lisez et faites lire ce livre. LÉON DAUDET (_L'Action française_). Technicien très informé, écrivain très expert et singulièrement vivant, documenté aux meilleures sources, le commandant Vedel nous permet littéralement d'assister à des événements ou à des épisodes tout à fait caractéristiques... Cet ouvrage plaira à tous. (_Le Moniteur de la Flotte_). Ce livre si documenté, si vivant, si vibrant de patriotisme. COMMANDANT VIDI (_La Croix_). Le récit, court, se précipite, entraîne le lecteur haletant comme aux péripéties d'un drame qui se déroule sous ses yeux... LUCIEN DESCAVES. Ce livre retrace tous les haute faits, sur terre et sur mer, de notre armée navale... La vente de l'ouvrage se fait au profit des œuvres de mer. Et cette raison s'ajoute à son mérite pour justifier le succès qu'il obtient. LIEUTENANT-COLONEL ROUSSET (_La Liberté_). Ces récits, émouvants et précis, rendent à notre armée de mer l'hommage que mérite son esprit de devoir et de sacrifice... (_La Revue de Paris_). Le commandant Vedel passe en revue, avec un talent prestigieux et une documentation hors ligne, tous les faits héroïques, tous les drames où nos marins ont joué un rôle... (_Le Gaulois_). ... Pages d'une puissance dramatique extraordinaire... (_Havre-Eclair_). ... Livre poignant et superbe... (_Le Nouvelliste_, Bordeaux). Le lecteur est pris, en face de ces récits d'une vérité terrible, d'un frisson d'émotion où l'angoisse se mêle à l'admiration... DE BOUZOLS (_Express de Lyon_). Témoignage vécu, vivant, autorisé de ce qu'a fait notre marine sur les différents théâtres où elle a déployé son activité... (_Le Populaire_, Nantes). MARC HENRY AU PAYS DES MAITRES CHANTEURS Quelques aspects de l'Allemagne socialiste. -- Artistes, monarques et censeurs. -- Femmes allemandes. -- Quelques formes de la vie courante. -- Milieux juifs. -- Maîtres-chanteurs, étudiants, officiers et agents de police. -- La foire aux vanités. Grand in-8 avec hors-texte en couleurs 4 fr. 50 TROIS VILLES VIENNE--MUNICH--BERLIN In-16 4 fr. 50 C'est un livre exceptionnel parmi les livres publiés durant cette guerre... Il a produit sur moi une impression profonde. J. ERNEST-CHARLES (_La Grande Revue_). ... Livre d'une documentation aussi riche et variée qu'attrayante... (_Le Gaulois_). ... Les souvenirs d'Allemagne, de Marc Henry, agrémentés de nombreuses et piquantes anecdotes, amuseront de nombreux lecteurs... (_Le Temps_). ... M. Marc Henry a, mieux que personne, pu voir et juger l'Allemagne d'avant la guerre... LAURENT TAILHADE (_L'Œuvre_). ... Très curieux ouvrage abondamment observé... CHARLES MERKI (_Le Mercure de France_). ... L'auteur, qui a vécu longtemps à Berlin et à Munich, connaît fort bien l'Allemagne; il a su voir au delà des façades et son style, d'un réalisme savoureux, sait conserver une vie étrange aux trouvailles de son observation impitoyable. (_La Revue de Paris_). ... Les anecdotes que nous conte Marc Henry, sous leur forme nette, alerte, vibrante, ont souvent une portée politique ou sociale très grande... (_Le Radical_). Ces deux livres sont pleins de mouvement, d'entrain, d'anecdotes, d'évocations colorées... (_Journal de Genève_). RENÉ PUAUX LE MENSONGE DU 3 AOUT 1914 Gr. in-8, illustré de 21 photographies, croquis et cartes hors texte 5 fr. Bourré de documents, de plans, de croquis, d'autographes, de pièces de conviction, le réquisitoire de M. René Puaux n'a pas la prétention d'être complet ni définitif. Tel qu'il est, il suffirait à faire condamner n'importe quel accusé devant n'importe quel jury. (_L'Opinion_). _Le Mensonge du 3 août 1914_ met définitivement au jour le mécanisme de l'agression allemande avec une minutie passionnante de détails. (_L'Illustration_). On conserve une impression de stupeur quand on lit les témoignages accumulés dans le _Mensonge du 3 août_. (_Le Mercure de France_). Ce livre constituera pour ceux qui écriront l'histoire du conflit mondial une base d'études absolument sûre. (_Annales politiques et littéraires_). Voici, avec des témoignages accablants, des faits contrôlés, le dossier de l'honnêteté française et de la préméditation scélérate des Empires du Centre à l'origine du conflit actuel. (_L'Information_). C'est le premier travail historique sur les origines de la guerre qui ait été établi sur des documents d'archives. (_La Revue de Paris_). _Le Mensonge du 3 août 1914_ soumet à une analyse serrée le tissu d'impostures et d'infamies dont est formée la déclaration de guerre allemande à la République française. (_Journal des Débats_). Après avoir lu cet ouvrage, tout homme éclairé et de bonne foi conclura avec l'auteur que «c'est sur la base d'odieux mensonges que la guerre a été déclarée». (_L'Action française_). On ne peut lire sans indignation les chapitres qui nous montrent comment a été fabriquée la déclaration de guerre et nous donnent une idée des mensonges qui ont été accumulés à cette époque pour tromper l'opinion publique. (_La Réforme sociale_). _Le Mensonge du 3 août 1914_, dont la lecture est passionnante, est le premier travail historique sur les origines de la guerre qui ait été établie sur des documents jusqu'ici secrets des archives du gouvernement français. (_L'Eclair de Montpellier_). «Qui a commencé? Cela s'établit par des faits simples, clairs, vérifiables par tous. Vous en trouverez l'exposé dans le _Mensonge du 3 août 1914_.» (_L'Eclair de Montpellier._) Le résultat de ce laborieux et consciencieux travail, indispensable pour établir la responsabilité de la guerre actuelle, est le suivant: toutes les allégations des bureaux de la Wilhelmstrasse s'effondrent. (_Journal de Genève._) Ce livre apporte à l'histoire les témoignages nécessaires pour asseoir son jugement. (_Le Bulletin des Armées de la République._) MAURICE MURET L'ORGUEIL ALLEMAND In-16 4 fr. 50 Ouvrage couronné par l'Académie française. L'ÉVOLUTION BELLIQUEUSE DE GUILLAUME II In-16 4 fr. 50 Il faut saluer, chez M. Maurice Muret, le bon sens qui lui suggère des appréciations plutôt historiques, et, j'entends, par là, des évaluations positives, utiles... EDMOND BARTHELEMY (_Mercure de France_). Livres de combat, mais livres de vérité. Livres de circonstance, dira Maurice Muret, mais livres d'histoire. J. ERNEST-CHARLES (_La Grande Revue_). Livre unique et sans exemple dans l'histoire universelle. JACQUES MORLAND (_L'Opinion_). Il faut lire _L'Évolution belliqueuse de Guillaume II_... C'est une curieuse analyse du caractère du kaiser, et tous ceux qui s'interrogent sur demain rechercheront avec M. Muret la courbe d'évolution du «surhomme». (_Le Rappel_). Lisons attentivement les très curieux livres de l'érudit Maurice Muret... Nous comprendrons mieux notre adversaire et notre alliée; nous serons plus assurés de notre chance. PAUL ADAM (_L'Information_). ... Livre tout rempli de faits précis, écrit d'une plume alerte, animé d'un véritable souffle d'éloquence... CH. BÉMONT (_Revue Historique_). Etude scrupuleuse et pénétrante du caractère, de la pensée et de la politique de Guillaume II depuis son avènement jusqu'à l'acte décisif qui engage sa responsabilité devant l'Histoire... A. L. (_La Revue_). Ouvrages de premier ordre, de ceux--si peu nombreux--qu'on doit lire si on veut étudier la genèse d'un cataclysme sans précédent dans l'histoire et pour établir les responsabilités de l'Allemagne. JULES VÉRAN (_L'Eclair_, Montpellier). ... Œuvres fortement étudiées, qui témoignent d'une lecture énorme, d'une connaissance profonde du milieu... ED. ROSSIER (_Journal de Genève_). JULES SAGERET LA GUERRE ET LE PROGRÈS In-16 4 fr. 50 Livre vraiment encyclopédique, où la biologie, l'ethnographie, la politique et l'histoire s'entrelacent et s'appuient réciproquement de la plus harmonieuse façon. Nous ne saurions trop le recommander aux Français éclairés. Ils se sentiront, au cours de cette lecture, souvent convaincus, toujours intéressés et charmés, et quand ils l'auront terminée, ils auront conscience d'un enrichissement de ce qu'ils nous permettront d'appeler leur _ameublement cérébral_. Docteur LUC (_La Victoire._) Que la Grande Guerre devienne la victoire sur la guerre, s'achève en guerre du Progrès, les chances de ce dénouement existent; au total, elles ont augmenté. Le présent ouvrage, écrit pour peser cet espoir, le fortifiera. (_Revue internationale de Médecine et de Chirurgie._) En présence du déchaînement actuel de barbarie, n'y a-t-il pas lieu de désespérer de l'humanité, de la juger inapte au progrès? Mais qu'est-ce que le progrès? C'est cette notion si confuse que l'auteur cherche à éclairer. (_Le Moniteur médical._) Dans ce livre si actuel et si remarquable, tant par l'abondance de l'information que par la justesse du sens critique, M. Jules Sageret vous fait faire le tour des connaissances humaines. PAUL SOUDAY. Pour être de philosophie scientifique, le livre de M. Jules Sageret n'en est pas moins d'actualité brûlante, ce qui explique les blancs dont l'a enrichi la censure. HENRI MAZEL (_Le Mercure de France._) Dans cet ouvrage foisonnent les remarques judicieuses, parfois les pensées profondes. Qui l'aura lu devra abandonner bien des idées toutes faites et reviser sur nombre de points ses jugements. L. A. (_La Revue._) Livre riche en pensées. G. BONNET (_La France._) On trouvera dans ce livre de quoi réfléchir utilement. (_Paris-Midi._) Voici un ouvrage sérieux, qui exprime de fortes et solides pensées. Le progrès! Quelle sera son évolution demain?... Quelle est son action aujourd'hui? Quelle influence la guerre exercera-t-elle dans la marche de l'humanité vers cet idéal? Autant de graves problèmes que M. Jules Sageret étudie à la lumière des données philosophiques dont nous poursuivons chaque jour la solution. (LE POPULAIRE, Nantes.) BIBLIOTHÈQUE MINIATURE Chaque volume (7 X 10 cm.) relié 2 fr. 1. ALFRED DE MUSSET. _Les Nuits._ 2. GÉRARD DE NERVAL. _Sylvie._ 3. MOLIÈRE. _L'Avare._ 4. MARCELINE DESBORDES-VALMORE. _Élégies._ 5. BALZAC. _La Grenadière._ 6. ALFRED DE MUSSET. _Un Caprice._ 7. ANDRÉ CHÉNIER. _Idylles._ 8. LA ROCHEFOUCAULT. _Maximes._ 9. MARIVAUX. _Le jeu de l'amour et du hasard._ 10. ALFRED DE VIGNY. _Les Destinées._ 11. MAURICE DE GUÉRIN. _Le Centaure._ 12. J. JOUBERT. _Pensées._ 13. HENRI HEINE. _L'Intermezzo._ 14. NAPOLÉON. _Pensées._ 15. ALFRED DE VIGNY. _Laurette._ 16. Mme DE BEAUMONT. _La Belle et la Bête._ 17. ALFRED DE MUSSET. _Poésies._ 18. OMAR KHAYYAM. _Les Rubàiyàt._ 19. MARC AURÈLE. _Pensées._ 20. ALFRED DE VIGNY. _Chatterton._ 21. _Les larmes héroïques. Psaumes d'alleluia recueillis par_ S. PALATAM 22. PASCAL. _Pensées._ 23. ÉPICURE. _Pensées._ 24. AUGUSTE BRIZEUX. _Marie._ 25. PASCAL. _Prières Et Méditations._ 26. SHAKESPEARE. _Roméo et Juliette._ 27. _Aucassin et Nicolette._ 28. 29. 30. 31. 32. _Imitation de Jésus-Christ._ 33. LA BRUYÈRE. _Caractères._ 34. TH. BOTREL. _Chansons et Poésies._ 35. H. DE RÉGNIER. _Odelettes._ 36. VAUVENARGUES. _Réflexions et Maximes._ 37. RONSARD. _Poésies._ 38. _La Sagesse de_ LA FONTAINE. 39. BAUDELAIRE. _Les Fleurs du Mal._ 40. PLATON. _Pensées._ 41. SPINOZA. _Pensées._ 42. STENDHAL. _De l'Homme._ Paraîtront incessamment: 43. CHATEAUBRIAND. _Paysages._ 44. DÉMOCRITE. _Pensées._ 45. ANATOLE FRANCE. _Pensées._ 46. BAUDELAIRE. _Le Spleen de Paris._ 47. ÉMILE VERHAEREN. _Poésies._ 48. P.-J. PROUDHON. _Pensées._ 49. FRANÇOIS BACON. _Pensées._ 50. EDGAR POE. _Poèmes choisis._ 51. DE BONALD. _Pensées._ LIVRES DE COMBATTANTS ET DE TÉMOINS DE LA GRANDE GUERRE _Collection de Volumes in-16_: 4 fr. 50 =Louis-Paul ALAUX.=--SOUVENIRS DE GUERRE D'UN SOUS-OFFICIER ALLEMAND. =Raoul ALLIER.=--LES ALLEMANDS A SAINT-DIÉ. =Claude ANET.=--LA RÉVOLUTION RUSSE. A PÉTROGRAD ET AUX ARMÉES. =Luigi BARZINI.=--SCÈNES DE LA GRANDE GUERRE. EN BELGIQUE ET EN FRANCE. LA GUERRE MODERNE, SUR TERRE, DANS LES AIRS ET SOUS LES EAUX. =Georges BONNET.=--L'AME DU SOLDAT. =Victor BUCAILLE.=--LETTRES DE PRÊTRES AUX ARMÉES. =M. BUTTS.=--HÉROS! ÉPISODES DE LA GRANDE-GUERRE. =Léopold CHAUVEAU.=--DERRIÈRE LA BATAILLE (3 fr.) =Antoine DELECRAZ.=--PARIS PENDANT LA MOBILISATION. =Maurice DIDE.=--CEUX QUI COMBATTENT ET QUI MEURENT. =Albert ERLANDE.=--EN CAMPAGNE AVEC LA LÉGION ÉTRANGÈRE. =Gabriel-Tristan FRANCONI.=--UN TEL DE L'ARMÉE FRANÇAISE. =F... (Hubert).=--LA GUERRE NAVALE. MER DU NORD. MERS LOINTAINES. =PAUL FIOLLE.=--LA MARSOUILLE. =Raymond JUBERT.=--VERDUN (Mars, Avril, Mai 1916). =Stéphane LAUZANNE.=--FEUILLES DE ROUTE D'UN MOBILISÉ. =Pierre MAC ORLAN.=--LES POISSONS MORTS. =Capitaine MARABINI.=--LES GARIBALDIENS DE L'ARGONNE. =Lord NORTHCLIFFE.=--A LA GUERRE. =Pierre PARAF.=--SOUS LA TERRE DE FRANCE. =PAUL PATTE.=--LE CRAN. =Lieutenant Jacques PÉRICARD.=--_Debout les Morts!_ I. FACE A FACE. II. PAQUES ROUGES. CEUX DE VERDUN. =Jacques PIRENNE.=--LES VAINQUEURS DE L'YSER. =Jules POIRIER.=--REIMS (1er AOUT-31 DÉCEMBRE 1914). =Antoine REDIER.=--MÉDITATIONS DANS LA TRANCHÉE. =Alexis TOLSTOI.=--LE LIEUTENANT DEMIANOF. =Capitaine TUFFRAU.=--CARNET D'UN COMBATTANT. =Robert VAUCHER.=--AVEC LES ARMÉES DE CADORNA. =Commandant Emile VEDEL.=--NOS MARINS A LA GUERRE. SUR MER ET SUR TERRE. =Y...=--L'ODYSSÉE D'UN TRANSPORT TORPILLE. =Capitaine Z.=--L'ARMÉE DE LA GUERRE. L'ARMÉE DE 1917. PAYOT & Cie, 106, Boul. Saint-Germain, PARIS Imp. E. Durand, 18, Rue Séguier, Paris * * * * * Corrections: Page 13: «ou» remplacé par «on» (on eût dit que ces douloureux souvenirs). Page 14: «obscure» remplacé par «obscur» (dans un couloir obscur). Page 74: «déclanché» remplacé par «déclenché» (avait déclenché, ce soir-là). Page 131: «nul» remplacé par «nulle» (et nulle épice compémentaire). Page 142: «à à» remplacé par «à» (appartenait à Donquixotte). Page 204: «contraire» remplacé par «contraires» (ces choses étant contraires). Page 231: «Monte-Christo» remplacé par «Monte-Cristo» (aux évasions de Monte-Cristo). Page 278: «impressoins» remplacé par «impressions» (les impressions ressenties). Page 280: «souvente» remplacé par «souventes» (allant, souventes fois, jusqu'à l'afféterie). Page 283: «réquisitiore» remplacé par «réquisitoire» (le réquisitoire de M. René Puaux). Page 285: «cheque» remplacé par «chaque» (dont nous poursuivons chaque jour). End of the Project Gutenberg EBook of Un tel de l'armée française, by Gabriel Tristan Franconi *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN TEL DE L'ARMÉE FRANÇAISE *** ***** This file should be named 50447-0.txt or 50447-0.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/5/0/4/4/50447/ Produced by Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. 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